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Collection Obiang: le recyclage express d’un bureau

Publié le , par Vincent Noce

Un bureau vendu à Drouot le 20 janvier dernier avec le mobilier Obiang a resurgi dans une vente du nord de la France. Non sans contestation.

© Geneviève Marot Collection Obiang: le recyclage express d’un bureau
© Geneviève Marot

Comme les machines à laver, le marché de l’art peut proposer des cycles plus ou moins rapides. Celui qui a conduit à l’insertion d’un bureau décrit comme de Jacob-Desmalter dans une vente foisonnante dimanche 19 mars à Doullens, dans la Somme, est particulièrement précipité, puisque les spécialistes n’ont eu aucun mal à reconnaître l’un des meubles provenant de l’hôtel particulier parisien de Teodor Obiang Nguema, dispersés deux mois plus tôt à Drouot. Cette vente des « biens mal acquis » du fils du dictateur guinéen, confisqués par la Justice française, contenant plusieurs copies tardives, n’était pas passée inaperçue (voir l'article Les ombres et lumières de la vente des meubles de Teodor Obiang de la Gazette n° 5, page 20). À Drouot, décrit comme de style Empire, en empruntant des « éléments anciens », estimé de 3 000 à 5 000 €, ce bureau à caissons, plaqué d’acajou, a été adjugé 17 000 €. À Doullens, il est réapparu sous le n° 386 d’une journée comprenant 456 lots, présenté sans réserve comme un travail de Jacob, « d’époque Empire », avec une estimation de 30 000 à 40 000 €. À part cela, le descriptif reprend mot à mot celui de la vente à Drouot. Pour toute référence, la notice de la vente de Doullens assure qu’un « modèle similaire est répertorié dans le catalogue de 1992 de la Biennale de la galerie Aaron ». En réalité, il suffit de se reporter à celui-ci pour constater qu’il s’agit du même meuble, présenté alors comme étant de Georges Jacob avant d’être vendu à prix fort à Obiang.

Authentification
Ne fournissant aucune provenance, le catalogue de Doullens omet de mentionner la collection Obiang et la vente de Drouot. Interrogé, le commissaire-priseur, Me Denis Herbette, considère qu’il n’avait pas à informer ses clients de cet aléa sur la provenance et l’authenticité du lot, car, dit-il, « il est couvert par une assurance qui inclut ces risques » (sic). Il assume sans fard ces omissions, en considérant qu’il est en « désaccord avec l’opinion formulée lors de la vente à Drouot ». Lui-même nous a indiqué n’avoir pas fait appel à un expert en mobilier et il reconnaît qu’il n’y a pas eu d’analyse conduite depuis le 20 janvier qui aurait pu étayer son changement d’attribution. Il le justifie cependant par un « examen par plusieurs voix autorisées », mais la première qu’il cite n’est autre que le vendeur du lot, ce qui en relativise la portée. Il faudra conserver le catalogue de Drouot, sous l’autorité de l’agence de recouvrement des biens confisqués, car il y a fort à parier que ce n’est pas la dernière fois qu’on verra resurgir certains meubles avec des appréciations plus flatteuses – et des prix en conséquence. Dès le départ, cette vente s’est accompagnée d’articles dans la presse assurant que l’expertise en était bien trop prudente et que « le marché avait authentifié ces meubles », sur la foi de confidences distillées par quelques marchands. Outre que l’authentification n’est pas du ressort de cette main invisible, les prix atteints représentent en fait le dixième de la cote des meubles d’ébénistes reconnus comme authentiques. Me Herbette justifie son estimation en affirmant que les créations de Jacob, dans un marché en dents de scie, « valent quelques dizaines de milliers d’euros ». Il n’est pas difficile de constater que ces niveaux de prix semblent plus proches de ceux constatés régulièrement pour des meubles « dans le style de Jacob » ou « dans son goût », pour utiliser quelques expressions couramment usitées pour qualifier cette vaste production de copies plus ou moins tardives. Plus sérieusement, la galerie Perrin présente un bureau plat de Jacob, plus épuré, qui est proposé à 650 000 €. Cette différence de valeur s’explique d’autant plus difficilement que, si l’on en croit le catalogue de Doullens, le meuble serait estampillé deux fois. Morgan Blaise, l’expert de la vente de Drouot, avait considéré que ces estampilles posées au fer étaient fausses, certaines lettres ne correspondant pas à la calligraphie connue et l’inscription dans le bois présentant des traces suspectes de teinture brune.

Le verdict du marché
Son avis peut toujours être discuté, mais il a procédé néanmoins à un démontage et un examen complet du meuble, auquel il trouve « des proportions maladroites, lourdes et une construction improbable sous l’Empire ». À ses yeux, les ornements en bronze, surchargés, ont été rajoutés. « Les parties visibles de la structure en chêne ont été badigeonnées », peut-être pour vieillir artificiellement le bâti. Les traverses inférieures des tiroirs ne présentent aucune trace d’usure, non plus que le placage en acajou de la base, alors que c’est l’endroit où l’utilisateur devrait poser ses pieds. Son « bâti se compose de planches d’inégales largeurs et non rectilignes, travail amateur indigne de l’atelier des Jacob-Desmalter. » Les tiroirs du bas frottent sur le placage de la base, occasionnant des rayures. L’expert dit n’avoir trouvé aucun modèle comparable dans l’œuvre de Jacob et de son fils de 1803 à 1813, période pendant laquelle ils utilisent cette estampille à l’adresse de la rue Meslée, au faubourg Saint-Antoine. « Il existe très peu de bureaux à caissons de Jacob, et les seuls connus, comme celui de la Banque de France, qui aurait appartenu à Talleyrand, ouvrent par des portes, et non des tiroirs comme celui-ci », ajoute-t-il. À son avis, celui qui s’est retrouvé avenue Foch, dans l’hôtel particulier d’Obiang, s’inspire du bureau mécanique livré en 1808 par Jacob-Desmalter à Napoléon Ier pour son cabinet de travail à Fontainebleau. « Le marché tranchera », avait considéré le commissaire-priseur de Doullens la veille de la vente. Le pronostic pourrait paraître imprudent à certains : les enchères se sont arrêtées à 24 100 €, ce qui signifie, compte tenu des frais de part et d’autre, que le marchand qui l’a mis en vente a fait le deuil de l’essentiel de son bénéfice.

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