En moins de trente ans, la marque horlogère est devenue incontournable. Avec une politique publicitaire associée au Festival de Cannes, dont elle monte les marches une à une jusqu’à la Palme d’or, désormais création maison.
Une médiatisation ultraglamour participe de la hausse des prix des bijoux Chopard en ventes publiques, où les enchères dépassent systématiquement les estimations hautes, comme ce pendentif nommé «Chopardissimo» vendu 5 200 € le 20 juin 2017 sous le marteau de Tajan à l’Hôtel Drouot, soit plus de 1 000 € que le prix espéré. À l’origine, Chopard est une petite manufacture d’horlogerie, créée en 1860, qui équipe la société des chemins de fer suisse : un fournisseur de belles mécaniques qui s’exportent partout en Europe avant la guerre. Puis la maison s’atrophie doucement, jusqu’à son rapprochement providentiel avec l’orfèvre et bijoutier allemand Karl Scheufele III dans les années 1960. D’un côté l’horloger, de l’autre l’orfèvre : ce trait d’union marque le début d’une formidable créativité horlogère. Une addition de savoir-faire qui surfe sur la vague des sixties. Cadrans en pierre dure, corail, lapis-lazuli, turquoise, œil-de-tigre, les couleurs éclatent, l’or jaune triomphe et les formes se libèrent : ovales géants, cercles, manchettes tressées, mosaïques cinétiques. Un trip pop et solaire validé par les jet-setters qui font la fête à Gstaad, Ibiza ou Saint-Tropez en robes Pucci, fourrures et bronzage intégral. Aujourd’hui, ces pièces vintage ultrajoyeuses opèrent un retour fulgurant dans les ventes aux enchères, comme une montre en corail au boîtier ciselé d’alvéoles d’or vendue 7 150 € en 2018 à Drouot par Pierre Bergé & Associés, soit 3 000 € de plus qu’attendu. Ce type d’objet évoque des années insouciantes, ludiques et débridées, fondatrices de l’ADN de Chopard, une maison décomplexée qui assume le glamour et le bonheur, ce truc un peu bisounours dont le joaillier fait sa marque de fabrique en lançant la première montre «Happy Diamonds» en 1976.
Une légitimité gagnée pas à pas
Le concept est simple et totalement novateur : une idée géniale qui consiste à glisser des diamants mobiles entre deux glaces saphir. Pour éviter que les diamants ne rayent la glace, Chopard les enrobe d’une gaine d’or à peine visible. Le principe vaut à la marque le prix de la Rose d’or de Baden-Baden. Une spectaculaire rampe de lancement dont Caroline et Karl-Friedrich Scheufele, la troisième génération d’héritiers, sont à l’origine. Une sœur et un frère qui se répartissent deux domaines : la joaillerie pour elle, l’horlogerie pour lui ! Beaux, pleins d’avenir et ambitieux, ils vont multiplier les best-sellers, notamment en joaillerie où leur réussite est exemplaire, voire jamais vue, car ils partent de rien : zéro archive, zéro historique, juste leur intuition créative.
S’amuser de tout
Face aux blockbusters joailliers des grandes maisons deux fois centenaires, Chopard fait figure de teenager, et c’est justement là que la marque va se positionner. Clown, ourson, éléphant, messages d’amour… On est un peu au rayon jouets, tendance régressive, et les filles des années 1980 vont adorer ces nouvelles icônes ludiques qui font swinguer les diamants. Conclusion : on peut s’amuser de tout, y compris et surtout d’une chose très sérieuse comme la joaillerie ! Et ça marche… Les hits s’enchaînent, de la montre «Ice Cube», qui s’inspire du Rubik’s Cube, au pendentif en forme de cœur parcouru de diamants et lui aussi forcément précédé d’un «Happy». Une notoriété sur laquelle la marque va s’appuyer pour enclencher les vitesses : ravir la Palme d’or à Cannes puis se lancer dans la haute joaillerie. En 1998, elle fait son entrée sur la Croisette en qualité de partenaire officiel avec la création de la Palme, que Caroline Scheufele modernise. Inchangé depuis les années 1960, le trophée, légèrement désuet, issu d’un lingot d’or de 18 ct, est enfin stylisé : une feuille de palmier fixée sur un coussin en cristal d’un kilo dont la firme fait cadeau au palmarès. Quarante heures de travail sont nécessaires, à multiplier par deux en cas d’urgence ou d’attribution d’un prix ex æquo.
Diamants sur tapis rouge
Avec Cannes, c’est pour Chopard l’avènement des premières créations de haute joaillerie : des bijoux sensationnels dont l’aura se mesure, cette fois, en carats. Tous les ans, la maison les déplace depuis ses ateliers de Genève en camion blindé, direction la suite du septième étage de l’hôtel Martinez surnommée «la forteresse» pour endiamanter les plus grandes stars internationales. Un défilé de parures portées par Uma Thurman, Julianne Moore ou Julia Roberts. Sur le tapis rouge, le spectacle est tout sourire. Ce fameux happiness dont les ambassadrices de la marque affichent l’indécent ravissement avec une sympathie désarmante. C’est qu’ici, entre Cannes et Monaco, celle-ci jouit d’un énorme capital affectif, incarné par Caroline Scheufele. Là est la force de la maison, dans la présence de sa créatrice in situ, son implication, son professionnalisme et sa rigueur, nécessaires à la réalisation de plus de soixante-dix pièces par an, toutes uniques et originales, sans limites de style ni d’inspiration. Un gage de sérieux joaillier dont la griffe gagne pas à pas la légitimité, devançant parfois ses rivales de la place Vendôme en osant faire bouger les lignes.
Des matériaux ultralégers
Il y a tout d’abord les process. Chopard n’hésite pas à les bousculer en scannant le corps de ses clientes afin d’en réaliser des moules, histoire d’assurer un ajustement parfait. Il y a ensuite les matériaux. L’objectif visé est d’alléger le poids des parures en mariant l’or au titane. Une alchimie d’autant plus créative que le second peut être coloré dans plus de cinquante nuances. Idem pour la céramique, dont Chopard manipule tous les tons 30 % de la production sont ainsi fabriqués avec des matériaux légers.
Mention très bien !
Après le tapis rouge, le vert est la dernière étape en date de l’évolution de la marque qui, depuis juillet 2018, est entrée dans le club très privé des joailliers éthiques, avec 100 % d’or certifié Fairmined. Un label exigeant qui passe par une collaboration étroite avec les communautés minières artisanales, issues du commerce équitable. Émeraudes de Bolivie, opales d’Australie, diamants, métaux, comportements et même routes : tout est traçable et de source durable. Un luxe responsable doublé d’une attitude radicale, qui va jusqu’à refuser les rubis en provenance de Birmanie, conséquence de la crise des Rohingyas. Chopard ne s’arrête toutefois pas en si bon chemin, intégrant sa propre fonderie d’or. Cette production en circuit fermé permet de recycler jusqu’à 70 % des déchets. Même initiative à l’égard des cuirs exotiques, galuchat, lézard, python, serpent… désormais bannis de son répertoire horloger. Une reconversion quasi exemplaire, qui vaut au joaillier et à Caroline Scheufele un nombre considérable de prix, comme celui d’écologiste de l’année en 2014 (Bravo Business Awards, Miami). On pourrait penser qu’il existe un fossé entre les séances photo du Festival de Cannes et la joaillerie «bio»… C’est sans compter sur l’extrême sensibilité d’actrices comme Marion Cotillard ou Cate Blanchett, ardentes défenseuses de la cause, qui créditent Chopard d’une mention très bien. Un atout de taille que la marque entérine lors de sa toute dernière collaboration écoresponsable avec Rihanna, la plus convoitée des stars du moment. Un bonheur n’arrive jamais seul.