Quand vient la fin de l’Empire romain, intailles et camées prennent le chemin des tiroirs de l’histoire avant que le Gothique, discrètement, et surtout la Renaissance et le XVIIe siècle – la première dans sa quête de l’Antiquité, le second dans celle de la grandeur classique – ne les remettent au goût du jour, puis que le XIXe ne s’en empare en tout éclectisme. Aujourd’hui, institutions et collectionneurs sont nombreux à les rechercher, et la présentation par le musée des Arts joailliers, jusqu’au 1er octobre prochain, du rare ensemble réuni par Guy Ladrière offre une belle occasion de s’intéresser à leur profil qui ne peut laisser de pierre !
La gamme des matériaux
Il est bien loin le temps où le mot « camée » désignait cette broche au charme, il faut bien le dire, un peu suranné que nos grands-mères et vieilles tantes arboraient sur le revers de leur impeccable tailleur. Ces ornements étaient d’ailleurs le plus souvent en coquillage, un matériau plus tendre et surtout apparu tardivement. La glyptique désigne un art exigeant, celui de sculpter des ouvrages de petite taille dans des gemmes selon deux méthodes, l’intaille et le camée : si la première implique une gravure en creux dans la pierre, le second est en relief. Cornalines, jaspes, calcédoines, cristaux de roche, agates et mêmes pierres précieuses sont ici conviés. Le choix n’est en revanche nullement guidé par leur valeur marchande, à la différence de la joaillerie, mais pour la beauté de leurs couleurs résultant de différentes couches contrastées. Force est de constater que depuis les origines, la façon d’œuvrer a peu évolué, le médium toujours travaillé par abrasion grâce à un outil rotatif, même si ce dernier s’est perfectionné au cours des siècles. Le sculpteur joue des couches et introduit une polychromie naturelle. Un travail qui nécessite habileté et grande patience – et c’est bien ce qui fascine.
Renaissance d’un art précieux
Les lointaines civilisations mésopotamiennes, puis l’Égypte pharaonique à la Rome impériale, en passant par la Grèce archaïque, les Phéniciens et les Étrusques, ont fait du sceau un objet-signature. Le travail de l’intaille était alors le seul usité. Le camée est apparu plus tardivement, probablement en Égypte à l’époque hellénistique. Il s’agissait de produire des portraits, dont le profil clair se détachait sur le fond sombre. Peu à peu, l’intaille va s’extraire de son rôle premier de marqueur d’empreinte pour se faire bijou, objet de luxe et plus encore symbole de puissance. Rome lui voue une affection toute particulière et commande des pierres pour « orner des bagues, servir de sceaux, commémorer un mariage, offrir une protection magique ou encore rappeler la fidélité à l’empereur », explique Philippe Malgouyres, conservateur en chef du patrimoine au musée du Louvre et commissaire de l’exposition de l’École des arts joailliers. Étant celle d’une collection, celle-ci insiste sur la recherche par les amateurs, et ce dès la Renaissance, de ces pierres antiques. Or, on y apprend que déjà elles étaient rares, étant dès l’origine des pièces uniques relativement coûteuses. Et que face à la forte demande, une florissante activité de copies vit le jour ! Aujourd’hui encore, il est parfois difficile de démêler les pierres antiques de celles du XVIe siècle, les copies présentant souvent des détails personnels qui les rendent originales. Ces pierres étaient alors achetées pour être montées en bijoux et souvent regravées, une pratique qui a perduré jusqu’au XIXe siècle. Le 25 février 2021, la maison Laval Enchères dispersait ainsi une précieuse collection de pièces antiques montées en bagues. Cet ensemble constitué à la fin du XIXe siècle, riche d’une quarantaine de pièces à intailles, retenait 387 500 €, 23 790 € allant à une bague augustéenne ornée d’une intaille ovale gravée d’un héros nu tenant un glaive, probablement Auguste sous la forme de Mars Ultor, et 34 160 € à une autre, en agate marron et beige, représentant un épisode dramatique de la guerre de Troie.
Les graveurs sur pierre
Fruit d’une commande, un camée singulier dans la production des Miseroni – célèbres sculpteurs sur pierre dure d’origine milanaise de la seconde moitié du XVIe siècle –, figurant une nymphe endormie dans une pose érotique, était négocié à 48 100 € en décembre 2021 chez Pierre Bergé & Associés. Rodolphe II, amateur insatiable d’objets précieux et de curiosités, attira à Prague dès 1576 l’un des fils Miseroni, Ottavio, bientôt rejoint par trois de ses frères. Leur atelier put ainsi fournir toutes sortes de pierres montées, cristaux de roche taillés ou camées pour l’Empereur et sa cour. Ces artistes possédaient parfaitement la science de la glyptique, exploitant avec une grande adresse les différentes couleurs des pierres semi-précieuses qu’ils taillaient en camée. Giovanni Ambrogio (1551-1616) est l’auteur du Camée de Vénus et l’Amour pour lequel le Louvre a lancé sa douzième campagne « Tous mécènes ! » : grâce à la mobilisation de 5 600 donateurs, l’objectif du million d’euros a été atteint en février dernier, et son couvercle a pu rejoindre la coupe déjà conservée dans les collections de l’institution. Bien d’autres noms ont laissé leur signature dans l’histoire, beaucoup au XVIIIe siècle des virtuoses, qui voit prospérer les graveurs sur pierre. Pas une cour qui n’ait ses maîtres glypticiens. Carlo Costanzi travaillait à Rome – Mariette a pu écrire de ses portraits qu’ils « paraissent graver de chair » –, les frères Brown principalement pour Catherine II de Russie, le Rouennais Jeuffroy fut mandé par le roi de Pologne… Sur la toile de François Boucher la représentant en majesté, Madame de Pompadour arbore en bracelet un camée à l’antique représentant Louis XV. Elle en raffolait et devint la protectrice du graveur Jacques Guay. Le 12 janvier 2019 à Londres, un camée en agate signé Nathaniel Marchant (1739-1816), qui ne répondait qu’aux demandes d’une poignée de chanceux, recevait 46 800 €. Selon l’Antiques Trade Gazette, il s’agit d’une belle prise faite par un marchand à l’œil affûté… Le 18 mars 2016, à Drouot et sous le marteau de Beaussant Lefèvre & Associés, une bague en or surmontée d’une intaille en cornaline signée du même faiseur londonien retenait 36 250 €. Après ces nobles productions vient le temps des premiers touristes, et le camée s’impose comme un incontournable du souvenir d’Italie.
Modèle impérial
Napoléon Bonaparte, consul puis empereur, dont on ne cesse de raconter la quête de la grandeur romaine, se trouva tout naturellement fervent admirateur de pierres gravées. Il en commandait pour lui, pour les offrir, ornées de son impérial profil, et toute la bonne société le suivit dans cet engouement. Dans Le Journal des dames de 1805, on peut lire : « Une femme à la mode porte des camées à sa ceinture, des camées sur son collier, un camée sur chacun de ses bracelets, un camée sur son diadème »… Les ventes « Empire » de la maison Osenat à Fontainebleau vibrent régulièrement d’enchères tonitruantes pour les pièces d’exception fabriquées pour l’Empereur. En décembre 2018, un médaillon de cou le représentant de profil à l’antique, et entièrement pavé de diamants, décrochait 325 000 €. Il a été réalisé par Nicola Morelli, l’un des plus célèbres lithoglyphes de cette époque, puis offert au duc de Bassano. Un camée d’aussi belle facture et de même sujet, mais en agate blanche, frappait 290 000 € chez Fraysse & Associés en 2014. Chez Osenat à nouveau, cette fois en 2019, la représentation en calcédoine d’une bacchante à la chevelure généreusement décorée de pampres de vignes retenait 125 000 €. Celle-ci était l’œuvre de Benedetto Pistrucci. Repéré par Élisa Bonaparte, duchesse de Toscane, ce dernier travailla aussi pour ses sœurs Pauline Borghèse et Caroline Murat, reine de Naples, avant de partir exercer ses talents à Paris, puis à Londres à la chute de l’Empire. Avec le développement de la bourgeoisie sous la monarchie de Juillet, l’art de la glyptique se démocratise. L’Italie, avec la petite ville de Torre del Greco au pied du Vésuve, en demeure le principal centre ; c’est aussi le moment où le coquillage, plus tendre et facile à travailler, prend le devant. Vers 1860, le déclin est amorcé, les pierres gravées sont supplantées dans la bijouterie par les perles, les pierres de couleur et les diamants. On a tous en tête l’admirable Portrait de jeune femme de Sandro Botticelli du Städel Museum de Francfort : la belle Simonetta Cattaneo y porte le « Sceau de Néron », la cornaline représentant Apollon et Marsyas provenant de la collection Médicis. Laurent de Médicis était bien sûr grand amateur de glyptique. Il y eut encore Rubens, la princesse Palatine, le duc d’Orléans, frère de Louis XIV, le banquier Pierre Crozat… Aujourd’hui, il se dit que Rihanna en est fan.