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Bruno Botticelli, défenseur du marché de l’art ancien italien

Publié le , par Olivier Tosseri

Cet antiquaire, spécialiste de sculpture ancienne, est depuis un an à la tête de l’Associazione Antiquari d’Italia. Il lancera en septembre, à Rome, la première édition romaine d’une nouvelle biennale.

Photo courtesy Arrigo Coppitz Bruno Botticelli, défenseur du marché de l’art ancien italien
Photo courtesy Arrigo Coppitz

Quelles sont vos priorités pour affronter la crise de la profession que certains dénoncent en Italie ?
Bien que je préfère parler d’évolution de la profession d’antiquaires, il est indéniable que l’on a enregistré rien que pour Florence une baisse de 10 % de leur nombre ces dernières années. Mais parallèlement, il y a de plus en plus d’artisans – restaurateurs de toiles ou de cadres notamment – qui travaillent avec les antiquaires. Les plus grands musées internationaux, à commencer par le Metropolitan de New York, font réaliser à Florence les restaurations de leurs œuvres ou les font encadrer. C’est pour cela que j’ai proposé à la Chambre de commerce de promouvoir ce savoir-faire via un portail en ligne de très haute qualité mettant en réseau toutes ces professions. Ce modèle pourrait être appliqué aux autres villes d’art de la péninsule. Il faut par ailleurs absolument mieux faire connaître notre profession. En septembre prochain, au palais Brancaccio à Rome, l’Associazione Antiquari d’Italia organisera la première édition d’une grande biennale rassemblant uniquement des antiquaires italiens. L’événement se déroulera en alternance avec la BIAF (Biennale Internazionale dell’Antiquariato di Firenze, voir l'article 
La Biennale dell’Antiquatario di Firenz BIAF fait pour la 32e fois de Florence la capitale mondiale de l’art ancien italien de la Gazette 2022 n° 33, page 158) et pourra être éventuellement itinérant pour les prochains rendez-vous.

Quels enseignements tirez-vous de la dernière édition de la BIAF, qui a fait son retour en présentiel en septembre dernier ?
Florence a confirmé son rang de capitale de l’art ancien avec Maastricht qui abrite la Tefaf. Ces deux villes devancent Paris qui les rejoindra peut-être prochainement si elle saisit les opportunités offertes par le Brexit et la « francisation » des maisons de ventes anglo-saxonnes Christie’s et Sotheby’s, sous l’impulsion de leurs propriétaires. La dernière édition de la BIAF a été un grand succès avec un public nombreux, plus jeune, et des ventes importantes pour toutes les galeries participantes. Florence est la capitale italienne du marché de l’art ancien et également un centre de recherche de premier plan. Le Kunsthistorisches Institut, comptant parmi les plus anciennes institutions de recherche consacrées à l’histoire de l’art et de l’architecture, abrite l’une des plus riches bibliothèques au monde en la matière. Les plus grands universitaires y passent au moins une fois par an. Mais la ville bénéficie également d’une conjoncture favorable aux antiquaires.
 

Giovanni Comin (vers 1647-1695), Putto avec crâne et livre (Allégorie de la Vanité), marbre de Carrare, h.  80 cm. Photo courtesy Arrigo C
Giovanni Comin (vers 1647-1695), Putto avec crâne et livre (Allégorie de la Vanité), marbre de Carrare, h.  80 cm.
Photo courtesy Arrigo Coppitz

Et sur quoi repose votre optimisme ?
Sur la vivacité du marché immobilier, avec des prix au mètre carré pour les résidences de luxe approchant ceux de New York. C’est un fait nouveau avec l’afflux de riches étrangers américains et asiatiques, mais aussi grâce à des Français et à des Britanniques. Ils achètent des palais historiques en ville ou des villas dans la campagne toscane. Il faudra bien les décorer et ils seront, j’en suis sûr, des futurs collectionneurs. Plus ces grandes fortunes passeront de temps dans une ville d’art comme Florence, plus elles s’intéresseront à l’art ancien. Je n’ai jamais cru aux appartements modernes de Singapour meublés subitement avec des statues françaises du XIXe siècle ou des bustes toscans du XIIIe. Je suis en revanche convaincu que le contexte dans lequel évolue un client potentiel est fondamental.
Quel rapport entretenez-vous avec les maisons de ventes ?
Le lien est évidemment indissoluble, puisqu’en tant qu’antiquaires nous sommes à la fois des fournisseurs et leurs principaux acheteurs. Les ventes aux enchères ont beaucoup profité de la pandémie car leur activité peut facilement se dérouler à distance grâce aux nouvelles technologies. Les opérateurs s’adaptent aussi mieux aux logiques du monde globalisé en vendant des objets de typologies extrêmement variées, ce qui permet d’attirer une plus large clientèle. En tant qu’antiquaires, nous traitons par définition une marchandise plus ciblée. Il est intéressant de noter que les foires elles aussi se spécialisent de plus en plus et se forgent une identité plus marquée. Il est d’ailleurs important d’y participer pour suivre les tendances du marché. La rencontre en présentiel est essentielle, et c’est un aspect que les maisons de ventes délaissent de plus en plus.

Et concernant vos rapports avec les institutions italiennes ?
Nous devons encore améliorer le dialogue et faire mieux connaître notre travail. Les lenteurs et les lourdeurs bureaucratiques italiennes constituent les pires freins à notre activité. Je pense évidemment aux limitations de circulation des œuvres qui ne répondent pas aux logiques contemporaines d’un monde globalisé. La France demeure notre modèle en la matière avec la récente hausse du seuil des valeurs pour les exportations des tableaux.
Quelle est la grande particularité du marché italien ?
La présence d’antiquaires de qualité sur l’ensemble du territoire, à la différence de pays centralisés comme la France et le Royaume-Uni. Les régions italiennes sont très riches en marchands, en particulier le Piémont, la Vénétie et bien sûr la Toscane. Sur les cent quarante membres de l’Associazione Antiquari d’Italia, vingt-six sont florentins. Le phénomène concerne les grandes villes d’art, mais également des centres urbains plus petits dans lesquels on trouve encore de grands collectionneurs. Cela fait de l’Italie un pays unique en la matière. La richesse artistique est présente partout et ne se concentre pas dans une capitale, comme Paris ou Londres. Il convient de vivifier ce tissu de collectionneurs cultivés et de s’adresser également à une petite et moyenne bourgeoisie qui peut nourrir un intérêt pour les antiquités.

 

Franco Asco (1903-1970), Nu féminin, 1927, marbre, 103 x 58 x 30 cm. Photo courtesy Arrigo Coppitz
Franco Asco (1903-1970), Nu féminin, 1927, marbre, 103 x 58 x 30 cm. Photo courtesy Arrigo Coppitz

Comment le métier d’antiquaire a-t-il évolué ces dernières années ?
La génération de collectionneurs qui a commencé à acheter dans les années 1960-1970, celle de la grande effervescence du marché des antiquités, est en train de disparaître. La relève appartient à un monde globalisé. Ses représentants sont par certains aspects mieux formés et préparés que leurs aînés, car ils connaissent de nombreux aspects du monde de l’art. Le profil des collectionneurs sera ainsi bien moins homogène. Le modèle du XIXe siècle est dépassé, c’est-à-dire celui d’une « collection catalogue » d’un même secteur du marché. On passe désormais d’un style à l’autre avec une extraordinaire facilité. Par exemple, l’un de mes plus importants clients peut dans la même journée acheter une sculpture médiévale et un tableau de Basquiat. Le marché de l’art ancien doit surtout se garder de la logique régnant sur celui de l’art moderne et contemporain, qui ne se concentre que sur des grands noms pour une élite très riche. C’est comme si on ne devait lire que la Divine Comédie et quelques autres ouvrages car tout le reste n’est pas suffisamment représentatif de l’histoire de notre civilisation. C’est une hérésie pour l’art ancien. La réalisation d’une grande œuvre est le résultat d’un lent processus d’études et d’influences diverses et variées.
Assisterait-on en la matière à un véritable changement anthropologique ?
Oui, accentué et accéléré par Internet. Ses conséquences sur notre métier sont vastes. D’un côté, il a favorisé les approximations avec des vérifications faites rapidement, et de manière parfois douteuse. En même temps, cela oblige les antiquaires à être bien mieux préparés et plus rigoureux que par le passé. Aucune erreur sur la provenance ou sur la qualité de nos objets ne nous est pardonnée. C’est pour cela que les membres de l’Associazione Antiquari d’Italia sont sélectionnés avec le soin le plus scrupuleux.

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