Provenant d’une importante collection particulière, quatre bronzes du XVe au XVIIe siècle évoquent l’importance acquise par cette technique à la Renaissance… et aujourd’hui auprès des amateurs.
Délaissés durant le Moyen Âge, les petits bronzes retrouvent la faveur des grands amateurs à la Renaissance, notamment à Florence dans les milieux humanistes proches de Laurent le Magnifique. Aussi l’Italie a-t-elle été le berceau de cet art qui y a connu son plein épanouissement. Ce genre se répandit durant le XVIe siècle hors de la péninsule, pour séduire le reste de l’Europe. La technique alors utilisée était celle de la fonte à la cire perdue, entraînant à chaque fois la destruction du moule, ce qui explique les variantes observées sur les exemplaires réalisés d’après un même modèle. Comme l’explique Philippe Cros, directeur de la fondation Bemberg à Toulouse, dans son ouvrage sur Les Bronzes de la Renaissance italienne (Somogy, 1996) : « À partir d’un ou plusieurs exemplaires réalisés par un maître, les élèves modelaient eux-mêmes d’autres exemplaires que l’on confiait au fondeur et lorsque l’œuvre rencontrait un grand succès, l’atelier pouvait reproduire le modèle pendant plus d’une génération, tant que l’esthétique de celui-ci n’était pas démodée. » Les sujets de ces bronzes, désormais profanes, s’inspirent d’une Antiquité réinventée par le Quattrocento italien, comme en témoignent les quatre œuvres provenant de cette collection privée deauvillaise. Décédé il y a une quinzaine d’années, l’homme à son origine était un riche industriel et financier parisien. Il avait réuni au fil des années un important et éclectique ensemble de peintures, sculptures et meubles acquis en grande partie auprès des marchands du quai Voltaire, «où il aimait se rendre le samedi matin», précise le commissaire-priseur James Fattori.
Une puissance herculéenne
Le plus ancien de ces quatre bronzes remonte à la fin du XVe siècle. Haut de 23,5 cm, «cet Hercule est à rattacher à la production des premiers petits bronzes florentins célébrant la nudité des héros de la Bible ou de l’Antiquité», précise l’experte Laurence Fligny. Son auteur présumé ? Bertoldo di Giovanni. Une attribution effectuée grâce à un rapprochement stylistique avec son Hercule teneur d’écu en bronze doré, aujourd’hui dans les collections du prince de Liechtenstein (inv. 258). Les deux statuettes présentent la même couronne de feuilles et une finesse similaire dans le traitement du visage. Bertoldo di Giovanni fut le premier grand sculpteur florentin à se consacrer presque exclusivement aux petits bronzes. Son maître n’était autre que Donatello en personne, avec qui il collabora à plusieurs grands projets, dont la seconde chaire de San Lorenzo avant d’entrer au service de Laurent le Magnifique. La figure d’Hercule était l’un de ses thèmes de prédilection : il en offrit une version en bronze à Hercule Ier d’Este à l’occasion de son mariage, en 1473. On remarquera encore l’influence tout antique dans la position de notre exemplaire, en contrapposto, ses canons et ses attributs (peau du lion de Némée, pomme d’or du jardin des Hespérides et massue manquante dans la main gauche). Le héros de la mythologie grecque poursuit sa démonstration de force dans un bronze patiné à l’antique d’une dizaine de centimètres de la première moitié du XVIe siècle, toujours italien : Hercule terrassant le lion de Némée. Connue à très peu d’exemplaires, cette sculpture s’inspirerait pour la position du héros – la jambe gauche avancée et étouffant contre sa poitrine la tête de l’animal – d’une plaquette en bronze en bas-relief de Galeazzo Mondella dit Moderno, de sa série des Travaux d’Hercule, dont des exemplaires sont conservés à la National Gallery of Art de Washington et au musée des beaux-arts de Budapest. Cet orfèvre, originaire de Vérone, s’est spécialisé dans les médailles et plaques aux sujets tant profanes que religieux… qui servirent de modèles à de nombreux artistes de son temps.
Sur une dynamique baroque
De la Renaissance à l’art baroque, il n’y a qu’un saut aisément accompli par un Cheval cabré de la seconde moitié du XVIIe siècle, proposé avec une estimation à 8 000/12 000 € (30,8 x 28,5 cm). Une création plutôt française qu’italienne, au vu de l’attitude plus austère de l’animal et de la fluidité de sa patine. Elle n’est pas sans rappeler les sculptures équestres d’artistes tels Thomas Gobert, auteur d’une statue de Louis XIV à cheval en bronze conservée au Louvre, ou Antoine Coysevox. Francesco Fanelli, grand amateur de chevaux, complète cette sélection. C’est à ce sculpteur florentin du XVIIe qu’est attribué un impressionnant groupe figurant l’Enlèvement de Déjanire par le centaure Nessus, à mettre en parallèle avec un exemplaire appartenant au Victoria & Albert Museum de Londres (inv. A.7-1953) : composition semblable, mêmes dimensions, avec cependant quelques variantes, comme la présence d’une lanière passant dans le dos du centaure. D’une construction dynamique et pyramidale, ce sujet fut particulièrement prisé à l’époque baroque. Déjanire, la dernière épouse d’Héraclès, est enlevée par le passeur Nessos au moment de traverser le fleuve Événos en pleine crue. Le centaure prend sur son dos la jeune femme et, profitant qu’Héraclès traverse à la nage, tente de l’enlever… en vain, puisque le héros lui décochera une flèche mortelle. Le sculpteur choisit le moment dramatique où Déjanire tente de s’extraire de l’emprise de Nessos, ce dernier l’empoignant férocement de ses deux bras pour la retenir. Une grande expressivité sublime ce groupe, dans lequel s’opposent le corps juvénile et idéal de la femme à celui musculeux et brut du centaure. Un bel exemple de l’art de Francesco Fanelli, qui se forma auprès de Pietro Francavilla et Pietro Tacca, deux artistes évoluant dans l’entourage du maître maniériste Giambologna, un autre adepte du bronze. Fanelli travailla longtemps à Gênes avant de partir dans les années 1630 pour l’Angleterre, où il œuvra à la cour. On connaît ainsi de lui une fontaine ornée de sirènes montant des dauphins, réalisée pour le palais de Hampton Court. De nombreuses sculptures équestres de sa main furent répertoriées dans les inventaires de Charles Ier Stuart. Du XVe au XVIIe siècle, ces quatre bronzes s’adressent à «un petit marché de connaisseurs avertis tenu par quelques marchands, œuvrant essentiellement à Londres», explique Mme Fligny. Ils pourraient ainsi profiter de l’engouement actuel pour les fontes de cette époque, rarissimes.