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Châtelains, nouvelle génération

Publié le , par Sarah Hugounenq

L’aventure est une première mondiale : l’association Adopte un château et Dartagnans s’unissent pour sauver une forteresse promise à la ruine, grâce à la création d’une société de dix mille châtelains. Un nouveau mode de financement du patrimoine ?

Association de la Mothe-Chandeniers Châtelains, nouvelle génération
Association de la Mothe-Chandeniers


L’audacieuse plateforme de financement participatif Dartagnans a le sens de la formule. «Devenez châtelain pour seulement 50 €.» Derrière ce credo apparenté à un pari fou, une association de sauvegarde du patrimoine  Adopte un château  un site Internet de financement et une société d’amis locale révolutionnent discrètement le mécénat patrimonial. Au cœur de la Vienne, les ruines envahies par la végétation du château de la Mothe-Chandeniers témoignent d’un passé aussi riche que tourmenté. Construit au XIIIe siècle, le monument a été successivement pillé à la Révolution, abandonné, reconstruit par le baron Edgard Lejeune  écuyer de l’empereur Napoléon III séduit par le Moyen Âge fantasmé d’un Eugène Viollet-le-Duc  dévasté par un incendie en 1932, de nouveau abandonné… Aujourd’hui, son propriétaire de 82 ans le cède contre 500 000 €. Un temps emporté dans les filets du promoteur Pierre & Vacances, la ruine au charme romantique s’apprête à devenir l’avant-poste d’un nouveau mode d’investissement du patrimoine en péril.
Une ruine ; dix mille propriétaires
Dépassant la simple souscription publique traditionnelle dont les succès vont croissant depuis quelques années, Dartagnans et Adopte un château lancent une campagne d’equity crowdfunding, en vue de l’acquisition du château en janvier 2018. Cette forme de levée de fonds permet aux particuliers de devenir actionnaires du projet en s’en partageant les capitaux. Bien que le ticket d’entrée soit abordable  la part est à 50 € , tous les actionnaires auront un droit de regard et de vote, et leur reviendra également une partie des bénéfices futurs. Né dans le giron du spectacle vivant  pour la production de disques notamment , le modèle n’est, pour l’heure, pas adapté au secteur non marchand. «En créant Dartagnans, lance Romain Delaume, notre objectif était de développer des concepts innovants pour sensibiliser le public à la conservation du patrimoine. Nous avons commencé par de classiques appels aux dons, qui se sont transformés en campagnes de communication. La question restait de savoir comment les rendre plus concrètes.» Au diapason, Julien Marquis, délégué général d’Adopte un château, poursuit : «Nous avons pris l’idée d’appropriation du patrimoine au pied de la lettre : adoptons collectivement un édifice. Financer et participer : une nouvelle façon de sauver le patrimoine.»
Une première mondiale
Un premier essai a été mené lors de la mise en vente du château Le Paluel, dans le Périgord, célèbre pour y avoir accueilli Jean Gabin et Louis de Funès pour le tournage du Tatoué en 1968. Jeu des enchères, c’est un particulier qui a raflé la mise en septembre, en mettant quelque 800 000 € sur la table. Fort d’une collecte de 300 000 €, le binôme a aussitôt rebondi pour ne pas perdre les fonds en se tournant vers la Mothe-Chandeniers. Si l’idée fait mouche chez les donateurs qui répondent présents partout dans le monde, tout est à inventer : le modèle économique, démocratique et juridique. «L’acquisition du monument sera probablement la partie la plus simple ! remarque Romain Delaume, d’un ton ironique. Plus complexe sera le montage d’une société de dix mille actionnaires, et la concrétisation du projet, c’est-à-dire permettre à chacun de participer au projet. Le public doit se sentir investi, comme nous le promettons.» Les châtelains seront donc appelés à décider de l’avenir du monument : cristalliser ou reconstruire la ruine, générer du chiffre d’affaires, développer une offre événementielle… L’implication est la clef de voûte du projet. Futur actionnaire de l’édifice, Alexandre Bellity témoigne en ces termes : «Je trouve excitant de participer à la rénovation d’un château en faisant partie du board, de le voir concrètement évoluer.» Mécène par le passé sur un projet patrimonial, le trentenaire se dit séduit par «une démarche positive, tournée vers ce qu’on peut apporter au patrimoine, et non dans une visée mercantile ».

“Tout est à inventer : le modèle économique, démocratique et juridique“

Gestion démocratique
Pour éviter la cacophonie d’un conseil d’administration de dix mille membres, Dartagnans est à la manœuvre pour la création d’une plateforme collaborative et recueillir les votes et avis de chacun des copropriétaires. Le fonctionnement démocratique doit primer. «La démarche que l’on porte est collective, rappelle Julien Marquis. Nous avons déjà décliné la proposition d’un investisseur qui souhaitait devenir actionnaire à la majorité absolue.» Plus engagés, les porteurs du projet Dartagnans, Adopte un château et la société d’amis du château ne se partageront toutefois pas plus de 20 % des parts. Quant aux actionnaires, leur responsabilité sera limitée à hauteur de leur apport  soit 50 € pour la majorité d’entre eux. Outre la dépense obligatoire de 1 € par an pour couvrir les frais de gestion de la SAS, les actionnaires seront appelés, et non contraints, à verser leur écot à de futures souscriptions pour la rénovation. De plus, l’implication des collectivités territoriales, via une éventuelle société d’économie mixte, pourrait à terme aider à rendre la gestion fluide. «Il faut des personnes physiques et une structuration professionnelle pour gérer l’édifice, rappelle Romain Delaume, qui siègera au CA. Cela reste une société comme une autre. Je crois que la plupart des donateurs participent par passion, ou pour le symbole, plus que comme un investissement réel.»
Vers un mécénat transparent
Contrairement aux précédentes opérations de crowdequity, le public ici touché n’est pas celui d’investisseurs, mais bien de mécènes, pour certains frustrés. Si la participation au projet n’ouvre droit à aucune défiscalisation, puisqu’il ne s’agit pas, juridiquement parlant, de mécénat, la logique philanthropique est néanmoins présente. «Il y a une envie de s’engager autrement. Le don classique fonctionne, mais les Français, surtout jeunes, veulent participer concrètement à un projet, analyse Romain Delaume. On joue sur les deux tableaux, on vient titiller le côté acheteur  les actionnaires pourraient faire une plus-value  et le côté sauveur du patrimoine. On transforme le don en quelque chose de plus impulsif et ludique.» «Il y a un retour négatif sur le mécénat des particuliers qui craignaient d’enrichir un propriétaire privé, poursuit Julien Marquis. La démarche répond aussi à la demande des donateurs de savoir ce que devient le don, de pouvoir le suivre au jour le jour.» La possibilité de suivre les fonds investis est l’une des principales motivations d’Alexandre Bellity. «Étant à terme actionnaire du projet, j’ai en tête l’idée qu’on justifie que les fonds sont bien allés à ce pourquoi on les a investis, et pas dans une boîte noire comme ailleurs. Je donne parallèlement à des associations à qui je dois faire confiance à 100 % et dont j’espère qu’elles utilisent les fonds à bon escient, car je n’ai aucune visibilité. La transparence de cette démarche d’equity crowdfunding est très impliquante.» Cette valeur se retrouve dans la logique du fondateur de la plateforme de financement : «Nous ne sommes pas des agents immobiliers qui font des opérations financières ; mais une agence de conseil dotée d’une expertise administrative, juridique et économique et des sauveurs de châteaux. Notre responsabilité est énorme : si nous ambitionnons de sauver deux à trois châteaux par an, les comptes doivent être bien gérés ou les gens n’auront plus confiance.» Si un nouveau chapitre s’ouvre pour le château de la Mothe-Chandeniers, l’histoire commence également pour les deux porteurs du projet qui ne souhaitent pas en rester là. «Les châteaux en péril, ce n’est pas ce qui manque, souffle Romain Delaume. On en dénombre six cents aujourd’hui en France, et on en prévoit dix fois plus dans dix ans… »

À SAVOIR
La campagne est en ligne sur dartagnans.fr jusqu’à fin décembre :
www.dartagnans.fr/fr/projects/et-si-on-adoptait-un-chateau/campaign
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