Sa 27e édition transforme une nouvelle fois l’ancienne Bourse en palais des découvertes, et effeuille avec délicatesse les multiples pétales d’un médium qui éclot avec le retour du printemps.
Le printemps tant attendu sur la capitale apporte avec lui le retour d’une nouvelle saison artistique, dont le Salon du dessin demeure l’acmé. À chaque édition désormais, de jeunes pousses grandissent sur les murs. Yves Zlotowski, dont la galerie y expose depuis dix ans, l’exprime clairement : «Les amateurs d’art moderne adorent l’ambiance du Salon du dessin, plus intimiste, plus accessible et moins frénétique que celle des grandes foires». Et une belle harmonie règne entre les habitués et les nouveaux. Ces derniers seront au nombre de cinq : les Londoniens Lowell Libson & Jonny Yarker Ltd et Omer Tiroche, la Zurichoise Annemarie Verna, la maison Rosenberg & Co de New York et Onno Van Seggelen Fine Arts de Rotterdam. Tous sont heureux d’être dans les petits papiers des organisateurs.
Rosso su rosso
Mais on vient aussi au palais Brongniart pour y admirer de belles œuvres de maîtres anciens, car si ces feuilles sont de plus en plus rares sur le marché tant des ventes aux enchères que des foires internationales chacun sait qu’au Salon du dessin il peut s’attendre à être heureusement surpris. Cette édition enfonce le trait en mettant en avant une apparition : une Tête de saint Jean-Baptiste dessinée à la sanguine sur fond de lavis de sanguine la fameuse technique du rosso su rosso de Léonard de Vinci , entre 1510 et 1520, par Cesare da Sesto (1477-1523) l’un des meilleurs élèves du maître florentin. Il s’agit d’une étude pour la Salomé du Kunsthistorisches Museum de Vienne, et plus encore que sur l’œuvre définitive, la tête du saint, dépouillée et extraite du contexte de la composition, frappe par son intensité dramatique. Une vraie fierté que cette découverte pour Matthieu de Bayser, puisque seuls trois dessins préparatoires au même tableau étaient jusque-là connus (Windsor Castle, Academia de Venise, Berlin), dans un corpus pour lequel la monographie de référence, publiée en 1994, comporte cent numéros seulement, dont cinquante appartenant au même album conservé à la Morgan Library de New York.
Saint Jean-Baptiste sera aux côtés du Portrait de son fils Arï par Odilon Redon, pour lequel le crayon noir a été retenu, qui entre ici en résonance avec Le Prisonnier ou le Captif du même artiste, un fusain sur papier réalisé vers 1880 et appartenant aux collections du musée des beaux-arts de Nantes. La présentation de ces deux œuvres d’une profonde intériorité n’est pas anodine, renforçant les liens entre les marchands et les institutions culturelles. D’aucuns des exposants s’entendent d’ailleurs à suivre l’actualité muséale. C’est le cas de la galerie AB, qui accroche une Étude pour Quatre histoires de blanc et noir de Frank Kupka (1871-1957), du Bruxellois Éric Gillis qui choisit une encre figurative du même, Le Château, et d’Hélène Bailly avec une délicate Maternité sur fond de feuille d’or de Léonard-Tsuguharu Foujita (1885-1968). Le premier artiste occupe les cimaises du Grand Palais pour une rétrospective débutant le jour même de l’ouverture de ce salon, le second, celles du musée Maillol. La sanguine et le crayon noir sont deux techniques différentes, chacune parfaitement choisie, comme c’est le cas également du graphite ou «mine de plomb» de la Tête de vieillard penchée et tournée vers la droite d’Adolph Friedrich Erdmann von Menzel (1815-1905), accrochée chez W.M. Brady & Co. C’est bien ce qui fait le petit supplément d’âme de la discipline : il n’existe pas un type de dessin mais plusieurs, tant tous sont différents, au-delà même des qualités artistiques de leur auteur, par les diverses techniques explorées. Le choix de l’une ou de l’autre, ou l’association de plusieurs d’entre elles, n’est jamais innocent.
Magnifier le sujet
Lorsque Charles-Antoine Coypel (1694-1752) engage le pastel pour traduire son Allégorie du printemps ou de l’odorat (Marty de Cambiaire), il ne se trompe pas : son velouté séduisant traduit parfaitement les traits charmants de son modèle incarnant le renouveau printanier. Il en va de même pour les trois crayons employés pour un Portrait de Joseph-Valentin-Blaise Marty, par Jean-Martial Fredou de La Bretonnière (1710-1795). Le trio formé par la sanguine, la craie blanche et la pierre noire donne sa couleur à la psychologie du noble personnage représenté (Grässle-Härb). Quant à l’aquarelle, ne contribue-t-elle pas à magnifier la grandeur du Paysage de montagne de Jean Jacques François Le Barbier (1738-1826), rappelant la petitesse de l’homme devant l’immensité de la nature (galerie Nathalie Motte Masselinck) ? Et que dire des rehauts de gouache rouge, évocation criante du sang dégoulinant de la tête d’une Martyre imaginée par André Devambez, en 1913, pour illustrer un poème de Baudelaire (Talabardon & Gautier), ou du crayon noir utilisé pour fixer Six études du masque mortuaire de Napoléon par Richard Müller (1874-1954), le professeur étrange de George Grosz et Otto Dix, dont la galerie Martin Moeller & Cie présentera vingt œuvres accompagnées d’un catalogue… Cette déclinaison pourrait se poursuivre à l’envi.
Hors les murs
Avec vingt-huit institutions partenaires au lieu de vingt l’an dernier, la Semaine du dessin, qui propose un parcours hors les murs à la découverte des cabinets d’arts graphiques des grands musées, a sorti le médium d’une trop grande confidentialité. En effet, alors que le domaine de Chantilly a ouvert le sien en 2017, et enregistré cette même année une hausse de fréquentation de 3,7 % une belle santé que beaucoup de musées français peuvent lui envier , c’est au tour des «Pêcheries», le musée de Fécamp, d’aménager un tunnel des dessins dans son espace inauguré en décembre dernier. Tandis que la fondation Custodia et le musée Cognacq-Jay ce dernier cherchant à ouvrir un espace spécialement dédié à ses collections d’arts graphiques dévoileront leurs dernières acquisitions, le Centre Pompidou piochera dans son extraordinaire fonds d’œuvres sur papier pour retenir des productions de Léon Bakst, Mikhail Larionov et Natalia Gontcharova sur les arts du spectacle. Même le musée des Arts et Métiers, célèbre pour ses instruments scientifiques et techniques, a décidé de sortir les feuilles de ses tiroirs !
Dans les petits papiers du Salon
Alors que la présence ou non des grands joailliers à la Biennale Paris est une question récurrente, le Salon du dessin y a répondu à sa manière, en invitant Chaumet à exposer… ses dessins de bijoux ! Le thème retenu ? «Le diadème, des grandeurs impériales à la Belle Époque». La maison profitera de cette belle occasion pour ouvrir au public, sur inscription, ses salons du 12, place Vendôme, du 23 au 30 mars, afin d’y montrer une autre sélection de dessins elle en détient près de 55 000. En parallèle, cette 27e édition inaugure un cycle de conférences sur le thème des arts du spectacle, sous la direction de Pierre Rosenberg, offre une tribune à Olivier Meslay afin de présenter les feuilles du Clark Art Institute (voir interview page de droite) et invite le musée des beaux-arts de Nantes, récemment inauguré, à présenter une petite partie de sa collection. Il a fallu opérer un choix parmi les quelque treize mille pièces d’arts graphiques, l’idée directrice étant de faire dialoguer le fonds historique avec des acquisitions récentes et des œuvres contemporaines. Puisque l’on aborde la contemporanéité, sachez que les trois artistes nommées pour la 11e édition du prix de dessin de la Fondation Daniel et Florence Guerlain Mamma Andersson, Leiko Ikemura et Juul Kraijer, trois femmes reconnues de la scène internationale ouvriront avec talent et poésie sur l’avenir. Une fois encore, ce salon dispose de tous les atouts pour être une pépite dans le paysage parisien du printemps.