Gazette Drouot logo print

Dans les petits secrets du mobilier

Publié le , par La Gazette Drouot

Rares sont les expositions dédiées à l’histoire du mobilier historique français. C’est avec d’autant plus de plaisir que l’on découvre celle consacrée aux meubles à secrets, présentée au château de Malmaison.

Jacob Frères, Georges II Jacob (1768 -1803) et François-Honoré-Georges Jacob (1770... Dans les petits secrets du mobilier
Jacob Frères, Georges II Jacob (1768 -1803) et François-Honoré-Georges Jacob (1770 -1841), bureau mécanique du Premier consul, Musée national du château de Fontainebleau, en dépôt au Musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau.
© Cécile Holstein

Une visite à Malmaison s’impose pour qui s’intéresse, de près ou de loin, au mobilier et aime en découvrir les faces cachées. Une sélection d’objets, issus de Malmaison et de collections nationales et privées, y est rassemblée autour d’un meuble à secrets de Martin-Guillaume Biennais, récemment restauré avec le concours d’étudiants de l’école Boulle. Leurs mystères sont dévoilés tout au long de l’exposition, à l’appui d’écrans digitaux illustrant leur fonctionnement le plus souvent invisible. Bien qu’ils existent depuis l’Antiquité, les meubles à secrets et à cachettes connaissent un important regain d’intérêt dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Comme l’illustrent les meubles mécaniques de Jean-François Oeben, Jean-Henri Riesener ou David Roentgen, cet engouement peut être associé à l’arrivée de ces ébénistes d’origine germanique à Paris, mais pas seulement. Il convient aussi de prendre en considération les publications (avec des textes en français) présentant, à l’exportation, les modèles à la mode réalisés par les ébénistes anglais, dont les mécaniques, secrets et cachettes étaient appréciés outre-Manche. Les raisons de posséder un meuble à secrets sont multiples, à commencer par le souci de dissimuler lettres et papiers privés aux domestiques. Il faut y ajouter l’effet de surprise voulu par le propriétaire, qui cherche à étonner ses amis, et le souci de commodité, par l’ouverture de tiroirs dissimulés dans les tables chiffonnières par exemple, vendues en grand nombre par David Roentgen : la simple pression sur un bouton dissimulé dans le fond de la ceinture du meuble permet de relâcher le tiroir, propulsé par un ressort en acier.
 

Martin-Guillaume Biennais (1764-1843), secrétaire à abattant, vers 1804-1814. Musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau, Rueil-Malmaison.
Martin-Guillaume Biennais (1764-1843), secrétaire à abattant, vers 1804-1814. Musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau, Rueil-Malmaison.Photo © RMN-GP (musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau) / Franck Raux


Caché dans les yeux du faucon…
Le concept de meuble à secrets évoque inévitablement les mécanismes mis en place pour faciliter l’accès à un compartiment secret. Ainsi, appuyer sur la tête d’une vis de charnière de son abattant joue sur un ressort qui permet l’ouverture d’une case dissimulée dans la ceinture d’un secrétaire à pente de Bernard Van Risenburgh (BVRB) de la collection Rothschild à Waddesdon Manor, au nord-ouest de Londres. Pour le médailler de Vivant Denon, conservé au Metropolitan Museum à New York, Martin-Guillaume Biennais va plus loin en concevant un poussoir camouflé dans les yeux des faucons, qui relâche un ressort propulsant les tiroirs sur lesquels ils sont incrustés. Le secret peut aussi apparaître sous la forme d’un double fond, à l’intérieur des tiroirs, ou d’un système inventé de concert par l’ébéniste et le serrurier. Qu’il s’agisse d’un simple gadget ou d’une nécessité de protéger des documents, la frontière entre la cachette et la mécanique est le plus souvent ténue : alors que les buts diffèrent, les techniques sont souvent identiques. La tendance des meubles à cachettes et tiroirs secrets se développe après 1750, alors que la sphère privée est partagée avec des domestiques et des personnels de service. Avant l’ère du dépôt à la banque, cette mode peut également être comparée à celle des mots de passe d’aujourd’hui. Avec la Révolution, le souci de la sécurité des documents privés ou secrets prend encore plus d’importance. Des actes notariés témoigneront de ce souci de dissimulation : par exemple, au moment de la prise d’inventaire après décès du duc de Praslin en 1841, à propos d’un secrétaire de Bernard Molitor, il est expressément indiqué « […] certaines cachettes avec recommandation expresse de ne les montrer à personne ». Si Napoléon utilisait une commode à multiples tiroirs et casiers secrets, conçue en 1806 par Simon-Nicolas Mansion et exposée à Malmaison, les meubles à secrets du roi sont les plus emblématiques. Le bureau à cylindre, commandé en 1763 pour Louis XV auprès d’Oeben et livré par Riesener en 1769, comporte un tiroir latéral pour remplir l’encrier une fois le cylindre fermé, interdisant ainsi l’accès aux papiers sur la tablette de travail. Le tiroir peut être ouvert en manipulant un poussoir dégageant un ressort caché sous le bord de la tablette. Sur d’autres meubles, on trouve également des tiroirs à fond double et des casiers derrière des fonds de tiroir, ainsi qu’un double fond sur les côtés, comme c’est le cas du grand bureau à cylindre de Beaumarchais exécuté en 1779 par Riesener et actuellement conservé à Waddesdon Manor.

 

Martin-Guillaume Biennais (1764-1843), signature du serre-papiers de l’impératrice Joséphine, vers 1805 -1810, Musée national des châteaux de Malmaiso
Martin-Guillaume Biennais (1764-1843), signature du serre-papiers de l’impératrice Joséphine, vers 1805 -1810, Musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau, Rueil-Malmaison.Photo © RMN-GP (musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau) / Franck Raux


La serrure pour protéger le secret…
La mode des meubles à secrets et à cachettes allait de pair avec l’intérêt porté aux serrures de sécurité, dont on trouve trace jusque dans la presse de l’époque. L’engouement de Louis XVI pour le métier de serrurier n’y était pas étranger. Avant même le secret et la cachette, la serrure, par sa complexité, était une première protection. Dans une société en ébullition, l’épisode de l’armoire du roi montre aussi à quel point le secret tient un rôle central. Pendant sa captivité aux Tuileries, Louis XVI avait fait installer un meuble à compartiments secrets dans ses appartements. C’est sur ce meuble que se ruèrent avec avidité les révolutionnaires pour découvrir qu’il ne contenait plus que des papiers d’intérêt secondaire, les plus importants ayant déjà été mis en sécurité… Point de départ de l’exposition, l’exceptionnel secrétaire réalisé par Biennais entre 1804 et 1814 est documenté dans l’inventaire après son décès en 1843. Sa multitude de tiroirs en fait l’exemple idéal d’un meuble à secrets, où l’on trouve conjuguées toutes les cachettes imaginables sur un seul et même objet. Au premier abord, il pourrait ressembler à un secrétaire à abattant issu de la production d’un Guillaume Beneman ou d’un Bernard Molitor au début du XIXe siècle, mais il n’en est rien. Ses proportions, bien équilibrées, le désignent comme un meuble destiné à la sphère privée, en opposition aux grandes pièces créées pour les souverains, notables ou administrateurs. Sa récente restauration a permis d’en retrouver tous les secrets et toutes les cachettes. En abaissant l’abattant, une multitude de casiers et de tiroirs deviennent visibles, leur retrait laissant place à d’autres casiers. Dans certains cas, ces derniers sont accessibles par l’appui sur un point précis d’ornement incrusté ou appliqué. Des interstices apparaissent entre les petits casiers, des doubles fonds permettent de dissimuler des papiers… Certains de ces secrets se retrouvent dans les meubles de Riesener, par exemple, mais en nombre plus restreint. Au cours de l’exposition, des créations contemporaines, réalisées par de jeunes ébénistes, viennent se mêler aux meubles anciens. Elles témoignent d’une inventivité toujours vivante, se traduisant aussi bien par l’ingéniosité des formes que par les fonctions disponibles.

À voir
«Meubles à secrets, secrets de meubles», Musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau,
avenue du château de Malmaison, Rueil-Malmaison, tél. : 01 41 29 05 55.
Jusqu’au 10 mars 2019.
www.chateau-malmaison.fr


À écouter
Conférence d’Ulrich Leben, dans le cadre des Rencontres des Gobelins, sur le mobilier mécanique et à secrets, le 12 février 2019, à 18 heures, au Mobilier national.
Gazette Drouot
Bienvenue, La Gazette Drouot vous offre 2 articles.
Il vous reste 1 article(s) à lire.
Je m'abonne