Longtemps menacés de disparition, les musées des Tissus et des Arts décoratifs de Lyon ont finalement été sauvés. Leur nouvelle conservatrice, en charge du projet scientifique et culturel, ne manque pas d’ambition pour un lieu totalement repensé.
À quand remonte l’existence du musée des Tissus ?
À l’origine, le musée d’art et d’industrie de Lyon, imaginé par Natalis Rondot, devait regrouper des tissus et des objets d’art : toutes les œuvres devaient être rapprochées de produits de l’industrie provenant de tous les pays et de toutes les époques. Il fut inauguré en mars 1864.
Quel est le tournant de son histoire ?
En juin 1919, les grands industriels lyonnais constituent la Société d’encouragement dédiée au développement des musées de Lyon. Après avoir acquis l’hôtel de Lacroix-Laval le 27 janvier, ses nouveaux propriétaires décident de le donner à la chambre de commerce pour créer un musée des arts décoratifs inspiré du Victoria and Albert Museum de Londres. Seule condition : accepter de l’administrer et d’en supporter les charges. Dès sa fondation, il sera intimement lié au musée des Tissus et partagera une direction commune avec lui. L’origine de sa création ? La formation du goût ! Son inauguration a lieu en juin 1925. Il sera considéré dans le monde entier par les historiens, les scientifiques et les amateurs de textiles anciens comme un centre de ressources unique. Après la Seconde Guerre mondiale, le musée des Tissus, établi au palais de la Bourse, viendra s’installer à proximité, dans l’hôtel Villeroy. Au cours des décennies passées, les deux institutions se sont constamment enrichies et les activités de recherche se sont développées, mais les contraintes et les ambitions n’ont pas toujours été accompagnées des augmentations de moyens qui auraient permis un rayonnement international.
D’où viennent les fonds des musées ?
La plus remarquable collection de textiles au monde, avec 2,5 millions de pièces couvrant plus de quatre mille cinq cents ans d’histoire, a été réunie au fil des générations par les grandes familles d’industriels lyonnais à l’occasion de ventes. Elle offre un témoignage exceptionnel du patrimoine textile de l’humanité. Quant à la collection du musée des Arts décoratifs, qui occupe les deux premiers niveaux de l’hôtel de Lacroix-Laval, elle provient de l’ancien musée d’art et d’industrie, du musée historique des Tissus, de dons, de legs, de prêts ou de dépôts. Nous possédons l’un des plus grands ensembles de tissus coptes et parmi les plus belles majoliques, mais aussi des armes, des monnaies, des médailles… Un véritable inventaire à la Prévert, avec beaucoup de collections orphelines, car nous avons manqué de conservateurs.
Quelles sont les pièces les plus importantes, les plus connues ?
Le pourpoint de Charles de Blois, lampas lancé sur fond satin de cinq soies, filé de baudruche dorée, est l’une de nos plus belles œuvres du Moyen Âge. Il y a aussi tout ce qui vient des fouilles d’Antinoë, dont une tunique plissée de l’Égypte antique, datant de la Ve dynastie. Notre fonds de broderies médiévales est également très riche, tout comme celui de dentelles et de tapis orientaux.
Et quelles sont les plus originales, étranges, intéressantes ?
Une chaussure du début du XVIe siècle en patte d’ours, une maquette de bombyx, ce papillon dont la chenille est le ver à soie, et un portfolio de photographies de Charles Marville, avec notamment des vues de tous les lampadaires de Paris.
Le musée a-t-il des lacunes ?
Dans les collections textiles, c’est difficile à dire, car les pièces sont délicates à chiffrer. Il n’y a jamais eu de récolement complet. Mais je pense que nous sommes assez exhaustifs. Notre plus grande lacune concerne probablement les pièces africaines ou sud-américaines. Pour les arts décoratifs, les œuvres du début du XXe siècle font défaut.
Pourquoi le musée des Tissus a-t-il été menacé de fermeture ?
La spécificité des collections textiles et des bâtiments historiques qui les abritent représente des contraintes fortes. Le poids financier des deux musées ne pouvait plus être supporté uniquement par la chambre de commerce. Celle-ci a donc cherché des partenaires. C’est finalement la Région Auvergne-Rhône-Alpes, présidée par Laurent Wauquiez, qui s’est portée volontaire pour le sauver… car le textile, c’est Lyon, mais aussi la région ! Unitex, le syndicat régional des professionnels de la filière, a souhaité soutenir le projet et a créé un fonds de dotation pour contribuer à son rayonnement.
Comment sont financés les travaux ?
Le plus gros bailleur de fonds est la Région Auvergne-Rhône-Alpes, à hauteur de 50 millions d’euros pour rénover les hôtels de Villeroy et de Lacroix-Laval, et conduire les travaux permettant la transformation complète de la présentation muséale Le ministère de la Culture apportera 5 millions d’euros. Quant à la chambre de commerce et d’industrie Lyon Métropole - Saint-Étienne - Roanne, elle a voté le transfert de propriété des deux hôtels particuliers à la Région. Une campagne de financement participatif, lancée le 12 mars dernier, a rencontré un grand succès populaire : plus de 200 000 € de dons ont été récoltés, auprès de mille cinq cents contributeurs de tous horizons, amoureux du patrimoine, particuliers ou entreprises.
En quoi consiste la rénovation ?
Il s’agit d’un projet culturel, muséographique et architectural ambitieux. Le musée, qui existe depuis cent cinquante ans, doit effectuer une mue complète pour devenir une institution exemplaire du XXIe siècle ! Des travaux de grande ampleur vont être lancés. Le chantier des collections, c’est-à-dire étude, tri, inventaire, état sanitaire… sera très coûteux et prendra deux ans. Le chantier architectural est prévu quant à lui en deux phases pour éviter la fermeture pendant les travaux. Ceux-ci débuteront dans l’hôtel Lacroix-Laval en 2020.
Quelles sont les ambitions du nouveau projet ?
Rendre sa place à ce musée qui est connu de tous les spécialistes, mais peu du grand public. En faire un lieu culturel et scientifique de référence. Devenir une institution exemplaire pour la présentation des collections, la recherche, l’autofinancement, avec boutique, restaurant, salle de cours, auditorium, fab lab… Valoriser l’atelier de restauration.
Que pouvez-vous nous dire du comité scientifique ?
C’est un comité de haute volée, conduit par Sophie Makariou, présidente du musée national des Arts asiatiques - Guimet, qui réunit des personnalités, des experts et des universitaires pour contribuer à l’élaboration du projet muséal et réfléchir au parcours des collections permanentes. Il est également très varié, avec Henri Loyrette, ancien président du musée du Louvre, Guillaume Verzier, président de la manufacture Prelle, Aurélie Samuel, directrice des collections de la fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent, mais aussi des designers, des conservateurs…
Le comité d’honneur, présidé par Stéphane Bern, est composé de personnalités du monde de la couture et de celui des médias, relais essentiels dans la promotion des musées.
Quelle est la politique d'acquisition ?
Elle est pour l’instant en suspens, dans l’attente du résultat du chantier des collections, qui nous permettra de souligner nos forces et nos faiblesses.
Y a-t-il des musées équivalents en France, ou dans le monde ?
En France, il n’en existe pas dans le domaine du textile. Les musées sont en général spécialisés dans des techniques ou des époques. Aucun ne possède une collection encyclopédique comme la nôtre. Au niveau international, certaines grandes institutions, comme le Metropolitan Museum of Art de New York, ont des départements spécifiques, mais aucune ne détient un fonds aussi pléthorique. Notre but est d’être un reflet du patrimoine textile mondial. Une belle ambition !