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Beyeler, naissance d’une fondation

Publié le , par Bertrand Galimard Flavigny

En vingt ans, avec quarante expositions organisées depuis 1997, le musée installé en pleine nature par l’ancien marchand d’art bâlois repose sur deux piliers de l’art moderne, l’abstraction et le cubisme.

Ernst et Hildy Beyeler devant la galerie Beyeler, 1997. Beyeler, naissance d’une fondation
Ernst et Hildy Beyeler devant la galerie Beyeler, 1997.
© Photo Niggi Braeunin

Comment et pourquoi institue-t-on une fondation ? Marchand d’art depuis 1945 à Bâle, Ernst Beyeler (1921-2010) s’était fait connaître dans le monde entier par la qualité des œuvres vendues dans sa galerie et les expositions qu’il y organisait. En 1997, il créa une fondation portant son nom afin d’y réunir sa collection personnelle, riche de cent quatre-vingts œuvres et l’une des plus belles qui soient pour l’art du XXe siècle. Cette collection s’appuie, selon ses propres mots, «sur les deux piliers de l’art moderne : l’abstraction et le cubisme». Cet établissement a pris une ampleur inégalée, notamment grâce aux expositions qui s’y tiennent régulièrement. Vingt ans plus tard, alors que son fondateur a disparu, il devrait prendre encore plus d’ampleur grâce à un projet d’agrandissement en cours. Ernst Beyeler tenait à ce que son musée soit sur un seul et même niveau, afin d’en faciliter l’accès à tous. Il lui paraissait également essentiel que les bâtiments s’intègrent dans la nature : «L’eau apporte un aspect de tranquillité ; luxe, calme et volupté : un morceau d’éternité.» Un petit étang jonché de nénuphars apporte une certaine grâce à la salle qui lui fait face, dédiée à Monet avec le Bassin aux nymphéas (vers 1917-1920, trois panneaux de 301 sur 200,7 cm). Pour l’anecdote, ce triptyque pourrait être à l’origine des lieux. Le baron Thyssen, souhaitant l’offrir à sa femme en cadeau de mariage, avait fait au marchand d’art une offre très importante pour l’acquérir. Celui-ci refusa, ne pouvant se séparer de ce qu’il considérait comme le chef-d’œuvre de sa collection. Or, le tableau était alors déposé au Kunstmuseum de Bâle. Beyeler redouta que la moitié de ses œuvres ne se retrouvent dans les réserves. C’est à ce moment-là qu’il décida la création d’une fondation. «Je ne voulais pas d’un musée trop proche du Kunstmuseum, car je souhaitais l’inscrire dans le paysage, dans la nature, non dans un univers urbain. Je ne l’aurais pas imaginé autrement», devait-il confier à Christophe Mory, avec lequel il publia un ouvrage d’entretiens.
 

Pablo Picasso (1881-1973), Le Sauvetage, 1932, huile sur toile, 130 x 97,5 cm, fondation Beyeler, Riehen/Bâle, collection Beyeler.
Pablo Picasso (1881-1973), Le Sauvetage, 1932, huile sur toile, 130 x 97,5 cm, fondation Beyeler, Riehen/Bâle, collection Beyeler.

Un flair infaillible
La campagne n’était guère éloignée… Le choix se fixa sur la commune de Riehen, proche de la frontière avec l’Allemagne  ce qui fit dire à quelques-uns que la fondation ne pourrait s’étendre, à moins de s’y retrouver. «L’installation dans ce village ne fut pas évidente», rapporte Catherine Couturier, l’une des anciennes proches collaboratrices d’Ernst Beyeler. «Les habitants craignaient que l’implantation de la fondation n’augmente la circulation. Il y eut même un référendum précédé d’une campagne, avec des réunions, etc.» Pressé par ce vote, le marchand n’eut pas le temps de lancer un concours d’architectes : il contacta Renzo Piano, et le projet remporta 60 % des suffrages. Ernst Beyeler n’eut à ce moment qu’une hâte, voir achever son musée. «L’homme avait plusieurs facettes», se souvient Catherine Couturier. «Il se montrait charmeur, puis soudain distant. Il pouvait être intraitable et rien n’était impossible pour lui. Avec un flair infaillible, il était capable d’acheter une toile en cinq minutes, comme de longtemps patienter. Le premier achat, la vente, puis le rachat et le refus de céder à nouveau Improvisation 10 de Kandinsky en est un exemple.» La fondation Beyeler fut inaugurée officiellement le 18 octobre 1997. Depuis cette date, elle a présenté près de quarante expositions. Afin de marquer cet anniversaire, son directeur, Sam Keller, a souhaité s’inspirer du tout premier accrochage de la collection d’Ernst et Hildy Beyeler. «Nous nous sommes fondés sur quelques photographies et des témoignages de l’époque afin de le reconstituer», explique le commissaire, Raphaël Bouvier. «Nous avons toutefois légèrement modifié certains emplacements, comme une Cathédrale de Rouen de Monet, que nous avons remplacée par Madame Cézanne à la chaise jaune en pendant de La  Femme en vert, un portrait de Dora Maar par Picasso : deux toiles qui semblaient très proches, selon le regard d’Ernst Beyeler.» Ces deux œuvres sont emblématiques de la collection, d’autant que Madame Cézanne à la chaise jaune a été acheté 23 M$, la même somme qui a été nécessaire à la construction de la fondation !
Le goût de la transmission
Van Gogh, Giacometti, Rothko et Bacon, en passant par Matisse, Mondrian, Léger, Miró, Max Ernst et surtout Picasso, le plus représenté avec Klee, sont les autres maîtres de cette collection étourdissante. Wald-Hexen (Sorcières de la forêt), une œuvre tardive de Paul Klee datée de 1938, fut d’abord un prêt. Ernst Beyeler mit dix ans pour l’acquérir. Dans son discours inaugural, Il expliquait que lui et son épouse «avaient toujours été profondément émus par des œuvres d’art dont, souvent, [ils] avaient été incapables de [se] séparer ; plus tard, nous avons pris conscience que nous souhaitions transmettre cet art, ainsi que les bénéfices que ces œuvres nous avaient apportés». Aujourd’hui, la fondation accueille 340 000 visiteurs par an, avec un pic de 350 000 lors de l’exposition consacrée à Gauguin en 2015. «Nous nous approchons du musée le plus visité en Suisse, c’est-à-dire celui des Transports à Lucerne, avec 500 000 visiteurs», dit en souriant Catherine Couturier. Ernst Beyeler peut être satisfait, ses vœux se sont concrétisés : l’art fleurit, chez lui, dans la nature.

 

Claude Monet (1840-1926), Les Nymphéas, 1916-1919, huile sur toile, 200 x 180 cm, fondation Beyeler, Riehen/Bâle, collection Beyeler.
Claude Monet (1840-1926), Les Nymphéas, 1916-1919, huile sur toile, 200 x 180 cm, fondation Beyeler, Riehen/Bâle, collection Beyeler. © Photo Robert Bayer

Monet pour le plaisir
Le mot «nymphéa» est beaucoup plus chic que «nénuphar», alors que tous deux désignent la même plante. On n’imagine pas, face à un tableau de Claude Monet, s’exclamer «oh, les jolis nénuphars !» Il est certain que le père des impressionnistes a popularisé le sujet, jamais au singulier. Il a peint, semble-t-il, plus de 250 tableaux en étant inspirés. La fondation Beyeler, à l’occasion de ses vingt ans, consacre «une fête de la lumière et des couleurs», en présentant soixante-trois œuvres de l’artiste, retraçant son parcours, ses recherches depuis ses premiers paysages de l’Ile-de-France, de la Méditerranée, des côtes de l’Atlantique, de Londres, jusqu’aux œuvres tardives avec les Nymphéas. Les ponts de Londres dans la brume, les cathédrales répétées, les meules de foin, sont présentés non par ordre chronologique, mais par thèmes. Les œuvres proviennent de collections particulières, du musée d’Orsay de Paris, du Pola Museum of Art du Japon, du Metropolitan Museum of Art de New York et de l’Art Institute de Chicago. Plutôt qu’une exposition scientifique, celle-là a été organisée pour le seul plaisir des yeux, offrant une agréable promenade dans des jardins où se mêlent reflets et ombres. Outre l’exposition «L’originale», se tenant jusqu’au 7 mai et inspirée de la présentation inaugurale de 1997, le directeur de la fondation en a prévu deux autres au cours de l’année. La prochaine, «Les artistes et la collection» (du 11 juin au 10 septembre), doit montrer celle-ci dans son état actuel, avec les acquisitions des dernières années ; la troisième, «Les collectionneurs et la collection» (du 15 octobre 2017 au 1er janvier 2018), révélera des possibilités de son élargissement, grâce à des prêts de longue durée, de nouveaux achats et donations. 


À VOIR
Exposition «Monet» Fondation Beyeler,
Baselstrasse 101, CH-4125 Riehen-Bâle, Suisse, tél. : +41 61 645 97 00.

jusqu’au 28 mai 2017.
www.beyeler.com - www.fondationbeyeler.ch
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