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Enchère magistrale pour Cimabue à Senlis

Résultat 24 180 000 EUR
Publié le , par Philippe Dufour
Vente le 27 octobre 2019 - 14:30 (CET) - Manège du quartier Ordener - 6-8 rue des Jardiniers - 60300 Senlis

Très exactement 24 180 000 € : c’est à ce prix qu’a été décroché Le Christ moqué, ce petit panneau du maître toscan (20 26 cm).

Cenni di Pepo, dit Cimabue (connu de 1272 à 1302), Le Christ moqué, peinture à l’œuf... Enchère magistrale pour Cimabue à Senlis
Cenni di Pepo, dit Cimabue (connu de 1272 à 1302), Le Christ moqué, peinture à l’œuf et fond d’or sur panneau de peuplier, 25 20,3 cm.
Adjugé : 24,18 M€

En quelques minutes seulement, l’œuvre si convoitée de Cimabue a grimpé vers les sommets, à partir d’une estimation de 4 à 6 M€. Quand Me Dominique Le Coënt lance la mise à prix à 3 M€, ils sont huit enchérisseurs, dont trois dans la salle. Très vite, on est déjà à 9,2 M€ et à ce palier, les marchands italiens mènent la danse. Parmi eux, Giovanni Sarti fait face, entre autres, à Éric Turquin, représentant un grand musée, et plusieurs téléphones. Mais, à 13,5 M€, ils ne sont plus que deux à enchérir, dans un duel qui se solde par un coup de marteau à 19,5 M€. Une chose est sûre : il a été donné en faveur de Francesco Ortenzi, œuvrant au premier rang, pour le marchand florentin Fabrizio Moretti… qui aurait lui-même acheté pour deux mystérieux collectionneurs. Demeure également une inconnue décisive : celle de la licence d’exportation, qui n’a pas été encore accordée. Désormais, le Christ moqué devient l’œuvre de tous les records, comme l’annonce la maison Actéon : «Le Primitif (c’est-à-dire pré-1500) le plus cher au monde, ainsi que le huitième tableau ancien le plus cher derrière, par exemple, le Salvator Mundi de Léonard de Vinci [Christie’s New-York, 2017] ou encore Le Massacre des Innocents de Pierre-Paul Rubens [Sotheby’s Londres, 2002]. Ainsi que la plus haute enchère de l’année en France !» Il est vrai qu’il s’agissait de la seule œuvre de Cimabue demeurée en mains privées et donc à portée de bourse (très bien garnie), des plus grands musées ou collectionneurs de la planète. Sa découverte dans l’Oise, chez la dernière représentante de trois générations de femmes qui avaient été les passeuses du panneau, sans en connaître l’auteur, avait déjà retenti comme un miracle. Car on a retrouvé deux autres petits panneaux semblables à la Frick Collection de New York et la National Gallery de Londres, comme lui issus d’un diptyque démembré à une date indéterminée, et qui en confirmaient l’incroyable paternité.
 

DÉCRYPTAGE

Un Christ moqué… et très envié

Après la vente et l’enchère record recueillie par le panneau de Cimabue, les hypothèses vont bon train concernant son ou ses acquéreurs, alors même que le tableau reste en attente de son certificat d’exportation.

Par Carole Blumenfeld

Dimanche, le président directeur honoraire du musée du Louvre, Michel Laclotte, fêtait ses 90 ans en regardant sur son écran les enchères en ligne. Si le Louvre avait préempté Le Christ moqué, l’institution aurait offert au fondateur du musée du Petit Palais, qui a tant œuvré pour la promotion des Primitifs italiens, le plus beau des cadeaux. Qui sait ? Avant la vente, Dominique Le Coënt avait pris soin de rappeler les conditions : «Il vous incombera de prendre à votre charge les frais d’assurance et de stockage», mais «pas de paiement tant que nous n’aurons pas de licence d’exportation». Même s’il avait été possible de réunir en urgence la commission consultative des trésors nationaux – un point non prévu dans les textes –, la maison Actéon ne lui aurait pas laissé assez de temps pour rendre un avis tant la demande de certificat a été déposée tardivement. Un mal pour un bien : comment aurait-il été possible de proposer une estimation pour l’œuvre d’un artiste qui n’avait pas de cote ? À Senlis, une dizaine de personnes se sont montrées capables de prendre le risque de devoir attendre trente mois et éventuellement de ne jamais devenir propriétaire de ce tableau de près de 740 ans d’âge. Huit d’entre elles ont en effet participé aux enchères, certaines opérant en binôme, et deux potentiels acheteurs ne sont pas même parvenus à lever la main tant les enchères se sont envolées. La présence au fond de la salle de Nicole Garnier, conservateur général du musée Condé ou de Thomas Bohl, du musée du Louvre, n’a pas suffi à inquiéter les acheteurs étrangers. Aurait-il seulement été possible de préempter le tableau à un tel prix ?

La piste Alana
Si la France décidait de ne pas classer «trésor national» ce trésor mondial, il pourrait peut-être rejoindre, sur les cimaises du musée Jacquemart-André, les autres «Chefs-d’œuvre de la peinture italienne» de la collection Alana, exposés jusqu’au 20 janvier prochain. Habitué à enchérir en ventes publiques pour Álvaro Saieh et Ana Guzmán, Francesco Ortenzi, qui travaille pour le marchand florentin Fabrizio Moretti, aurait décroché l’enchère finale pour un client dont il a refusé de révéler le nom. Cependant, toutes nos sources italiennes et américaines confirment la piste Alana. Cela rappelle une autre anecdote. En juin dernier, Éric Turquin, contraint par une clause de confidentialité, avait refusé de confirmer l’identité de l’acheteur du «Caravage de Toulouse», Tom Hill, publiée en avant-première dans la Gazette Drouot. Mais l’œuvre a bien rejoint sa collection. Dans les heures qui ont suivi la vente, dimanche, Fabrizio Moretti a déclaré au New York Times avoir agi pour le compte de deux collectionneurs – le couple Saieh-Guzmán, même si cela laisse planer le doute sur une éventuelle association avec un autre amateur new-yorkais. Quoi qu’il en soit, la collection Alana ne «possède» pas à ce jour le tableau de Senlis. Le sort de celui-ci devrait être scellé d’ici trois mois et demi, délai légal du ministère pour statuer. Un coup de théâtre pourrait se produire si Álvaro Saieh décidait de conserver le tableau en France en cas de refus de certificat.
À ce stade, les grands perdants sont plutôt le Getty Museum, qui a été obligé d’abandonner en bout de course dimanche, et le Metropolitan Museum of Art, qui aurait rêvé d’accrocher le Cimabue près de la Vierge à l’Enfant de Duccio, dont l’acquisition pour 45 M$ avait fait tant parler en 2004. Si le Louvre décidait de ne pas acheter le Christ moqué, tous les espoirs ne seraient pas évanouis : seuls La Flagellation du Christ (New York, Frick Collection), La Madonne et l’Enfant au trône (Londres, National Gallery) et le Christ moqué sont réapparus, tandis que les cinq autres éléments du diptyque pourraient encore être cachés, la France étant, ce que soulignait Stéphane Pinta en préambule de la vente, «le grenier du monde».


 

Pas de passeport
pour Cimabue et Gainsborough

Par arrêté publié le 20 décembre au Journal officiel, le ministre de la Culture, Franck Riester, a refusé le certificat d’exportation demandé le 14 octobre pour le panneau de Cimabue illustrant un Christ moqué, adjugé au prix record de 24 M€ à Senlis, chez Actéon le 27 octobre (voir l'article Enchère magistrale pour Cimabue à Senlis de la Gazette 2019, n° 37, page 157). La Commission consultative des trésors nationaux avait déjà souligné le caractère exceptionnel de l’œuvre, laquelle constitue «une redécouverte majeure récente». L’État dispose d’un délai de trente mois pour réunir la somme qui lui permettra de se substituer à l’acquéreur de ce nouveau trésor national.

dimanche 27 octobre 2019 - 14:30 (CET)
Manège du quartier Ordener - 6-8 rue des Jardiniers - 60300 Senlis
Actéon - Compiègne Enchères
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