Un beau gosse du XVIIIe siècle ne laissera pas de marbre les amateurs, prochainement à Toulon. L’occasion, aussi, d’un retour sur une amitié artistique.
Dès la Renaissance, les portraitistes font des trois crayons leur technique favorite. La craie, la sanguine et la pierre noire leur permettent de jouer des effets de lumière ; grâce à une combinaison idéale, ils font admirablement transparaître le caractère profond du modèle. La technique s’épanouit au XVIIe, conférant une présence incroyable aux visages du Grand Siècle. À la suite de Coypel et de Watteau, Jean-Baptiste Lemoyne en use habilement pour ses études préparatoires et surtout dans ses portraits de contemporains, tracés d’un trait vibrant. Descendant d’une longue lignée d’artistes, il a appris la sculpture dans l’atelier familial. En 1725, il remporte, à l’âge de 21 ans, le Prix de Rome avec Moïse, enfant, premier jalon d’une longue carrière académique. Notre jeune sculpteur renonce toutefois au voyage italien pour aider son père, Jean-Louis, devenu aveugle. Collaborateur de Robert Le Lorrain, Jean-Baptiste achève un Baptême du Christ commencé à l’église Saint-Roch par son oncle Jean-Baptiste Lemoyne, dit l’Aîné. Mais, la sculpture monumentale n’est franchement pas son affaire. Il lui préfère – et de loin – les portraits en buste. Observateur sagace, il aime saisir le fugitif d’un visage, tel celui du peintre Noël-Nicolas Coypel en 1730, aujourd’hui conservé au Louvre. Faisant triompher naturel et vivacité, Jean-Baptiste Lemoyne deviendra le portraitiste attitré du roi Louis XV. De plus nommé adjoint à professeur, en 1740, il formera Jean-Jacques Caffieri, Jean-Baptiste Pigalle ou Edme Bouchardon...
Ce maître très aimé représente volontiers ses élèves, comme le prouve notre trois crayons figurant Étienne Maurice Falconet. Issu d’une modeste famille d’artisans, ce dernier reçoit les rudiments du métier auprès d’un oncle marbrier. Entré en 1734 dans l’atelier de Lemoyne, il y restera une dizaine d’années. Passionné et exubérant, le jeune homme conquiert l’affection du maître, qui le considère vite comme son fils. Les deux artistes ont en commun de priser les coloristes en peinture, de rechercher dans leur art une nature vive et animée. Témoignage d’une telle amitié, notre superbe dessin bénéficie forcément d’un pedigree prestigieux. Bien sûr, il a été jalousement conservé par Falconet. Au début du XXe siècle, il entre dans la fameuse collection André Carlhian. Décorateur de renom, le grand amateur en fait l’un des fleurons de son appartement, au 73, quai d’Orsay. Notre dessin, entouré de son cadre d’époque, a été agrandi sur le pourtour par des bandes de papier. Exécuté avec une très grande maîtrise, il révèle le magistral talent de Jean-Baptiste Lemoyne. Les yeux, particulièrement bien dessinés, insufflent vie et expression au portrait ; quant aux sourcils – fort accentués –, ils apportent à l’oeuvre une énergie juvénile. Avec perspicacité, l’artiste représente son modèle esquissant une moue un brin goguenarde – une juste façon d’illustrer l’admiration de son élève pour Socrate, ami du sarcasme. Enjoué, Étienne Maurice Falconet apparaît déjà tel que le décrira le philosophe Denis Diderot, au Salon de 1765 : “ Il a de la finesse, du goût, de l’esprit, de la gentillesse et de la grâce tout plein”. Avec de tels appâts, notre jeune homme ne pouvait que séduire madame de Pompadour. Protégé de la marquise, il dirigera à partir de 1757 la Manufacture royale de Sèvres, où il exploitera à merveille la technique incomparable du biscuit en pâte tendre et renouvellera totalement la production de l’atelier de sculpture…