Le Festival de l’histoire de l’art prendra ses quartiers à Fontainebleau le premier week-end de juin. Au programme : le climat et la Belgique sous forme de conférences, tables rondes, visites, projections, performances et ateliers en tout genre.
Comme chaque année depuis douze ans, la grand-messe de l’histoire de l’art se tiendra à Fontainebleau du 2 au 4 juin, réunissant stars des musées, artistes en vue et grands manitous des universités, mais pas seulement. Co-organisé par l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), le château de Fontainebleau et la direction générale des Patrimoines et de l’Architecture du ministère de la Culture, l’événement a pour vocation de faire découvrir à tout un chacun une discipline encore trop souvent considérée comme élitiste et non inclusive. Avec cette année le climat comme thème et la Belgique comme pays invité. Comme l’an dernier, où quelque 40 000 professionnels, amateurs ou simples curieux se sont retrouvés pour écouter des conférences, participer à des débats, assister à des performances, master class et projections, profiter d’une visite ou d’un atelier en famille, pas moins de 250 intervenants se produiront au cours des 200 événements programmés. Si le petit raout confidentiel lancé en 2011 est devenu grand, médiatique et médiatisé, son budget lui est resté quasiment le même. Les fonds proviennent du ministère de la Culture, à hauteur de 53 %, des subventions du Conseil régional et de l’office de tourisme du pays de Fontainebleau (31 %), et du mécénat (16 %). Les raisons d’un tel succès tiennent tant à la qualité et à la diversité de la programmation qu’à la beauté des lieux et à la convivialité, toujours de mise. Parmi les nouveautés de l’édition 2023 : l’exposition « Grandeur nature » dans le jardin anglais, coproduite avec le musée de la Chasse et de la Nature, ainsi que « pour la première fois, des conférences de cinéastes et des projections de films à l’intérieur du château », se réjouit Veerle Thielemans (voir Gazette n° 20 du 21 mai 2021, page 194). La directrice scientifique du festival insiste sur la richesse de la programmation : « Nous sommes fiers qu’Anne Teresa De Keersmaeker ait accepté de créer pour nous une pièce, c’est une primeur ! Et nous sommes très heureux de présenter une exposition du plus grand peintre belge actuel, Luc Tuymans (voir Gazette n° 23 du 10 juin 2022, page 242). Ces deux grands artistes s’engageront eux-mêmes dans la parole, en participant à des échanges avec le public. » Lors de Sand/Encore 1Été, création inédite de la chorégraphe belge, la performeuse Synne Elve Enoksen donnera corps au texte écrit par George Sand en 1872 pour défendre l’écosystème de Fontainebleau. L’exposition « Appartement 3 pièces », dans l’appartement Prosper Mérimée, consistera en un dialogue visuel entre l’œuvre imprimé de Tuymans et Corbeille et vase de fleurs, le tableau du Néerlandais Gerardus Van Spaendonck, acquis par Louis XVI en 1785.
L’urgence climatique
« Le souhait du conseil scientifique a été d’attacher le festival aux enjeux sociétaux actuels, et en particulier à ceux environnementaux, poursuit Veerle Thielemans. On ne peut plus y échapper, on doit se poser la question de ce que l’histoire de l’art peut faire en matière environnementale. » Pour Ralph Dekonink, professeur d’histoire de l’art à l’université catholique de Louvain, « ce thème s’imposait à plus d’un titre. L’urgence climatique invite ou force (selon des points de vue plus ou moins militants) les sciences humaines, et particulièrement celles historiques, à se pencher sur ce qui nous a conduits à cette situation, mais aussi sur ce qui peut nous en sortir ». Précisant : « Toute urgence nous enjoint à viser le futur mais aussi à regarder en arrière, afin de mieux saisir l’origine et l’évolution de nos modes de représentation des rapports de l’homme à son environnement, qui déterminent très largement nos manières d’interagir avec le monde. » « Se poser la question du climat et de l’histoire de l’art, c’est confronter notre discipline à une éco-critique, à une éco-politique et à une éco-poétique, lit-on dans le programme. C’est aborder les productions artistiques comme des sources artistiques et culturelles pour une étude du climat sur le temps long. […] Pour ne pas laisser les artistes enregistrer, dénoncer et lutter seuls contre les transformations du climat, l’histoire de l’art doit également prendre sa place dans les humanités environnementales, embrasser ce changement de paradigme et cette nouvelle voie éco-critique. »
Pistes de réflexion et de solution
Parmi les interventions traitant des conséquences du réchauffement climatique : la table ronde sur le changement des pratiques des institutions et des professionnels, celle questionnant les actions mêlant militantisme climatique et culturel, ou encore celle sur les migrations climatiques dans l’art contemporain. La géo-climatologue Martine Tabeaud, le géographe Alexis Metzger et la spécialiste de la littérature météorologique Anouchka Vasak confronteront leurs analyses des représentations des extrêmes climatiques à travers le temps, tandis que l’historienne de l’art Bénédicte Ramade s’intéressera à la dimension émotionnelle du changement climatique dans la création artistique et sa réception depuis les années 1970. « Changer le climat par le paysage », telle est la devise de l’architecte paysagiste bruxellois Bas Smets et le titre de sa conférence inaugurale. « Architecte des paysages », le lauréat du concours pour le réaménagement des abords de la cathédrale Notre-Dame de Paris y expliquera comment « préparer les villes à la crise du climat » en les « repensant comme des microclimats » à même de réduire la cause du changement climatique et de lutter contre ses effets. Grande invitée du festival, Christiane Geoffroy lira des extraits de son livre Climatic Species (2022) et s’entretiendra avec le critique Vincent Poli à l’issue de la projection de son film éponyme de 2018. L’artiste, qui travaille sur les questions des changements climatiques et l’anthropocène, en étroite relation avec la communauté scientifique, réfléchit à la manière dont une société plus juste pourrait advenir. « Dans mes recherches sur l’animisme, explique-t-elle, les chercheurs m’aident à arpenter des territoires connus et inconnus, emplis de doutes et de questionnements. J’évoquerais ici juste leurs noms, mais chacun mériterait beaucoup plus : Philippe Descola, Donna Haraway, David Graeber, Val Plumwood, Thom Van Dooren, Malcolm Ferdinand, Anna Tsing, Achille Mbembe, Vinciane Despret, Nastassja Martin, Eduardo Viveiros de Castro… Le décolonial est pour moi fondamental, car il permet de créer d’autres points de vue sur le vivant. » Appelée de ses vœux par Estelle Zhong Mengual – absente du programme – dans son essai Apprendre à voir paru en 2021 (voir Gazette n° 36 du 15 octobre 2021, page 238 ), l’histoire environnementale de l’art reste à inventer, et les humanités environnementales n’en sont qu’à leurs balbutiements. L’absence de certains des rares spécialistes qui se sont lancés dans cette voie est d’autant plus regrettable, que ce soit la spécialiste du paysage et de la forêt de Fontainebleau Chantal Georgel, Olga Vassilieva-Codognet, dont une partie des recherches porte sur l’iconographie des catastrophes naturelles, l’experte en anthropologie de la nature dans la Grèce antique Adeline Grand-Clément, ou encore l’archéologue environnemental Christophe Petit.
Regards belges
« À la place d’une histoire de l’art nationale, le festival racontera des histoires multiples », promet le programme qui invite « à une histoire de l’art sans frontières, à une histoire du dialogue et de la complexité géographiques ». Ralph Dekoninck rappelle que « la Belgique est un carrefour et peut-être même un creuset où différentes traditions scientifiques, mais aussi artistiques, ont pu se mélanger harmonieusement, mais aussi parfois avec certaines tensions. » Pour lui, le Festival de Fontainebleau « joue un rôle moteur dans les rapprochements entre les communautés scientifiques. C’est non seulement une opportunité rare de rencontre, à une telle échelle, entre deux pays, mais c’est aussi une belle occasion pour le pays invité de se retrouver dans un contexte où les différents milieux de l’histoire de l’art (académique, muséal, culturel) peuvent se croiser, avec en plus cette chance, pour la Belgique, de faire dialoguer les communautés francophones et néerlandophones du pays. Chose assez paradoxale, il faut se rendre à Fontainebleau pour faire cette expérience ! » Lors d’une table ronde, il présentera avec Brigitte d’Hainaut-Zveny un projet collectif portant sur l’historiographie belge de l’histoire de l’art entre 1830 et 2000. Avec Jan Blanc et Nico Van Hout, ils reviendront aussi sur la nouvelle muséographie du Musée royal des beaux-arts d’Anvers (voir Gazette n° 39 du 4 novembre 2022, page 200), qui ne fait pas l’unanimité. Krista De Jonge et Alexandre Gady parleront, eux, d’architecture « à la mode de Bourgogne » dans le comté de Flandres et le duché de Brabant, et de la difficile restitution des résidences perdues de Bruges, Gand, Lille et Bruxelles dans leur « état bourguignon ». Ingénieure et architecte de formation, professeure d’histoire de l’art à l’université catholique de Louvain, Krista De Jonge envisage le climat de cette manière : « Un défi à relever dans mes études des techniques de construction des XVe-XVIIe siècles dans les anciens Pays-Bas. Les témoignages sont rares, mais les architectes de l’époque que j’étudie, étaient conscients, je crois, de la symbiose entre construction et climat. En effet, Hans Vredeman de Vries, immigré de la Frise, actif à Anvers à la fin du XVIe siècle, explique en 1577 certaines coutumes en renvoyant au climat.» Sans surprise, les Primitifs flamands Hubert et Jan Van Eyck seront sur le devant de la scène : Hélène Dubois, de l’Institut royal du patrimoine de Bruxelles, reviendra sur la restauration récente du célèbre retable de L’Agneau mystique de la cathédrale de Gand, tandis que Sophie Caron détaillera celle en cours de La Vierge et l’Enfant au chancelier Rolin au Louvre. Autre star, flamande et de la peinture baroque cette fois, Pieter Paul Rubens. Comment l’exposer en ce début de XXIe siècle ? Des conservateurs en charge de son œuvre au Louvre, au Musée royal des beaux-arts et à la maison Rubens à Anvers en débattront, quand d’autres experts réinvestiront son processus créatif et ses paysages tardifs à nouveaux frais. James Ensor, René Magritte et Hergé n’ont pas été oubliés non plus. Avec, toujours, le Salon du livre et de la revue d’art et les rendez-vous incontournables du festival que sont les actualités du patrimoine, les rencontres professionnelles et étudiantes, avec le concours « ma thèse en 180 secondes », et l’Université de printemps d’histoire des arts à destination des enseignants.