La vente des archives de la créatrice, programmée à Drouot, permet de retracer le parcours, plus complexe qu’il n’y paraît, d’une femme qui a su imposer sa marque au-delà de son travail sur la lingerie, connu du grand public.
Le style de Chantal Thomass ? On pense tout de suite au noir et blanc d’un smoking féminin, au rose poudré d’un boudoir, au vermillon d’un rouge à lèvres, le tout transcendé par une silhouette coiffée au carré, à frange, dont le profil en ombre chinoise devient son logo en 1981. «Chantal Thomass, c’est aussi la création d’une image. Dès le début des années 1980, elle a choisi d’incarner sa marque, c’était pionnier», explique Sylvie Richoux, responsable des collections au Centre national du costume de scène de Moulins, également commissaire de l’exposition monographique marseillaise de 2001. Mais, en 274 pièces d’archive, le rendez-vous du jeudi 6 mai à Drouot, initialement prévu le 5 mars, révèle un univers plus complexe. «La vente va mettre en lumière le travail de prêt-à-porter de Chantal Thomass, qui est moins connu que son travail de lingerie», explique l’expert Didier Ludot, qui ajoute : «Cette vacation va protéger un patrimoine vestimentaire important.» Quant à Alexandre Samson, responsable haute couture et création contemporaine au palais Galliera, il voit dans la créatrice «une femme emblématique de son époque».
La naissance d’un style
«Robe en pongé de soie peinte à la main, 1967 (180/200 €)» : les premières pages du catalogue ouvrent sur les créations siglées Ter & Bantine, la marque que la créatrice fonde en 1967 avec son fiancé et futur époux, Bruce Thomass. Celui-ci, étudiant aux Beaux-Arts, est l’auteur des tissus peints (à la térébenthine) utilisés pour les modèles. Les tout débuts de Chantal Thomass dans l’aventure de la mode. Quelques robes sont envoyées dans une boutique tendance de Saint-Tropez et rapidement achetées par Brigitte Bardot et Michèle Mercier… Portées par ces égéries, elles deviennent instantanément désirables et les commandes arrivent. Un peu plus tard, dans le Paris des années 1970, la jeune garde de la mode bouleverse les codes sur fond de vie sociale intense. Thierry Mugler, Claude Montana, Jean-Charles de Castelbajac ou Kenzo sont les proches de Chantal Thomass. L’heure est à la création de styles individuels forts. C’est sous son propre nom qu’elle décide d’exprimer le sien, fondant sa marque en 1975. Son ADN ? «Chantal Thomass va être la grande instigatrice du masculin-féminin, du voilé-dévoilé, du dessus-dessous», rappelle le catalogue de la vente. Et de citer les héroïnes de la créatrice : Greta Garbo, Louise Brooks, Marlène Dietrich ou Joséphine Baker… Chez Chantal Thomass, le confort fait partie du style, et déjà sont présents ses matériaux de prédilection qui, tout au long de son parcours, subliment cette équation. Une robe à jabots de 1975 témoigne de sa fascination pour la dentelle (150/180 €), et la plume apparaît à l’automne-hiver de la même année.
«La plume est à la fois spectaculaire, légère et chaude», commente la créatrice. On repère également les premiers modèles de thèmes récurrents comme la combinaison brodée, dont un exemplaire emblématique de l’automne-hiver 1979 est confectionné «par et pour» Chantal Thomass (200/220 €, ci-dessous). «Chantal était une des seules femmes de cette génération de grands couturiers. Son travail présente une sensualité teintée d’humour. C’était une bouffée d’oxygène», résume Dider Ludot.
La lingerie entre dans la danse
Pour preuve, l’étonnante sélection d’accessoires des décennies 1980 et 1990 qui ponctue la vente. «J’aime son côté Schiaparelli, avec les sacs en forme de téléphone (150/200 €), ou les chapeaux «corsets» (400/600 €) par exemple. Elle faisait ce qui l’amusait», poursuit l’expert. Une créativité qui, dans les années 1980, permet à Chantal Thomass d’asseoir sa marque. Au tournant de la décennie, son collant en dentelle fait fureur. Un peu plus tard, en 1985, la créatrice entame une longue collaboration avec la maison Moncler. Au gré des défilés, les tenues en gabardine de coton, jean et mohair se mêlent à celles du soir, comme cette jupe en organza de soie rebrodé de 1988 (200/250 €) à propos de laquelle la créatrice se souvient : «Il y avait en France un très beau travail manuel.» Ces réinterprétations sophistiquées de l’univers de la lingerie-corsetterie imprègnent le prêt-à-porter de Chantal Thomass : les bustiers en agneau se glissent sous une chemise en mousseline de soie (1980, 180/200 €) ou en dentelle de Chantilly (1983, 120/150 €). C’est donc tout naturellement que de vraies pièces de lingerie apparaissent peu à peu dans les défilés «J’ai fait de la lingerie par hasard au début, explique-t-elle, pour accessoiriser mes silhouettes». Le détail fait mouche : « Ça a marché tout de suite car il n’y avait pas grand-chose pour les jeunes à cette époque-là», rappelle la créatrice. Shazia Boucher, directrice adjointe des musées de Calais précise : «Chantal Thomass fait partie de cette génération qui a brûlé son soutien-gorge et a envisagé cette spécialité d’une manière très libre. À l’époque, la lingerie était très technique. Elle a été l’une des premières à y réintroduire l’utilisation de la soie, ou des pièces comme le corset ou la guêpière, qui étaient des symboles de la femme-objet.»
Une maturité théatrale
Si la lingerie devient dès lors l’un de ses grands sujets, cela n’empêche pas Chantal Thomass de déployer, dans son prêt-à-porter du tournant des années 1990, une liberté d’expression que lui autorisent alors ses années d’expérience. Se jouant de la théâtralité, les crinolines s’introduisent dans des défilés qui adoptent désormais des noms évocateurs et convoquent tous les «tops» de l’époque.
En final, les silhouettes de ses mariées repoussent les limites de ses thèmes favoris : la doudoune Moncler (automne-hiver 1992, 400/500 €, voir page 11) ou la queue-de-pie (défilé «Hiver russe», automne-hiver 1990-1991, 250/300 €) se font traînes. Et la mariée de «Hard Rock Medieval», à l’automne-hiver 1993-1994 (300/350 €), arbore un corset devenu ceinture de chasteté en cuir argenté clouté, à jarretelles et chaînes ! Plus sages, des pièces comme les vestes «hublots» (200/250 €) ou la redingote en tweed (250/280 €, page de droite) signent une patte, celle du masculin-féminin, que la créatrice travaille alors depuis plus de vingt ans «J’adore cette redingote, conclut Didier Ludot, de face, elle a l’air d’appartenir à un grand-père, et de dos, c’est une pièce hyper féminine avec des froufrous. C’est grâce à cette ambiguïté que Chantal Thomass a marqué son époque.»