Après la Bible, les fables de l'auteur grec pointent au deuxième rang des ouvrages le plus souvent, et continûment, illustrés dans l’histoire du livre imprimé.
Faire parler les animaux en de courts récits pédagogiques à visée morale, cette astuce narrative populaire s’est progressivement transformée en genre littéraire. Les apologues réunis sous le «label» Ésope ne viennent pas d’un texte définitif, ni d’un orignal perdu. Ils ont permis au fil des siècles une grande liberté de traduction et d’inventions, par nombre d’auteurs anonymes. Après celles du Moyen Âge, les premières compilations humanistes prétendront à l’établissement d’éditions érudites, les textes devant être les plus fidèles possibles à un «original» antique. Avant la fin du XVe siècle, on compte plus de vingt éditions illustrées différentes. Celle présentée chez Giquello & Associés au format in-folio, dans sa première reliure en peau de truie, date de 1501. Elle fut imprimée à Bâle par Jacob von Pfortzen. On y trouve tout le répertoire ésopique issu de la tradition. Une collection de textes divers, établie au IIe siècle (les fables de Romulus), celles attribuées à Ésope, les Fabulae extravagantes, celles du poète romain Avianus et les Fabulae collectae rassemblant des pièces de Pierre Alphonse et des facéties du Pogge (1380-1459), un érudit florentin. Et, de coutume, une Vie d’Ésope y est incluse, considérée aujourd’hui par les spécialistes comme l’un des premiers romans grecs… Une des originalités et raretés de cette édition est d’y joindre une seconde partie, due à l’humaniste strasbourgeois Sébastien Brant, l’auteur de La Nef des fous (Das Narrenschiff), un poème allégorique et satirique en 7 000 vers. Ces 140 fables, sans doute réinterprétées à partir des sources antiques, sont dédiées par Brant à son fils Onophrius pour servir à son instruction.
Un genre renouvelé
Les fables d’Ésope ont laissé quelques-unes des plus belles illustrations du XVe siècle. John J. McKendry, dans son ouvrage Aesop Five Centuries of Illustrated Fables, caractérise le premier modèle d’image qui leur est rattaché. Il est à la fois hors du temps et sans lieu précis : «Dans ces éditions, les animaux sont simplement dessinés, avec un minimum de fond, un arbre peut-être, ou un groupe de bâtiments si le cadre est urbain» ; d’où le trait parfois qualifié d’archaïque des 193 figures illustrant la Vie d’Ésope et les fables (la première partie de l’ouvrage). Celles-ci sont presque toutes reprises d’une publication bâloise imprimée vers 1490, comprenant elle-même des copies des illustrations de l’édition de Johann Zainer, à Ulm, en 1476. En revanche, les 140 bois gravés des fables de Sébastien Brant renouvellent complètement le genre. Ils sont exécutés par un autre artiste, jusqu’à aujourd’hui non identifié. Son style expressif allie contraste et modelé. Le graveur intègre de nombreux détails, qui nous renseignent sur la vie quotidienne. Son travail est à rapprocher, selon l’expert de la vente Dominique Courvoisier, des gravures choisies par l’imprimeur et éditeur strasbourgeois Grüninger à la même période. Mais la tradition iconographique serait incomplète sans le portrait de l’auteur ! Au verso de la page de titre, une célèbre image en pied du fabuliste bossu et difforme – et tout en symboles – semble prendre un malin plaisir à nous instruire de ses leçons de vie.