Un petit ensemble de vases archaïques chinois s’arroge la vedette d’une dispersion. Voilà qui tombe à pic, le musée Guimet mettant lui aussi à l’honneur les bronzes rituels anciens.
Le moment ne pouvait être mieux choisi... À l’heure où nos cinq bronzes des époques des dynasties Shang (vers 1600-1050 av. J.-C.) et Zhou (vers 1050-770 av. J.-C.) prennent le chemin des enchères, une centaine de pièces de la collection Meiyintang sont présentées, jusqu’au 10 juin, au musée des Arts asiatiques de la place d’Iéna. Connus pour avoir été publiés à plusieurs reprises, ces bronzes des deuxième et premier millénaires avant notre ère n’avaient jamais été montrés au public. Aussi, ne boudons pas notre plaisir... Quant à ceux proposés aux enchères, ils aiguiseront les désirs de quelques privilégiés. À hauteur de 20 000/ 30 000 euros pour le vase de forme zhi destiné aux aliments, dont on remarque la ciselure profonde de dragons stylisés et surtout la séduisante patine vert d’eau (voir photo). Un calice gu, servant aux boissons fermentées, est pour sa part évalué à 30 000/40 000 euros. Datant de la fin de l’époque des Shang, il est orné de larges feuilles et des fameux masques animaliers taotie. L’objet le plus convoité sera sans doute cette coupe tripode jue, elle aussi destinée aux boissons fermentées. Ses atouts ? Son ancienneté et sa forme élégante, bien sûr, mais aussi son puissant décor de taotie sur fond de leiwen (motifs en spirale à angles droits symbolisant la foudre) et une marque de clan bien appliquée. Son pedigree ne manque pas non plus de prestige, puisqu’elle a appartenu au collectionneur anglais George Aristides Eumorfopoulos (1863-1939), dont le Victoria & Albert Museum et le British Museum de Londres conservent des pièces d’art chinois, coréen et du Proche-Orient.
C’est environ deux mille ans avant notre ère que débute en Chine l’âge du bronze et c’est dans le bassin moyen du fleuve Jaune que seront découverts des armes, des plaques d’ornements et des vases rituels. En effet, contrairement à l’usage des autres civilisations, ces bronzes n’ont pas de vocation utilitaire, mais sont employés par les prêtres devins à des fins magiques ou lors des cérémonies. Dès le XIXe siècle avant Jésus-Christ ils sont offerts aux âmes des ancêtres royaux, afin d’entrer en communion avec eux et solliciter leur puissance, notamment sur le champ de bataille. Il s’agit aussi de chasser les esprits malveillants et de marquer la légitimité du souverain, chargé d’assurer le lien avec le Ciel. Aux périodes Shang et Zhou, les vases à boissons fermentées sont accompagnés de récipients destinés aux offrandes de mets et d’ustensiles à eau, pour les ablutions. Côté motifs, les rinceaux, mais surtout les masques taotie surmontés de cornes de bovidés ou de cervidés, les dragons, les serpents, les phénix ou les hiboux aux yeux proéminents captant le spectateur permettent de désigner ces bronzes comme objets de culte. Singuliers par leurs décors, ces objets le sont autant par leurs dimensions souvent monumentales, à la mesure des palais dans lesquels se déroulaient les cérémonies. À Anyang, grande cité sur la rive gauche du fleuve Jaune, fut exhumé un vase fang ding (destiné à la cuisson ou aux offrandes de viande) de plus de 1,30 mètre de haut et pesant 875 kg ! Preuve qu’on ne plaisante pas plus avec les rites qu’avec les armes...