Renoir, Claudel, Van Dongen, Redon sont quelques-uns des artistes dont on tentera de s’offrir les œuvres le 29 mars, issues de deux ensembles réunis par des collectionneuses. À moins que l’on ne préfère du mobilier Régence et une paire de bronzes début XVIIIe, d’après Antoine Coysevox.
Y a-t-il une manière de collectionner propre aux amatrices d’art ? Pour répondre à cette question, deux successions féminines viendront prochainement sous le feu des enchères, l’une parisienne, l’autre lilloise. De cette dernière, la plus disputée devrait être une épreuve en bronze patiné, L’Implorante, de Camille Claudel (1864-1943). Cette figure fait partie de son groupe L’Âge mur, exécuté vers 1893-1895. Acquise en 1900 par Eugène Blot (1857-1938), la sculpture fait l’objet d’une fonte à taille réelle et d’une réduction à demi-taille. Sur les cent exemplaires prévus de cette dernière, cinquante-neuf seulement verront le jour. Notre épreuve, numérotée 33, est une fonte d’époque. Elle est attendue à 100 000/150 000 €. L’autre mention spéciale de cette succession est un ensemble de meubles miniatures. Si de tels objets apparaissent régulièrement sur le marché, plus rares sont les collections. Celle-ci en comprend une quarantaine. Des commodes bien sûr, mais aussi des secrétaires, des armoires, scribans et escaliers. Apparus au XVIe siècle, les meubles à échelle réduite regroupent les pièces de maîtrise, les chefs-d’œuvre de compagnon, les modèles réduits (ou maquettes), réalisés en bois ou en cire par l’artisan pour son commanditaire, et connaissent leur âge d’or aux siècles suivants. L’essentiel de ceux conservés aujourd’hui datent de la seconde moitié du XVIIIe et du XIXe. Difficile de les distinguer les uns des autres, surtout si l’on y ajoute les meubles de poupée et ceux réalisés par l’ébéniste à ses heures perdues. Selon Elyane de Vendeuvre (voir encadré), «les meubles de maîtrise sont plus rares car ils étaient exécutés souvent grandeur nature. Les meubles de délassements, eux, rejoignent souvent le chef-d’œuvre, car l’artisan y met tout son savoir». Les coups de marteau sont prévus entre 150 et 1 200 €, l’effet collection pouvant toutefois apporter quelques bonnes surprises…
Œuvre de jeunesse de Toulouse-Lautrec
Plus nombreuses et plus disputées, du moins pour certaines, sont les œuvres de la succession parisienne de Mme de B. La plus haute marche du podium ne devrait pas échapper à une Nature morte, fleurs, oranges et citrons de Pierre-Auguste Renoir, estimée 400 000/ 500 000 € (voir Gazette n° 7, page 6). Si l’artiste est célèbre pour ses baigneuses, il cultivera toute sa vie le goût pour la peinture de chevalet. Les ventes publiques livrent régulièrement des morceaux de toile découpés. Plus rares sont les œuvres achevées, comme cette grande nature morte ou ce Paysage de Normandie. «Ce sont des tableaux finis, signés, vendus comme tels du vivant de l’artiste, et des sujets plaisants», souligne l’expert de la vente Élisabeth Maréchaux-Laurentin. Celui-ci nécessitera 60 000/80 000 €. Rares aussi sont les paysages d’Odilon Redon apparaissant sous le marteau. L’artiste en a pourtant exécuté dès sa sortie de l’atelier de Jean-Léon Gérôme, vers 1865, et toute sa vie, souvent en Bretagne et dans le Médoc. «Ce sont des huiles sur papier ou sur carton, de petits formats, jamais datées, telles des notes de promenade, des impressions qu’il conservait», explique Élisabeth Maréchaux-Laurentin. Trois de ces Études pour l’auteur sont proposées. Leurs estimations oscillent de 6 000 à 9 000 €. Voire plus, bien sûr, si affinités… Deux autres tableaux, de Kees Van Dongen et Henri de Toulouse-Lautrec, ont aussi de quoi surprendre. Du premier est présentée une œuvre des années 1900, dans une sage veine postimpressionniste, La Lecture dans le parc (20 000/30 000 €), du second une toile de jeunesse, Chasse à courre (40 000/60 000 €). Issu d’une famille de chasseurs, Toulouse-Lautrec monte fréquemment sur le domaine du château paternel du Bosc, en Aveyron, et peint des études sur ce thème. Après son baccalauréat, obtenu en 1881, il part se former à Paris chez René Princeteau, compagnon de vénerie de son père et spécialiste du sujet. Notre tableau est brossé à la manière d’un instantané. Voilà qui devrait réjouir les amateurs de Toulouse-Lautrec avant… Toulouse-Lautrec !
Majesté du mobilier Régence
Sans transition, on passe à un grand bureau plat en placage d’ébène et de poirier noirci héritier des modèles luxueux créés par André-Charles Boulle dans les dernières décennies du XVIIe siècle (20 000/30 000 €) et à un salon en bois naturel aux proportions amples mais aux formes mouvementées. Le premier, attribué à Noël Gérard ou à François Lieutaud les deux artistes ont travaillé de concert , est un modèle rare, notamment par son décor de bronze de masques féminins parfois associés à ceux d’Hercule. Le mobilier de salon a fait partie de la collection Jean Bloch membre du conseil de l’Union centrale des arts décoratifs , dispersée au palais Galliera le 13 juin 1961. Il y fut adjugé 81 000 F. Il est aujourd’hui estimé 60 000/80 000 € mais pourrait être disputé au-delà. «J’ai rarement vu un mobilier avec une sculpture aussi incisive, aussi précise et avec autant de caractère», s’enthousiasme Simon Étienne, expert de la vente. La bataille devrait être plus rude encore pour deux réductions en bronze d’après les marbres d’Antoine Coysevox réalisés en 1698, à la demande de Jules Hardouin-Mansart, pour orner le bassin de l’abreuvoir du parc de Marly. Finalement installés au jardin des Tuileries, ils sont maintenant conservés au Louvre. Si l’on connaît beaucoup de réductions en bronze du XIXe, celles du vivant de l’artiste se comptent sur les doigts d’une main. Les nôtres sont l’œuvre de François Pascal Vassoult (père), «fondeur ordinaire du roi», actif vers 1710 dans le quartier de Saint-Germain-l’Auxerrois, dont les archives redécouvertes révèlent la notoriété. «Ces bronzes sont d’une qualité formidable, d’un très beau métier. Ils sont brossés dans le sens du modelé et leurs petits défauts révèlent qu’on ne maîtrisait pas encore bien l’art de la cire perdue», commente l’expert Alexandre Lacroix, avant d’insister sur leurs grandes dimensions, l’existence de leurs terrasses d’origine sculptées (dont l’une est signée) et le travail virtuose de reprise à froid de nombreux détails. L’artiste, fondeur de nombreux instruments scientifiques, cultivait la précision. Intérêt historique, effet décoratif, nos bronzes devraient susciter la convoitise des antiquaires, des décorateurs, des amateurs de sculpture et surtout d’œuvres d’art. Ils ont été redécouverts enveloppés dans du papier, dans des caisses poussiéreuses. Belle surprise !