L’histoire de l’imposante demeure, près d’Innsbruck, est entièrement liée à celle de l’archiduc d’Autriche. Féru d’art, il y a installé sa collection personnelle dès les premiers travaux d’aménagement, en 1564.
Beaucoup d’Autrichiens, fiers du joyau patrimonial qu’est le château d’Ambras, disent qu’il est le plus vieux musée du monde, ou presque… Lorsque l’archiduc Ferdinand II (1529-1595), fils cadet de l’empereur germanique Ferdinand Ier et d’Anne Jagellon princesse royale de Bohême et de Hongrie , se porte acquéreur des lieux en 1564, il se trouve face à un amas de ruines provenant d’une ancienne forteresse médiévale détruite en 1133. Marié en secret à Philippine Welser, issue d’une grande famille de marchands et donc dépourvue de titre de noblesse, il fera don du château à son épouse après l’avoir réaménagé de fond en comble. Il est encore possible de déceler des traces de l’ancien bâtiment dans le dédale d’escaliers menant à la partie haute du château. Celle-ci abritait les appartements du couple princier. Aujourd’hui, elle héberge la galerie des portraits des Habsbourg. La partie basse, composée vers 1572 d’un ensemble d’édifices, regroupait les collections de l’archiduc, à savoir les salles d’armes et d’armures ainsi que la «chambre d’art ou des merveilles», sans oublier la séduisante salle espagnole, entièrement dédiée aux portraits des comtes du Tyrol. Afin de préserver l’éclat de ce joyau patrimonial, le Kunsthistorisches Museum de Vienne (musée des Beaux-Arts), dirigé par l’historienne d’art Sabine Haag, conserve depuis 1891 une grande partie des collections de Ferdinand II.
Une active politique d’acquisitions
Collectionneur dans l’âme, l’archiduc ne pouvait s’empêcher de rassembler ses memorabilia souvenirs des hauts faits de son époque , les armures d’apparat portées lors de fêtes somptueuses et celles ayant appartenu à d’illustres chefs militaires. L’aspect esthétique est soigneusement entretenu au regard des pièces présentées. Nombre d’entre elles se réfèrent à ses ancêtres, l’empereur Maximilien Ier et l’archiduc Sigismond dit Sigismond le Riche. Ferdinand II collectionnait aussi plusieurs types d’équipement ayant trait aux tournois de chevalerie, notamment les «joutes à armes courtoises», données lors de fêtes ou de banquets, et les «joutes à armes de guerre», exécutées lors de manifestations exclusivement dédiées aux combats. Présentés pour la plupart dans des meubles en bois de l’époque, ces objets témoignent de l’endurance physique de ces combattants fiers de leur rang. Le cercle très élitiste et hermétique de la chevalerie exigeait, en effet, outre des titres de noblesse, courage et loyauté. Des armures d’enfant sont également présentes, commandées par Ferdinand II pour ses fils, issus de son union morganatique avec Philippine Welser : une manière, sans doute, de souhaiter que sa descendance soit digne d’entrer dans les rangs de la chevalerie. Arcs, flèches, sabres, boucliers, casques, masques polychromes, fusils et mousquets à mèche provenant souvent de butins de guerre côtoient des peintures attribuées à Giovanni Battista Fontana (vers 1541-1587), décorateur et graveur au service de l’archiduc. Dans le testament de Ferdinand II, établi en 1594 un an avant sa mort , il est mentionné une «chambre d’art ou des merveilles». Celle-ci renferme la grande majorité des objets de la collection, présentés dans leur cadre d’origine : dix-huit armoires d’époque, collées dos à dos au milieu de la salle et montant jusqu’au plafond. L’ordre d’exposition reste fidèle au premier inventaire, réalisé en 1596. Réunion de tous les savoirs sur la science, le cosmos, la nature et les différentes cultures de notre planète, le cabinet d’art et de curiosités est une encyclopédie visuelle que le souverain mène à bien tout au long de son existence : les inventaires témoignent avec précision de l’agencement et de l’emplacement des objets, regroupés par matériau, sans souci de provenance ou de date. Afin d’étoffer le fonds de sa collection, constitué de pièces héritées, tels des manuscrits du Moyen Âge ou des livres de tournoi de l’empereur Maximilien Ier, il s’est lancé dans une vaste politique d’acquisitions, réalisées grâce à un réseau d’agents et de marchands acquis à son service. La série, impressionnante, des douze bustes d’empereurs romains en stuc est inspirée de celle de Titien réalisée pour le palais ducal de Mantoue. Elle a été conçue en même temps que la salle espagnole, en 1572, qui abrite vingt-sept portraits en pied des souverains du Tyrol peints par Giovanni Battista Fontana. Ce dernier n’a pas hésité à les fantasmer de façon martiale, au côté de scènes mythologiques ornant les frises des murs ouest et sud. La salle espagnole, longue de quarante-trois mètres, accueillait les fêtes organisées par l’archiduc. Créée dans le pur style Renaissance, elle surpasse d’un point de vue architectural les autres espaces du château. Le faste y est prégnant, et pour cause, Ferdinand II savourant la beauté et les festivités sans regarder à la dépense. Le plafond à caissons, en particulier, est une magnifique composition de motifs et d’essences de bois mise en œuvre par l’ébéniste Conrad Gottfried.
Une galerie pour les portraits des Habsbourg
Dans la conception architectonique de la partie haute de la demeure, les fresques jouent un rôle important, notamment dans la cour intérieure, réalisée entre 1564 et 1567. Muses, satyres, bacchanales côtoient des héroïnes de l’Ancien Testament ou Orphée jouant de la musique devant des animaux. Ce n’est qu’en 1781 que l’idée d’une galerie exclusivement réservée aux portraits des Habsbourg a pris naissance. La collection de portraits réunie par Ferdinand II compte près de mille pièces, dont seul un quart ont retrouvé leurs murs depuis 1976, le reste étant exposé au Kunsthistorisches Museum de Vienne. Géré par l’institution viennoise, le château d’Ambras est à la fois un endroit incontournable pour tout amateur de la grande époque des Habsbourg et des souverains du Tyrol, mais également un lieu de promenade et de randonnée dans le parc et ses environs. Un grand espace forestier dont la principale attraction est la grotte de Bacchus, creusée à même la roche, selon la mode importée d’Italie au XVIe siècle et à laquelle tout seigneur se devait de sacrifier. Celui d’Ambras y faisait boire du vin d’un trait à ses invités, dont les noms étaient inscrits dans des manuscrits encore conservés. La condition préalable pour attirer de nouveaux publics se résume, selon Veronika Sandbichler, directrice du château, à l’engagement pris par le musée et son personnel de donner envie de prolonger la visite en dehors des salles d’exposition : «Nous avons plus de cinq mille followers qui viennent chaque jour sur notre site web et environ quatre mille visiteurs par jour répartis entre le Kunsthistorisches Museum et le château d’Ambras, dont il est indispensable de faire tourner et connaître les fabuleuses collections.» Un défi que Vienne et Innsbruck semblent relever avec maestria.