Pendant son exercice, le commissaire-priseur parisien domina le marché mondial des enchères. Son petit-fils, François Bédier, a conservé les traces de ce glorieux ancêtre et de son activité.
À l’époque, on ne saurait l’oublier, la France était au centre du marché de l’art mondial. Jusqu’aux années 1960, Paris occupait en effet la première place en termes d’enchères au niveau international. Principal commissaire-priseur français pendant la durée de son exercice, qui s’étendit de 1900 à 1931, Fernand Lair-Dubreuil (1866-1931) fut aussi le premier opérateur de ventes aux enchères au monde loin devant les auctioneers britanniques Christie’s et Sotheby’s, qui n’avaient pas encore opéré la mue liée à leur internationalisation, survenue ultérieurement, au cours des années 1960.
Le maître du marteau
Même si, lors de son décès, certains journaux se sont plu à créer la légende dorée d’un commissaire-priseur qui, parti de rien, serait parvenu à hisser son étude au sommet, Fernand Lair-Dubreuil était certes provincial d’origine un Normand pur sucre , mais en rien d’extraction modeste. Fils unique de notaire à Argentan, il avait pu revendre la charge familiale et avait, de surcroît, effectué un «beau» mariage. Devenu quelque temps clerc dans la plus grande étude d’avoués de Paris, il avait en effet épousé la fille de son patron. C’est ainsi qu’il put racheter l’office de maître Duchesne, glorieux commissaire-priseur, qui avait lui-même organisé rien moins que les ventes Talleyrand et Goncourt ! Infatigable travailleur lors de son décès, beaucoup allèrent jusqu’à expliquer ainsi sa mort précoce, à 65 ans , très élégant, mondain, séduisant et formidable vendeur, maître Lair-Dubreuil, surnommé «le prince des commissaires-priseurs» ou «le maître du marteau», possédait certes toutes les qualités pour développer son étude, mais évoluait encore dans un cadre qui n’était guère concurrentiel. À son époque, l’activité reposait en grande partie sur un réseau de correspondants, principalement notaires ou huissiers de justice, qui se recrutaient dans le cadre familial et rendaient très difficile de bouleverser la hiérarchie entre offices. S’il parvint à développer encore son activité et fut de toutes les grandes ventes du premier tiers du XXe siècle, maître Fernand Lair-Dubreuil avait acquis une étude déjà florissante, qu’il hissa au plus haut. Commissaire-priseur incontournable, il orchestra parfois seul certaines de ses plus belles ventes, mais aussi, bien souvent, en y associant plusieurs de ses confrères, qui ne pouvaient se passer de ses réseaux d’acheteurs et de son talent pour tirer le meilleur prix des objets offerts aux enchères. Parmi ses hauts faits figurent, avant la Première Guerre mondiale, la vente David-Weil en 1902 ainsi que la vente Doucet en juin 1912, le grand couturier étant alors au faîte de sa célébrité. Le Tout-Paris élégant et mondain assistait à l’événement chaque place devait être occupée une heure et demie avant le début des vacations ! , qui dura quatre jours et rapporta 14 millions de francs. Même le tout-venant attint des prix étonnamment élevés, le lot phare, un magnifique Portrait de Louis Duval de l’Épinoy (1696-1778) par Quentin de Latour, étant pour sa part cédé pour 600 000 francs à Henri de Rothschild. Le prix faramineux qui avait été atteint par L’Angélus de Millet lors de la vente Secrétan de 1889 (553 000 francs) était enfin battu. Après-guerre, la vente Degas totalisa 11 millions de francs, et celle du collier de Madame Thiers, en juin 1924, entra dans l’histoire par une enchère vertigineuse. On peut aussi citer la vente Gangnat des 24 et 25 juin 1925, qui comptait… 160 tableaux de Renoir, accompagnés de quelques productions de Cézanne et Vuillard ! Vu le nombre d’œuvres mises simultanément sur le marché, un an de préparation fut nécessaire, et il fallut faire venir les courtiers américains pour que la cote du peintre ne s’effondre pas ! Signalons que la vacation n’eut pas lieu à la galerie Georges Petit, où se déroulaient les plus belles ventes et où officiait fréquemment maître Lair-Dubreuil, mais simplement à l’Hôtel Drouot. Si, au cours de sa carrière, bien des chefs-d’œuvre de l’impressionnisme passèrent entre ses mains, le commissaire-priseur n’éprouvait guère d’inclination pour l’art qui lui était le plus contemporain, son goût, très bourgeois, se portant essentiellement sur le XVIIIe siècle français. Le 10 mai 1931, l’opérateur organisa encore la vente de la duchesse de Berry, composée de mobilier Charles X. Principal pourvoyeur de la bourse commune de résidence, maître Lair-Dubreuil était très apprécié de ses confrères, dont beaucoup avaient, «grâce à lui», une activité très réduite se confondant parfois même avec une quasi-rente, et il fut président de la Chambre nationale des commissaires-priseurs.
Maurice, puis étienne ader
Après un accident cardiaque, et avant de décéder un an plus tard le 28 décembre 1931, très affaibli pendant de nombreux mois, maître Lair-Dubreuil avait cédé, le 15 décembre 1930, son étude à celui qui était son clerc depuis dix ans, Maurice Ader, lui aussi fils de notaire. Il faut préciser que notre homme fut «frappé par le sort» c’est ainsi que les commissaires-priseurs concevaient alors les choses ! en ayant quatre… filles. Bien que la profession fût ouverte aux femmes en 1924, et bien que la première femme commissaire-priseur eût été nommée en 1928, il fallut attendre les années 1970 pour qu’une femme exerce à Paris. Autre coup du sort, après quelques mois d’activité, Maurice Ader devait décéder à son tour, et être remplacé par son propre frère, Étienne, qui allait lui aussi devenir un ténor de la profession. De maître Duchesne à maître Lair-Dubreuil, puis à maître Ader et à ses successeurs Ader-Picard-Tajan, l’étude allait rester durablement la plus prestigieuse de France.