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Cimaises pleines et têtes creuses

Publié le , par Vincent Noce

Le flot de peintures déversées sur les bords de Seine tient de l’inondation. Picasso ou Caravage à la vingtaine, Giacometti ou Miró, la Venise déclinante et la Vienne de la Sécession… le touriste ne sait plus où donner de la tête. La puissance de feu des collections parisiennes leur permet d’obtenir des prêts impensables...

Ito Jakuchu (1716-1800), Nandina et coq, vers 1761-1765, rouleau vertical, couleurs... Cimaises pleines et têtes creuses
Ito Jakuchu (1716-1800), Nandina et coq, vers 1761-1765, rouleau vertical, couleurs sur soie, 142,6 x 79,9 cm.
© Musée des collections impériales (Sannomaru Shozokani), Tokyo, 1765. Agence de la Maison impériale

Le flot de peintures déversées sur les bords de Seine tient de l’inondation. Picasso ou Caravage à la vingtaine, Giacometti ou Miró, la Venise déclinante et la Vienne de la Sécession… le touriste ne sait plus où donner de la tête. La puissance de feu des collections parisiennes leur permet d’obtenir des prêts impensables ailleurs. À chaque fois, il serait possible de passer des heures devant des prodiges, de la Judith de Caravage à La Vie de Picasso. Une de ces expositions s’appelle «Chefs-d’œuvre». On aura compris que dans cette mêlée, le général-en-chef-d’œuvre est sur tous les fronts. Pourquoi, en effet, se creuser la tête à formuler un propos pour le grand public ? À Orsay, pourtant, l’exposition Picasso reprend des dessins et des documents d’époque susceptibles d’éveiller la curiosité. Au bout d’une centaine, cependant, la lassitude pointe, d’autant que cet effet de profusion se redouble d’une foule toujours plus nombreuse, brandissant les appareils portables comme autant d’armes de dissuasion massive. Picasso et la corrida, Picasso et Barcelone, Picasso et l’Andalousie, Picasso et la Méditerranée, Picasso et l’Afrique, Picasso et la céramique, Picasso et le métal, Picasso et le papier, Picasso et la cuisine… il y a bien plus d’expositions qui lui sont consacrées en ce moment que dans la trentaine d’années qui a suivi son arrivée à Paris.

L’édition se traîne dans ce triste cortège, délogeant les catalogues pour de médiocres albums, aussi vite oubliés que le souvenir de l’exposition.

À propos d’«Éblouissante Venise»  là encore, le titre sert de révélateur , Bénédicte Bonnet Saint-Georges a le bon mot, dans La Tribune de l’art : «sans doute faut-il éblouir le public plutôt que l’éclairer». Cent œuvres pour Picasso, cent cinquante pour Miró, qui dit mieux ? Le Louvre ! Delacroix, cet été, accumulait cent quatre-vingts numéros. Des tableaux de qualité inégale, une section graphique ratée pour un artiste présenté tel qu’en lui-même, sans que sa démarche ne soit donnée à comprendre en rapport avec l’art de son temps. Il y a vraiment, pour reprendre l’expression d’un connaisseur, des expositions «pour rien». Où sont les partis pris et luminosités, intellectuelles autant qu’esthétiques, des quêtes d’un Jean Clair ? L’édition se traîne dans ce triste cortège, remisant les index au placard et délogeant les catalogues pour de médiocres albums, aussi vite oubliés que le souvenir de l’exposition elle-même. Certains se montrent conscients de cette difficulté. Jean-Luc Martinez a exprimé le vœu que les expositions au Louvre s’appuient sur les projets de recherche, ce que devraient illustrer celle à venir sur Campana ou d’autres prévues sur les fouilles archéologiques. Le Grand Palais, sortant de deux ans et demi d’éclipse pour cause de parachutage d’énarque, projette de renouer avec les expositions thématiques, en commençant par explorer la Lune l’été prochain, juste avant sa fermeture pour des années. D’autres poursuivent leurs efforts, sans avoir les mêmes moyens à leur disposition. Au moins, à Maillol, Giacometti est-il rapproché des sculpteurs de Montparnasse. Guimet s’est attaché à l’histoire du jade. Après sa plongée dans les bas-fonds de Rome, le Petit Palais raconte les peintres et sculpteurs exilés à Londres en 1870. S’il y avait vraiment une vision à recommander ces jours-ci, ce serait celle, dans le même lieu, du phœnix et des grues peints sur soie par Jakuchú, qui ont pris leur envol des réserves de la collection impériale japonaise après restauration. Celle-ci, vous ne la verrez plus jamais. 

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