En novembre dernier, Art Basel annonçait le lancement d’Arcual, le «premier écosystème blockchain établi pour la communauté artistique, par la communauté artistique». De quoi s’agit-il réellement ?
Avec sa première startup, Vastari, Bernadine Bröcker Wieder mettait en relation collectionneurs-prêteurs et musées. Fervent soutien des femmes entrepreneurs, notamment dans le secteur de l’art, elle a pris la direction d’Arcual après une année 2022 difficile pour son entreprise. Au bon endroit au bon moment, elle comprend aussi bien les problématiques des collectionneurs et des galeries que celles des artistes, mais elle peut également parler de technique avec des équipes de haut niveau ou de finance décentralisée avec un geek de la crypto. Des qualités qui lui seront utiles pour gérer un projet aussi ambitieux que celui porté par le groupe MCH, la Fondation LUMA et le Boston Consulting Group (BCG). Elle nous explique ce qu’il y a derrière le bien mystérieux nom d’Arcual.
Qui sont les fondateurs d’Arcual ?
Arcual est le fruit de la collaboration du groupe MCH [la société mère d’Art Basel, ndlr], la Fondation LUMA en Suisse, qui chapote le bâtiment et les activités présentes à Arles, et le BCG. Ces trois acteurs siègent au conseil d’administration. Bien que la répartition précise de l’actionnariat ne soit pas divulguée, je peux dire que MCH se distingue comme le plus important shareholder. La gouvernance de MCH est par ailleurs intéressante car elle rassemble elle-même trois actionnaires principaux : les cantons de Bâle et de Zurich, ainsi que Lupa Systems, le véhicule d’investissement privé de James Murdoch, entré en scène en pleine période de Covid. Cet actionnariat distribué crée une atmosphère dynamique qui rappelle l’esprit collaboratif de la blockchain.
Comment êtes-vous devenue directrice d’Arcual ?
En janvier, les actionnaires de Vastari, y compris moi-même, ont décidé de vendre l’entreprise. Presque au même moment, le BCG m’a approchée pour me proposer le poste de P-DG de cette nouvelle aventure. L’offre était très alléchante, car il s’agissait d’un projet ambitieux, avec un budget conséquent et un potentiel de changement important pour le secteur de l’art. Lorsque j’ai rejoint Arcual, 30 consultants du BCG travaillaient sur le projet. J’étais la première employée, et depuis lors, nous avons recruté notre propre équipe, qui s’est développée, pour atteindre 30 personnes réparties entre Zurich, Londres et Berlin.
Comment sont organisées les équipes entre ces trois lieux ?
Au début, on envisageait de créer un pôle d’ingénierie à Berlin et un pôle marketing à Londres, mais j’ai décidé de privilégier une approche plus collaborative. Ainsi, chaque hub dispose d’un peu de chaque compétence, avec des ingénieurs, des personnes en charge du marketing et des ventes, et des spécialistes produits. Cela permet de faire grandir notre écosystème et de s’assurer que notre offre a du sens partout où nous nous déployons. Nous envisageons aussi une expansion future aux États-Unis.
Dans quel état était le projet à votre arrivée ?
La première semaine de mon arrivée, j’ai assisté à une démonstration du produit. Je fus agréablement surprise, car il était déjà fort bien conçu. Ce qui était vraiment appréciable, c’est que le projet avait été coproduit avec les collectionneurs et les artistes, ce qui permettait de bien cerner les besoins de chacun des acteurs.
Justement, quel est le produit ? Il s’adresse aux galeries travaillant sur le premier marché. Dans un premier temps, la galerie et l’artiste définissent les termes du partage des revenus de la vente : 50-50, 60-40 par exemple. Ces accords sont stockés sur la blockchain sous forme de smart contract. Ensuite, un certificat d’authenticité est émis, servant d’enregistrement numérique, signé par l’artiste et la galerie et prouvant l’existence de l’œuvre. À cette étape, les conditions de revente et les royalties sont également intégrées, y compris les pourcentages revenant à chaque acteur, ainsi que des délais d’application de ces pourcentages. Finalement, le collectionneur achète l’œuvre d’art. Le paiement est effectué via notre plateforme par carte de crédit ou virement bancaire. L’artiste et la galerie reçoivent immédiatement leur part respective des revenus de la vente, conformément aux termes du smart contract. Nous ne sommes pas des intermédiaires dans la transaction. Nous agissons plutôt en tant qu’outil facilitant et sécurisant les transactions.
Les galeries continuent de gérer entièrement les aspects liés à la facturation, notamment. Et quel est l’objectif général ? Il s’agit de construire une infrastructure blockchain pour le monde de l’art, afin d’améliorer certains standards indispensables pour assurer la durabilité de ce secteur au XXIe siècle. Notre blockchain est spécifique, ce qui nous permet d’y incorporer certaines fonctionnalités qui ne seraient pas envisageables sur une blockchain «publique» : par exemple, la possibilité de vérifier la fiabilité de certaines informations telles que l’identité des clients ou le prix exact, à opposer à une «transparence» pure et simple. Aujourd’hui, les nodes [les serveurs qui hébergent une copie des informations, ndlr] de ces blockchains sont opérés par LUMA, le BCG et MCH. Mais, dans notre idée, d’autres entités du monde de l’art pourraient également jouer ce rôle.
Les gas fees [frais d’utilisation, ndlr] reviendraient aux acteurs de l’art plutôt qu’à des mineurs de cryptomonnaies, renforçant l’écosystème et l’idée du «par la communauté artistique, pour la communauté artistique». Quel est votre business model ? Nous sommes un prestataire de services de paiement, et en tant que tel nous prélevons entre 1 et 1,5 % sur chaque transaction. Nous travaillons avec Stripe, avec qui nous avons négocié des conditions plutôt avantageuses, meilleures que ce que les galeries pourraient obtenir en traitant directement avec celle-ci. À l’avenir, nous pourrions explorer d’autres méthodes de paiement, comme certaines applications DeFi [finance décentralisée, ndlr], qui permettraient de baisser les coûts pour nous. Cependant, pour le moment, nous pensons qu’il est important de conserver une manière de procéder habituelle pour 99 % des galeries, artistes et collectionneurs : ils n’ont qu’à fournir leur compte bancaire et l’argent leur parvient, sans qu’ils aient besoin de recourir à un portefeuille de cryptomonnaies ou autre. Comment la Fondation LUMA est-elle impliquée dans ce projet ? Au-delà du côté prestigieux, la Fondation LUMA joue un rôle crucial pour Arcual. Elle a veillé à ce que l’entreprise signe un code d’éthique et s’engage à toujours servir au mieux les intérêts des artistes. La fondation est d’ailleurs la garante de ces engagements. Par ailleurs, à travers sa pratique de la collection, s’intéressant à de nombreux médiums, Maja Hoffmann nous pousse à réfléchir à l’intégration de types d’œuvres très différents. De plus, elle a bien compris l’importance de notre projet pour l’archivage et la pérennité des informations dans le monde de l’art. Enfin, nous travaillons beaucoup avec LUMA sur de nouveaux développements, notamment autour de nouvelles sources de revenus pour les institutions. Comment envisagez-vous le déploiement d’Arcual ? Mon objectif est de voir au moins 100 galeries utiliser Arcual d’ici à la fin de l’année pour gérer leurs ventes. Mais ce qui est encore plus important, ce sont les artistes. Nous voulons nous assurer qu’ils signalent aux galeries leur souhait d’utiliser cette méthode pour documenter leur travail et gérer leurs représentations. J’avoue être très enthousiaste. L’équipe incroyable, les actionnaires prestigieux et solides et les défis intellectuels stimulants rendent ce projet vraiment très prometteur. Le rythme rapide de l’évolution du secteur me fait penser que quelque chose de grand va se produire…