Cette captivante ramasseuse de fruits est en réalité l’huile sur toile préparatoire à une œuvre monumentale conservée aux Beaux-Arts de Berne dans laquelle, dès 1912, Cuno Amiet s’impose comme un précurseur de l’art moderne.
Depuis 1907, Cuno Amiet explore inlassablement le thème des récoltes de fruits. Des recherches qui atteignent leur apogée en 1912 à travers trois compositions de grand format, l’une étant non localisée, une autre ayant brûlé en 1931 dans l’incendie qui emporta le Palais des glaces de Munich. La troisième, conservée au musée des Beaux-Arts de Berne, est préparée par la présente huile sur toile : la femme ici agenouillée, remplissant son panier de kilos de fruits amassés au sol, correspond en effet au personnage du premier plan dans l’œuvre finale. En revanche, les contrastes de tons orangés, rosés et violacés laissent place à un quasi-monochrome rouge, qui a pour effet d’unifier l’humain et la nature, et d’opérer la transition entre la peau des femmes et leurs vêtements. Cette œuvre préparatoire est également plus radicale que sa version aboutie, dans sa simplicité monumentale et dans son chromatisme tranché, influencé par le travail des cubistes. L’intérêt qu’elle représente pour l’étude du travail de Cuno Amiet se double d’une provenance remarquable : elle a été directement acquise auprès de l’artiste par le collectionneur suisse Eugen Loeb, fondateur des grands magasins bernois et ami d’Amiet comme de Varlin et Tinguely. Cette composition, ainsi plusieurs fois travaillée, peut être interprétée comme une allégorie du cycle de la vie : le rouge, symbolisant la maturité, contraste avec le bleu plus froid. Le peintre suisse y propose par ailleurs des variations sur le motif du cercle, comme celui des pommes et des paniers. À l’occasion de la présentation, à l’Exposition nationale suisse des beaux-arts de Neuchâtel en 1912, du tableau des Beaux-Arts de Berne, son ami Ferdinand Hodler interroge Cuno Amiet sur les raisons de ce choix radical ; ce à quoi l’intéressé répond que ces couleurs expriment le mieux les richesses présentes sur Terre. Les défenseurs de l’avant-gardisme ont loué sa tendance à l’abstraction et sa grande subjectivité. Le philosophe Eberhard Grisebach y voit même «un grand progrès, une libération de la peinture vis-à-vis de la nature».