Si la manifestation bruxelloise retrouve son créneau de janvier, six mois après sa précédente édition décalée en juin, elle s’agrandit et marque son 68e opus du sceau de l’art nouveau, célébré en 2023 dans la capitale belge.
La foire ne pouvait pas passer à côté : Bruxelles célèbre cette année l’art nouveau, 2023 marquant les 130 ans de l’hôtel Tassel de Victor Horta, le premier bâtiment de ce style construit dans la ville, qui compte aujourd’hui une dizaine d’édifices emblématiques – telle la mythique maison Hannon, dont les portes rouvriront au printemps après une importante campagne de restauration. Ce mouvement occupe une place toute particulière à Bruxelles, et ses volutes novatrices ont déclenché des passions : celle du collectionneur Jonathan Mangelinckx – il a réuni en vingt ans plus de 300 œuvres d’Horta, mais aussi de Paul Hankar, Henry Van de Velde, Gustave Serrurier-Bovy... qu’il étudie et publie – ou celle de Michel Gilbert, qui possède trois maisons également d’Horta, dont l’hôtel Max Hallet, ouvert à la visite dans le cadre de cet anniversaire. Un air de fête dynamise donc cette édition de la manifestation, qui reprend son créneau de janvier – après avoir dû glisser en juin en 2022 en raison de la crise sanitaire – et s’agrandit à Brussels Expo. La Brafa investit en effet 21 000 m2 (pour 130 galeries) contre 16 000 en 2022 (pour 115 galeries), et voit onze nouvelles enseignes rejoindre la sélection, dont cinq françaises (Nicolas Bourriaud, Amélie Sourget, Pascal Cuisinier, Franck Anelli, Nicolas Lenté), tandis que quelques habitués reviennent, comme Osborne Samuel Gallery, Morentz, Gokelaere & Robinson, ou encore Guy Pieters.
Atmosphère Belle Époque
L’esprit du maître Horta planera largement sur la foire, ce que constatera le visiteur dès ses premiers pas, en foulant les courbes du tapis créé à partir d’un dessin original conservé au musée qui porte son nom. Puis, au fil des stands, il découvrira des pièces exceptionnelles. Thomas Desprez, qui a acquis une réputation de marchand exigeant, spécialisé dans la période fin de siècle, présente un ensemble complet de deux chaises et d’un tabouret d’Horta, créé pour le magasin Wolfers (vers 1910, autour de 20 000/30 000 €) – deux autres séries sont conservées au musée d’Orsay à Paris et au musée Horta de Bruxelles. À la façon dont il décrit les pièces de son stand, on comprend que tout sera exceptionnel. Quelques exemples : une des six chaises connues sur le marché créées par l’architecte belge en 1894 pour la famille Solvay au château de la Hulpe – Jonathan Mangelinckx en possède une autre, mais aucune institution belge –, une horloge de cheminée Le Jour et La Nuit (vers 1900) de Pieter Braecke (1858-1938)... Ces pièces appartiennent à «un marché muséal», explique le galeriste. C’est pourquoi il compte «vendre plusieurs pièces d’Horta aux musées belges et internationaux». «Dans les arts décoratifs, on devient archéologue car pour ce dernier par exemple, rien n’est signé, contrairement à Henry Van de Velde», ajoute-t-il. D’autres prolongeront l’immersion dans l’art nouveau, telle la galerie Cento Anni avec un peigne «Chauve-souris et pavots» ou une sculpture en bronze de l’orfèvre Philippe Wolfers. La pièce maîtresse du stand d'Epoque Fine Jewels sera la tiare Paon, également de Philippe Wolfers, qui a été récemment identifiée comme l'une des œuvres importantes de l'orfèvre et dont les archives Wolfers n'avaient pas gardé la trace. L’antiquaire l’a acquise en tant que broche auprès des descendants de Mme Léopold Kronacher, qui avait commandé la pièce à l’orfèvre. Une ancienne photographie publiée dans un magazine de l’époque a rendu possible une reconstitution de la tiare. Florian Kolhammer réunira quant à lui un ensemble de vases en verre, dont quelques-uns signés Johann Lötz Witwe (entre 26 000 et 35 000 €), et la galerie L’Univers du bronze proposera deux lampes de Raoul Larche (1860-1912), «qui eut énormément de succès grâce à ses sculptures d’un réalisme saisissant, où des figures, souvent féminines, se meuvent avec grâce et sensualité», nous apprend Alain Richarme. «Ses créations les plus évocatrices de cette époque sont les lampes Loïe Fuller, dont nous présentons deux belles épreuves à la Brafa.» La galerie Mathivet suprendra avec un canapé d’Eugène Vallin (1856-1922), que décrit Céline Mathivet : «Si les courbes de l’accotoir ne sont pas sans rappeler celles des fauteuils d’Horta, ou sa rambarde d’escalier pour l’hôtel Solvay, les lignes élancées du dossier et le piétement organique sont caractéristiques du style de l’ébéniste de l’école de Nancy.»
L’éclectisme de rigueur
Ce focus sur l’art nouveau donnera certainement l’impression d’une forte présence du mobilier et du design, ce qui sera renforcé par la place du Brésilien José Zanine Caldas (1918-2001) chez Axel Vervoordt, de créateurs hollandais à la galerie Van den Bruinhorst et français chez Pascal Cuisinier. À la galerie La Forest Divonne, on découvrira même des meubles de François Cante-Pacos (né en 1946) édités pour la première fois, notamment une console en laque ivoire, en huit exemplaires, sur des dessins des années 1970. La Brafa demeure cependant fidèle à son image de foire éclectique, de l’art ancien à l’art contemporain. Habitué à présenter Pieter Huys (1519-1584), membre du groupe de peintres anversois et successeurs de Bosch, De Jonckheere vient avec une assez calme Tentation de saint Antoine. Hurtebize divise son stand entre le postimpressionnisme – des œuvres de Maximilien Luce, Henri Martin ou Pierre Bonnard –, l’abstraction des années 1950 – avec notamment une Composition abstraite (1958) de Serge Poliakoff – et des coups de cœur contemporains. Alexis Bordes dévoile un tableau d’Alphonse Osbert dédicacé par l’artiste à l’intention de sa fille pour sa première communion. «Nous sommes en plein courant symboliste avec une touche bleue diaphane divisionniste, ce tableau est un petit bijou daté 1905», s’enthousiasme le galeriste. A&R Fleury s’imposera avec une sculpture en bronze de plus de 120 cm, réalisée par Miró en 1971, Oiseau migrateur posé sur un rocher en plein océan. L’extra-européen reste un peu moins présent, avec quatre galeries : Didier Claes, Dalton Somaré, Montagut et Serge Schoffel. Ce dernier a attendu la Brafa pour exposer «deux pièces d’une qualité exceptionnelle et rares, notamment la statuette pfemba, très en vogue en ce moment sur le marché des arts africains», partage le marchand. Quant à la statue songye, elle se singularise par «sa couronne de métal et le fait qu’elle a gardé tous ses attributs d’origine : textiles, graisses, matières organiques diverses» (entre 50 000 et 100 000 € pour chacune des deux œuvres). Si la Brafa est désormais une foire qui compte, cette édition constituera un test pour mesurer si les collectionneurs ont adopté la nouvelle localisation au Heysel.