Réunis à Paris, les chefs-d’œuvre de la collection Chtchoukine permettent d’évoquer la frénésie d’acquisition des grands industriels russes de l’époque, sur fond d’opposition entre Saint-Pétersbourg et Moscou.
Sous le titre «Icônes de l’art moderne - La collection Chtchoukine», la fondation Louis-Vuitton vient de frapper un grand coup sur la scène des expositions. Elle est parvenu à déplacer et montrer ensemble près de la moitié des chefs-d’œuvre qui avaient été séparés en 1948, attribués alors par le gouvernement soviétique au musée d’État de l’Ermitage, à Leningrad, d’une part, et au musée d’État des beaux-arts Pouchkine, à Moscou, de l’autre. Si de semblables manifestations avaient dans le passé, par exemple à Essen en 1993, rassemblé des œuvres provenant des deux plus grandes collections russes d’avant-garde, celles d’Ivan Morozov et de Sergueï Chtchoukine, l’exposition de la fondation Vuitton est la première à ne mettre en avant que ce dernier, homme pour le moins hors du commun. Le succès «diplomatique» (?) est de taille quand on connaît la distance – respectueuse – que les deux musées observent l’un l’autre – ils sont quelque peu rivaux – et surtout l’incident que la présidente du musée Pouchkine, le Dr Irina Antonova, avait récemment provoqué en suggérant au président Poutine lui-même que tous les tableaux de l’avant-garde du XX e siècle qui avaient été envoyés à l’Ermitage revinssent justement dans leur patrie d’origine, Moscou… Ce n’est pas de la rivalité entre deux institutions qu’il s’agira ici, mais bien de celle qui opposait Saint-Pétersbourg et Moscou pendant la seconde moitié du XIX e siècle.
Claude Monet (1840-1926), Le Déjeuner sur l’herbe , 1866, huile sur toile, 82,5 x 101,5 cm, musée d’État des beaux-arts Pouchkine, Moscou. Dans l’esprit de Chtchoukine, et dans sa présentation au palais Troubetskoy, Monet faisait figure de point de départ «classique» , accroché ensemble avec Degas, Pissarro, Maurice Lobre, ou Maurice Denis. © Photo Moscou, musée d’État des beaux-arts Pouchkine
Une rivalité riche de conséquences Saint-Pétersbourg, capitale de l’Empire, siège de l’Académie impériale des Beaux-Arts, mais dans laquelle la modernité se sentait et était bridée. Déjà en 1863, à Saint-Pétersbourg, le mouvement dit des peintres Ambulants qui aboutira à celui du Réalisme critique avait ouvertement fait sécession contre l’Académie impériale des Beaux-Arts, ses règles trop rigides, et ce que les sécessionnistes voyaient comme une sujétion trop grande à la tradition occidentale. La Russie, et sa réalité, devaient revenir au centre du débat, clamaient-ils, et c’est justement la ville de Moscou qui allait progressivement se faire l’instrument, et le fer de lance de ce combat avec, comme alliés, des industriels…
com.dsi.gazette.Article : 12446
Cet article est réservé aux abonnés
Il vous reste 85% à lire.