Une soixantaine de rhinocéros ont investi le Rijksmuseum. La plupart sont à l’effigie de Clara, une Rhinoceros unicornis ramenée du royaume du Bengale (actuel Bangladesh) aux Pays-Bas en 1741. Jusque-là, la référence visuelle incontournable était la célèbre gravure de Dürer de 1515. Mais la présence de Clara, le rhinocéros le plus célèbre de tous les temps – et de quelques autres spécimens asiatiques en Europe au mitan du XVIIIe siècle –, permet une meilleure connaissance de l’animal et engendre un renouvellement radical de son image, vers plus de naturalisme. L’exposition raconte par le menu son histoire, de sa capture à l’âge d’un mois, lors d’une partie de chasse en 1738, jusqu’aux différentes étapes de sa vie en captivité, d’abord en Inde puis aux côtés du capitaine Douwe Mout Van der Meer, qui la ramène aux Pays-Bas et la conserve jusqu’à sa mort à Londres, en 1758. Le parcours de son voyage en bateau depuis le Bengale, puis chaque étape de sa longue vie itinérante en Europe, ont été minutieusement reconstitués par le commissaire Gijs Van der Ham. De même que le business lucratif imaginé par le propriétaire de l’animal, assorti d’exhibitions payantes et de la vente de gravures et de médailles. Deux salles sont dévolues aux portraits de Clara, dont celui grandeur nature de Jean-Baptiste Oudry (1749), le clou de la manifestation. Autre pièce exceptionnelle : la rarissime pendule du fondeur et horloger parisien Jean-Joseph de Saint-Germain (vers 1755). Admirablement scénarisée, faisant la part belle aux œuvres, l’exposition met en scène les multiples impacts – scientifiques, sociétaux, économiques, politiques et culturels – générés par la monstration du pachyderme. Sans être un manifeste militant, elle ne passe pas sous silence les difficultés et les contraintes qui ont ponctué la vie de Clara. Une vie de belle captive, au milieu des humains, pour leur bon plaisir.