Le peintre autrichien Egon Schiele n’a cessé de décliner la figure féminine, scandalisant souvent ses contemporains. En voici une interprétation plus policée, car destinée à être largement diffusée.
Aussi spectaculaire qu’une de ses toiles malgré son petit format, cette représentation d’une femme coiffée d’un grand chapeau noir évoque un chapitre peu connu de la carrière trop brève d’Egon Schiele. Il s’agit d’une des rarissimes cartes postales que le peintre a dessinées pour les Wiener Werkstätte en 1910. Depuis 1903, la célèbre association viennoise regroupe architectes, artistes, illustrateurs et «designers» en ateliers d’arts appliqués, où sont conçus et commercialisés mobilier, objets décoratifs ou utilitaires, tissus et vêtements, autour de l’esthétique moderne de la Sécession. La section consacrée à la carte postale illustrée y voit le jour en 1907, misant sur la popularité grandissante que connaît alors ce médium bon marché. Elle va aussi pouvoir bénéficier du formidable développement des nouvelles techniques d’impression, autorisant des tirages importants, telles la chromolithographie et la photolithographie. Ce sont donc plus de mille références qui seront éditées entre 1908 et 1914, toutes numérotées – la dernière portant la mention «1012» –, avec un volume variant de 500 à 2 000 exemplaires selon les cartes. La qualité du support fait aussi son succès, puisqu’il est constitué de trois couches de papier : l’un fin pour l’image, le grammage fort au milieu et un dernier papier fin pour le dos. Celui-ci se distingue par le dessin sophistiqué de son encadrement, où s’étale largement la mention «Wiener Werkstätte».
Une certaine vision de la femme
Naturellement, les représentants les plus célèbres de la Sécession viennoise se doivent de participer à ce projet, du cofondateur de l’association (avec Koloman Moser), Josef Hoffmann, au peintre Oskar Kokoschka, tous livrant à chaque fois une création originale. D’autres, plus jeunes, vont être également sollicités. C’est le cas d’Egon Schiele, lequel vient juste de se faire remarquer à la Kunstschau de 1909. Il dessinera donc trois cartes, imprimées par le procédé de la lithographie, mettant en scène des figures féminines sensuelles et altières : une brune, une rousse et une blonde. On y retrouve le trait libéré de toute contrainte de cet artiste de 20 ans ayant claqué la porte de l’Académie des beaux-arts l’année précédente. Et en particulier ses cadrages abrupts, alliés à un usage très construit du vide, qui occupe désormais une grande surface de l’œuvre. Deux de ces visuels de Schiele, Femme au chapeau noir (réf. 290) et Femme rousse (réf. 289), estimés respectivement 1 500/2 000 et 1 200/1 500 €, seront donc proposées à Lorient, provenant de la collection d’une grande amatrice française de cartes postales. Ce sera l’occasion inespérée de redécouvrir pas moins de cent-vingt numéros issus de la fameuse production des Wiener Werkstätte. Parmi ces perles se distinguent également des séries consacrées par les ateliers à la mode, un thème très prisé du public de l’époque et où s’illustra en particulier Maria Likarz. De sa main, on se disputera ici un ensemble de six cartes lithographiques de 1912 sur les Ballets russes (1000/1 500 €). Tout un programme…