Sous la houlette de Philippe Champy, la Fondation La Marck, engagée au service du patrimoine, a permis l’acquisition de pièces d’importance pour les musées français et luxembourgeois. Focus sur quelques achats emblématiques.
Un moutardier de Sèvres pour Versailles, un coffret pour Cluny, une assiette en émaux de Limoges pour le Louvre, des sièges pour Rambouillet et Fontainebleau, une statuette royale en porcelaine pour Chantilly… depuis plusieurs années, le nom de la Fondation La Marck revient régulièrement dans ces pages comme étant celui d’un généreux mécène finançant des acquisitions de grand intérêt. Il est donc temps de se pencher sur cette institution luxembourgeoise discrète mais efficace, et de comprendre les raisons de cet investissement particulièrement bienvenu pour les institutions. En 2008, Jean-Claude Junker a dépoussiéré la loi mécénat du Grand-Duché, datant de 1928. Sans plus attendre, l’année suivante, Philippe Champy crée la Fondation La Marck, sous l’égide de celle de Luxembourg, affichant clairement son objectif : sauvegarde du patrimoine et enrichissement des collections publiques françaises et luxembourgeoises. Visiteur assidu de l’Hôtel Drouot et des cabinets d’expertise dans sa jeunesse, l’homme reconnaît avoir ainsi formé son œil et, après avoir été collectionneur lui-même, être désormais plus intéressé par l’enrichissement public.
L’un propose, l’autre dispose
Il y a plusieurs profils de mécènes. Philippe Champy, lui, est de la race des anticipateurs, et c’est bien ainsi qu’il se définit dans l’ouvrage qu’il vient de publier, au titre sans équivoque : Mémoires d’un mécène proactif. En clair, il assure une veille sur le marché de l’art – la Gazette Drouot se révélant un support indispensable –, sélectionne des œuvres historiquement essentielles et les propose aux musées… qui en disposent ou pas. Cette action dynamique n’empêche aucunement les conservateurs de le solliciter à leur tour pour des acquisitions à part entière, des participations et des missions de sauvegarde. Le château de Versailles a bénéficié à plusieurs reprises de son soutien. Là, Marie-Laure de Rochebrune, conservatrice en chef chargée des porcelaines, reconnaît que la Fondation « joue, depuis plusieurs années maintenant, un rôle majeur dans la reconstitution des collections de porcelaines royales ». En effet, son mécénat a permis la réalisation du Cabinet des porcelaines, achevé en décembre 2019, son investissement ayant décidé les dirigeants du château à entreprendre cette installation. Depuis, le cabinet constitue une étape recherchée de la visite de l’Appartement du roi. La Fondation a notamment contribué à l’acquisition d’un moutardier en porcelaine de Sèvres à fond rose, décoré d’un motif de scène de chasse à tir, et de son plateau (Christie’s Londres, 21 juillet 2022, 40 000 £). Cette pièce rare, appartenant à un petit service de cinquante-deux pièces dénommé « Rozes attributs de Chasse », représentait une véritable nouveauté pour l’époque, les premières n’étant produites qu’à partir de 1757 en raison des difficultés de leurs procédés de fabrication. Le 8 juin 2021 déjà, à l’Hôtel Drouot chez Audap & Associés, la Fondation, sur proposition de Laurent Salomé, directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, avait acquis deux encoignures de Martin Carlin, portant la marque du garde-meuble privé de la reine, pour 51 520 €. Elles ont depuis rejoint le petit boudoir de Marie-Antoinette et apportent leur modeste pierre à l’opération de restauration et de remeublement de son appartement. Et ce ne sont que quelques exemples d’un soutien efficace et régulièrement renouvelé à l’établissement…
Des raisons scientifiques
Véritable passionné de l’histoire de l’art, fin connaisseur des collections des musées, le fondateur examine chacune de ses propositions d’achat à l’aulne de raisons scientifiques. À Chantilly, il a participé à la restauration du cabinet des Clouet – murs, éclairage et tableaux –, l’écrin de 92 portraits peints par Jean Clouet, son fils François et leurs contemporains. Une convention a été signée au début de l’année 2021, le chantier achevé à Pâques 2022 et les tableaux restaurés, comptant parmi les plus beaux portraits de la Renaissance française, sont à nouveau accrochés. En mai 2021, il a offert le nécessaire de voyage de la duchesse d’Aumale, en cristal et montures en vermeil de la maison Aucoc, qui passait en vente chez Coutau-Bégarie (12 236 €), et l’année d’après une pièce de haute importance : le buste de Louis XV en porcelaine de Chantilly, d’après un modèle de Jean-Baptiste II Lemoyne, nécessitait 63 112 €, le 10 mai 2022 à Drouot, chez Audap & Associés (reproduit page 16). Le 3 juin suivant, lors de la dispersion des souvenirs du baron de Breteuil (Coutau-Bégarie) – ambassadeur puis ministre de Louis XVI –, précieusement conservés par ses descendants directs, deux coupes en carton recouvert d’une laque à l’imitation de la Chine, montées en bronze doré, ont été proposées quant à elles au musée des Arts décoratifs. Rares sont en effet les objets dont le support est de carton ! Ce sont donc de précieux témoignages d’un artisanat du XVIIIe siècle qui intégraient le département. Le musée Carnavalet a rouvert ses portes au printemps 2022, après une longue campagne de restauration. Dans son ouvrage, on apprend que Philippe Champy « avait dans sa jeunesse fait partie de l’équipe de Michel Raude, animateur de l’association de sauvegarde du Paris historique et du festival du Marais ». Il en a gardé un attachement au quartier et à son musée emblématique. Le 29 juin 2022, chez Delvaux à Drouot, il lui offrait moyennant 5 760 €, un portrait par Jacob Van Loo de l’administrateur de l’hôpital général de Paris, Jean de Gomont, représenté justement devant l’hôpital de la Pitié. Après avoir remarqué un ensemble de sièges royaux de Boulard – une paire de fauteuils et une suite de quatre chaises – chez Osenat Versailles le 10 avril 2022, le fondateur contacte les responsables du Centre des monuments nationaux… d’autant plus sensibles à son offre qu’une vaste campagne de remeublement du château de Rambouillet est engagée, spécialement des appartements royaux et impériaux. Ces sièges, livrés en avril 1784, portent tous la mention manuscrite « pour le roi à Rambouillet » ; selon l’inventaire de 1787, ils étaient soit dans le salon des jeux, soit dans l’appartement de Monsieur. Suite heureuse, grâce à la communication autour de cette acquisition à 18 750 €, a été proposée au CMN une chaise de Boulard de la même série, qu’il a pu acquérir. Le dernier investissement en date est la paire de fauteuils «à l’étrusque » en acajou de Jacob Frères – dont leur père, Georges, a été l’initiateur en France –, pour Fontainebleau (28 570 €, 20 janvier 2023, Drouot, David Kahn, commissaire de justice) : elle porte les marques au feu du château. Et l’année ne fait que commencer…