Un chalet dans les Alpes livre une véritable déclaration aux ours et au mobilier dit de la Forêt noire alors qu’il a été fabriqué en Suisse, le tout sculpté plus vrai que nature. La Hiho !
Près de quatre cents lots et toute une journée sont prévus pour disperser l’entier mobilier d’un chalet dans les Alpes, meublé au fil des pérégrinations d’un amateur, une véritable caverne d’Ali Baba à la mode suisse qui ne se dévoilait qu’aux intimes. En 2006 déjà, la Gazette avait consacré un article Tendances à cette spécialité aussi incongrue que charmante, le mobilier dit « de la Forêt-Noire ». Par la même occasion, se réaffirmait une vérité : ces objets d’ameublement n’ont jamais été fabriqués dans la forêt allemande bordant les Vosges – l’erreur est venue de ce qu’elle est un habitat naturel du plantigrade sculpté –, mais 150 km plus au sud, en Suisse, et plus précisément dans la région de Brienz dépendant de l’Oberland bernois. Eux aussi ont leurs ours et de plus une longue tradition de sculpture sur bois, remontant au Moyen Âge.
Des yeux de sulfure
Chamois, bouquetins, aigles, cerfs et ours deviennent naturellement des sujets de référence. Les ursidés, par la sympathie naturelle qu’ils inspirent, se taillent vite la part du lion. Non sans humour, les artisans leur font mimer des attitudes humaines. Sans doute ont-ils le souvenir des anciens bateleurs allant de village en village avec leur animal ! La bête sauvage est brave, elle accepte de se prêter à ce jeu et devient serviteur, support de banc, de parapluie et de manteaux, casse-noix, boîtes à couture, serre-livres, pendules, boîtes à musique… Pour un rendu plus expressif encore, les yeux sont incrustés de sulfure : c’est aujourd’hui un signe d’authenticité. Bien sûr, le soin apporté aux expressions et à la fourrure est un autre gage de qualité.
L’ours prospère
Les touristes ont tout de suite répondu positivement, et durant tout le XIXe siècle l’ours fait son miel. On le présente même dans les Expositions universelles, à Londres en 1851 – où l’artisanat biennois décroche ses premières médailles – et 1859, à Paris en 1867. Le public américain y fait sa rencontre et, séduit, l’adopte immédiatement. La Première Guerre mondiale mettra un terme à cette originale production de meubles et objets en bois sculpté. Le plantigrade ne se relèvera pas de « la Der des Ders », ce sont les collectionneurs qui prendront le relais. À la fin du XXe siècle, plusieurs antiquaires les présentent en vedettes dans leurs vitrines : c’est chez eux que les propriétaires du chalet demain dispersé s’est fourni avec appétit. Des ours, le couple en a mis partout – des petits, des moyens et des grands, solitaires ou en troupe ! Près de trois cents peuplaient son intérieur. Leur dispersion va débuter autour de quelques dizaines d’euros – encriers, miroirs, coffrets à bijoux, lampes, thermomètres, écritoires, cendriers, nécessaires à couture, statuettes, etc. – puis délivrer des spécimens plus rares de la fin du XIXe ou du début du XXe siècle. Cet aimable ours à ski tenant les bâtons dans ses pattes avant s’apprête à dévaler la piste entre 1 500 et 2 000 €, le banc dont deux charmants oursons soutiennent l’assise se prépare à entrer en scène à 600/800 €. Il y a encore un porte-cannes dont un ours tient une branche (1 500/2 000 €), une table écritoire d’une amusante utilité annoncée à 400/600 €…
L'air des alpages
La pièce la plus demandée dans ce style s’avère être le portemanteau. Deux modèles sont au choix, tous deux à 3 000/4 000 €, mais avec une légère variante. Sur le premier, deux oursons grimpent à la branche formant portant, peut-être envoyés pour aller chaparder du miel ; sur le second, le petit est seul, toujours tenu par sa mère, attentive. Si le plantigrade est la grande vedette de cet ensemble chantant haut et fort l’air des alpages, à ses côtés, une autre faune de montagne se déploie. Le bois des cerfs devient support de bougeoirs, lustres, banquettes, tabourets, chaises et consoles… pour des estimations comprises entre 200 et 600 €. Sur les murs, les torrents dévalent des sommets dans un paysage de sapins, sur deux toiles signées Alfred Godchaux (800/1 200 € chacune), une de Louis-Auguste Lapito (1 500/2 000 €) et bien d’autres anonymes. Quand il ne fait pas l’ours, le mobilier décline le thème des branchages – 600/800 € pour un mobilier de salon du XIXe siècle, 200/300 € pour une suite de quatre chaises à l’assise gravée de pommes de pin. Il ne sera pas nécessaire de chausser les skis pour partir à la rencontre de cet ensemble unique par sa variété, seulement de se rendre à l’Hôtel Drouot, transformé pour l’occasion en une caverne helvétique bien gardée !