Les voitures miniatures ne subissent pas la crise. Les enchères digitalisées profitent ainsi à cette spécialité de plus en plus valorisée qui réunit de grands enfants en quête de nostalgie.
À l’heure où les automobiles se standardisent, où les modèles thermiques vivent leurs dernières heures en prévision du grand défi écologique des véhicules autonomes, les voitures miniatures s’érigent en témoins d’une histoire et d’un passé révolus. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les jouets font leur entrée dans une ère nouvelle, portée par l’essor de l’industrie et une récente attention accordée aux enfants et à leurs loisirs. Et le père Noël fait ses débuts ! Que peut-il donc apporter dans son traîneau pour les petits garçons ? Rien de mieux que la reproduction d’une des toutes premières automobiles, celles créées dans les années 1880 en France par les marques Serpollet ou Dion Bouton.
Les pionniers de la spécialité
C’est à la maison parisienne créée par Charles-Jacques Rossignol (1839-1889) qu’on accorde la paternité d’une des premières voitures miniatures en France, en 1897. Ce prototype était en tôle et fonctionnait à la vapeur. Encore naïfs, ces jouets Rossignol, Pinard ou JEP étaient confectionnés de manière artisanale et coûtaient très cher, leur utilisation étant ainsi réservée à des enfants privilégiés. « Aujourd’hui, les modèles des marques pionnières sont considérés comme des objets d’art, et collectionnés comme tels par des amateurs à la recherche d’une partie de notre patrimoine », explique l’expert Olivier Vergne. Très rares sur le marché, en raison de la fragilité de la tôle, certains jouets du début du XXe siècle peuvent voir leur prix atteindre une altitude forçant le respect des domaines les plus nobles. Ainsi le 29 avril 2017, un petit tonneau à vapeur vive Märklin, à la forme héritée des voitures hippomobiles, a-t-il atteint à Chartres le chiffre record de 90 000 €. À son époque, les entreprises de la spécialité étaient en grande partie allemandes, disposant d’un monopole sur le monde du jouet pour garçon (voitures, trains et bateaux). Märklin, Bing, Fischer ou Günthermann industrialisèrent les premiers la production des petites voitures et créèrent des modèles d’une rare perfection, à l’image d’un phaéton mécanique fabriqué chez Günthermann, dans les premières années du siècle, adjugé 15 600 € le 27 avril 2019, toujours à Chartres (Ivoire- Galerie de Chartres OVV).
Un marché en plein essor
Un large choix s’offre aux autophilistes, puisque tel est leur nom : des créations des précurseurs aux marques les plus récentes, les estimations allant de quelques euros à plusieurs milliers. « Pour 2 000 €, on peut déjà acquérir un modèle rare et recherché », affirme l’expert Jean-Pierre Cazenave. Certaines maisons de ventes, en régions, se sont très tôt spécialisées. Au début des années 1980, les hôtels des ventes de Nîmes ou de Chartres lancent les premières vacations dédiées, pour en proposer aujourd’hui respectivement six et trois par an, dans des sessions riches de plusieurs milliers de lots. « S’il a pu y avoir un certain tassement du marché ces dernières années, avec les dispersions simultanées de plusieurs grandes collections, l’ouverture à l’international et la digitalisation ont largement compensé cet effet. D’ailleurs, depuis un an et demi, constate Olivier Vergne, expert pour l’hôtel des ventes de Nîmes, la spécialité a connu près de 30 % de croissance.» Le travail réalisé par ces ardents défenseurs, les descriptions précises et des photos de qualité sont autant de garanties pour les amateurs. Désormais, les Allemands, les Américains et les Japonais s’intéressent aussi aux voitures miniatures classiques françaises, et particulièrement aux Citroën.
La Citroën de papa
Les grandes marques automobiles ont rapidement compris le potentiel commercial de la sortie d’un modèle miniature simultanément à celle du véhicule grandeur nature. Les petits garçons ne rêvent-ils pas de posséder la même voiture que leur père ? C’était l’un des credo d’André Citroën, également maître dans l’art du marketing. Il crée donc des jouets à partir de 1922, en collaboration avec les fabricants Fernand Migault et Marcel Goudet, dont l’entreprise, La Compagnie industrielle du jouet — à l’origine spécialisée dans l’emboutissage du métal —, sera transférée en 1930 de Briare dans le Loiret à Paris, pour prendre une toute nouvelle ampleur sous ses initiales «CIJ». Avec les voitures des Jouets Citroën, les collectionneurs traquent une ligne, une histoire, le look unique du passé. Elles comptent parmi les plus recherchées : en témoignent les 18 000 € adjugés à Versailles en 2015 pour une très ancienne fourgonnette de livraison B2, portant son inscription d’origine « Au printemps » (Éric Pillon Enchères OVV). Si les modèles classiques se négocient entre 800 et 1 200 €, les véhicules publicitaires peuvent monter à 4 000/6 000 €, voire 10 000 € pour les plus anciens. Chez Collectoys, à Bourges, le 16 décembre 2017, un rarissime exemplaire d’exposition de la Citroën B2 autochenille (non commercialisée à l’époque) au croissant d’argent, avec sa remorque de sable et sa boîte en bois aux chevrons, a décroché 22 000 €. À partir de 1934, l’entreprise CIJ arrête son travail pour Citroën et s’associe avec Renault. Mais elle fabriquera aussi ses propres voitures, prisées pour leur fidélité aux modèles d’origine.
L’échelle 1/43
Dès les années 1930, la révolution est en marche. L’échelle des miniatures, de 1/10 puis 1/15, passe au fameux 1/43, qui permet aux enfants de mettre dans leur poche le précieux graal. L’origine de cette nouvelle norme ? Les trains. Le 1/43 s’adapte en effet à l’écartement des chemins de fer, les voitures servant alors à enrichir leur décor. Cet usage sera généralisé via les Dinky Toys. Créés en 1934 par Franck Hornby, l’inventeur britannique de la marque Meccano, ces « précieux jouets » connaîtront une impressionnante postérité. Bientôt, leur production s’expatrie en France, avec l’ouverture de deux usines à Belleville et Bobigny. La fabrication industrielle permet de réaliser 500 000 exemplaires par modèle, dont seuls 10 % ont survécu. Abandonnant la tôle, le plomb ou le mélange dit « plâtre et farine », les Dinky sont en zamac, un alliage de zinc très résistant, et nul détail mécanique ou esthétique n’est négligé. Leurs collectionneurs sont des enfants du baby-boom, qui rêvaient d’acheter ces petites voitures dans les années 1950-1960. Aujourd’hui âgés de 60-70 ans, ils retrouvent le « bonheur vécu durant leur enfance, cet aspect émotionnel et passionné sans lequel la vie serait terne », décrypte Alain Paris, de la Galerie de Chartres. Les Européens sont fans des Dinky, qui représentent la majorité des lots dans les ventes de la spécialité. Ils se concentrent sur une marque de voiture, une couleur ou un type de véhicule, les publicitaires par exemple. Et la marque a habilement su jouer sur les variations (couleurs, accessoires, inscriptions)… Le prix moyen est de 150 €, montant à plusieurs milliers pour des modèles rares, comme la 2 CV fourgonnette BB Lorrain ou la Simca 1500 break de la police, présentés comme il se doit dans un bon état de conservation et avec leur boîte d’origine. À Nîmes, le 23 mars 2017, une Simca 8 sport de 1958 franchissait la ligne d'arrivée à 14 600 €… Les marques concurrentes – Norev, Mercury, Solido – sont accessibles à 50/80 € mais connaissent aussi de belles enchères, reflétant l’essor de cette niche, comme les 992 € d’une Ford Thunderbird de chez Solido, le 11 octobre 2018 à Lyon (Artenchères OVV). On n’oubliera pas les constructeurs étrangers avec l’anglais Corgi Toys, l’italien Mercury ou le danois Tekno (dont un poids lourd Scania – Vabis, marqué « Gold O Matic », a reçu 1 980 € le 27 février dernier à Chartres). Une chose est sûre, le marché demeure sectaire, comme l’explique M. Cazenave : « Le client passionné par les voitures au 1/43 de marques Dinky, Corgi, Norev ou Solido fera tout pour les obtenir, mais ne verra pas la Günthermann ou le Jouet Citroën à côté ; les collectionneurs ont des œillères et des visières ». L’avenir pose néanmoins question : les jeux vidéo ou les accessoires Star Wars ayant pris une grande place dans l’univers des enfants, les petites voitures résisteront-elles ? Plus axées sur l’aspect mécanique et le tuning, les marques Matchbox (qui a racheté Dinky Toys en 1986), Majorette, Burago, Spark, l’américaine Hot Wheel ou la japonaise Kyosho relèvent déjà le défi !