Jouac, ses 180 habitants, son ancienne mine d’uranium, ses maisons de pierre, son église Saint-Pierre et Saint-Paul… et son château encadré de végétation dominant le bourg. Comprenez : une grande bâtisse construite en 1875, par un capitaine de cavalerie. Près d’un siècle plus tard, en 1966 très exactement, elle passe aux mains de René et Alice Lambert. Le couple partage son temps entre le Limousin et sa maison de L’Isle-Adam, en région parisienne. Pour Alice, c’est un retour aux sources, sa famille maternelle étant originaire de la Haute-Vienne. Son père, le peintre Clovis Trouille (1889-1975), n’y vient en revanche que de temps à autre. Il préfère la sobriété de sa maison de Gisors et de son petit hôtel particulier du 57, avenue Mathurin-Moreau, près des Buttes-Chaumont, à l’ameublement du château de Jouac. Un anarchiste avec du mobilier évoquant l’Ancien Régime, voilà qui ne manquerait pas de surprendre ! Conservé par la famille jusqu’à ce jour, le contenu du château prend le chemin des enchères, et la bâtisse cherche acquéreur… Au menu : des portraits de gens de qualité et des natures mortes de fleurs de l’école française XIXe, mais surtout des luminaires en bronze, porcelaines dans le genre de Sèvres et de Vienne ou dans le goût chinois, quelques tapisseries d’Aubusson sur le modèle de celles du XVIIIe, et du mobilier.
Bronzes dorés et marqueteries
S’il existe un style Napoléon III, il ploie sous la diversité et l’engouement pour les emprunts aux productions des époques antérieures semble la règle. On aime la profusion et le luxe. Comme si la sobriété était synonyme de pauvreté… Le Boulle Louis XIV connaît une nouvelle jeunesse mais avec une profusion que le Grand Siècle n’a jamais connue, les pastiches Louis XV et Louis XVI affichent leur identité avec des galbes exagérés. Et beaucoup de grands amateurs n’hésitent pas à faire copier les meubles les plus célèbres, royaux de préférence, œuvres de prestigieux artisans du XVIIIe. Ainsi d’une grande commode à encoignures en acajou richement ornée de bronzes dorés, de style Louis XVI, au chiffre de Marie-Antoinette, exécutée d’après un modèle de Guillaume Beneman (10 000/15 000 €), d’un buffet en placage d’ébène et bois laqué à décor de paysages dans le goût du Japon, signé Paul Sormani et inspiré du modèle de Martin Carlin conservé au musée du Louvre (30 000/40 000 €, voir détail page de gauche). De Sormani encore, un bureau à cylindre en placage marqueté de croisillons interprète un modèle d’Adam Weisweiler d’époque Louis XVI (15 000/20 000 €), tandis qu’une commode «aux guerriers», richement ornée de trophées militaires, figures mythologiques, amours, guirlandes et cornes d’abondance, est une réplique (fin XIXe) de celle – oh combien célèbre – commandée en 1755 à Jean-Henri Riesener pour la chambre de Louis XVI à Versailles. Rachetée en 1847 par le duc d’Aumale pour le château de Chantilly, elle se trouve aujourd’hui au musée Condé. Pour la nôtre, comptez 20 000/30 000 €, et 25 000/35 000 € pour une paire de meubles à hauteur d’appui de style Louis XVI, en bois laqué noir décoré d’une scène mythologique en vernis Martin (voir photo 18). Leur auteur ? Mathieu Befort, dit Befort Jeune. Fils de Jean-Baptiste, d’origine belge, réputé pour avoir fourni des meubles pour les appartements du duc d’Orléans, Befort Jeune est établi rue Neuve-Saint-Gilles entre 1844 et 1880. Père et fils sont connus pour leurs interprétations du mobilier d’André-Charles Boulle, la création de vernis Martin et de meubles montés en porcelaine, souvent à la manière de Riesener. Réputée pour la grande qualité de son travail, la firme est récompensée d’une médaille à l’Exposition de l’industrie française en 1844, et devient l’un des fournisseurs de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie. Un autre meuble est attribué à Mathieu Befort, cette fois : c’est un buffet à hauteur d’appui dans le goût de Boulle (10 000/15 000 €). Son style dialogue parfaitement avec un grand miroir italien en bois sculpté, ajouré et doré à décor de mascarons, volutes feuillagés et pampres de vigne dans le style baroque (XIXe siècle, 3 000/5 000 €) et un bureau plat attribué à Joseph-Emmanuel Zwiener. Richement orné de bronzes ciselés et vernis or figurant putti, chiens savants, rocailles, chutes en forme d’espagnolette, têtes de vieillards barbus, singes acrobates et griffes de lions, il est inspiré de la commode «aux singes» de Charles Cressent, visible au Louvre (25 000/35 000 €, voir ci-dessus). Deux meubles détonnent dans cette atmosphère éclectique : une vitrine à deux corps et un bureau plat en acajou de l’école de Nancy. Et pour cause, ils appartenaient à Clovis Trouille, à Paris, et n’ont intégré le château qu’après sa mort. La première, à décor en relief d’iris et d’ombelles, a été exécutée dans l’entourage de Louis Majorelle ou d’Eugène Vallin (3 500/4 500 €, voir photo page 16), le second, double face, est orné de feuillages et de fleurs (1 000/1 500 €).
C comme Clovis
Né à La Fère, en Picardie, le jeune Clovis, par ses dessins sur des morceaux de craie ou de brique, attire l’attention d’un officier dans l’entourage duquel ses parents travaillent comme horticulteurs. Sur ses conseils, la famille s’installe à Amiens, où Clovis étudie bientôt brillamment aux beaux-arts. Le jeune homme, d’un naturel enjoué, a tout l’avenir devant lui et fait ses débuts chez Draeger comme dessinateur de mode et de publicité. Mais c’est sans compter sur le service militaire (1912-1914) et surtout la guerre et ses atrocités. Démobilisé et indemne physiquement, il n’est pourtant plus le même homme en 1919. Il est traumatisé, furieux contre les marchands d’obus. Il peint pour son plaisir, des toiles subversives, anticléricales et antimilitaristes, à l’érotisme insolent et aux couleurs franches, mais refuse de se soumettre aux marchands. «Quel bonheur de peindre le dimanche quand on a pensé toute la semaine à ce qu’on allait faire», dit-il. Pendant plus de trente ans, il travaillera comme maquilleur de mannequins de vitrines pour la haute couture et les grands magasins chez Pierre Imans. Proche de René Char et de Salvador Dalí, d’Oscar Domínguez et d’Alfred Courmes, de Paul Éluard, de Louis Aragon et d’André Breton – qui le surnomme «le grand maître du tout est permis» –, il prendra ses distances avec les surréalistes, auxquels il reproche leur mépris pour les maîtres anciens. Ne cherchez pas ses œuvres – environ 120 tableaux – dans les musées ou en ventes publiques, elles sont pour l’essentiel conservées par sa famille, pour d’autres chez Daniel Filipacchi, l’un de ses rares amis. Clovis Trouille, un peintre à redécouvrir !