Au coeur d’un tableau pour la première fois proposé aux enchères, une chaste Suzanne attirera de nombreux regards. Ayons l’oeil coquin !
Giovanni Giacomo Sementi (1580- 1636), Suzanne et les vieillards, toile, 118 x 152 cm.
Adjugé 120 000 €
La renaissance et le Seicento italiens, renouant avec l’Antiquité, nous ont laissé de splendides nus féminins. Sous couvert de réminiscences biblique ou mythologique, les artistes ont ainsi transcrit des nus polissons : aux adolescentes aguichantes du Parmesan succèdent les jeunes femmes sensuelles du Titien et de Tintoret. Mais attention, on découvre plus qu’on ne montre ! Vénus, Pomone et Diane au bain déploient leurs appas sous des voiles transparents. Nos déesses engageantes ont pour consoeurs diverses héroïnes de l’Ancien Testament, Danaé, Bethsabée et Esther, elles-mêmes accompagnées de la bellissime Suzanne. Et celle-ci est surprise à sa toilette par des vieillards libidineux, comme l’illustre notre tableau provenant d’un château normand. Le professeur et historien d’art Alessandro Brogi a conduit nos experts vers une attribution au peintre bolonais Giovanni Giacomo Sementi. Jeune homme, ce dernier étudie à l’académie de sa ville natale, fondée au milieu du XVIe siècle par Denijs Calvaert, un maniériste anversois. Initié au classicisme raphaélesque, il apprend aussi le réalisme flamand et, surtout, côtoie Guido Reni, de cinq ans son aîné. Une rencontre fructueuse pour notre artiste, qui va s’inspirer durablement de l’oeuvre d’un des maîtres de la première école bolonaise. Peignant de nombreux tableaux religieux et allégoriques, Giovanni Giacomo Sementi reprend une même rhétorique de la séduction et du mélodrame. Ses tableaux allient de concert monumentalité, pathos et érotisme, à l’exemple de notre toile. Tirée du livre de Daniel, la scène montre deux vieux beaux ; ils sont aux prises avec une charmante jeune femme «résistant» à leurs assauts galants. Probablement peinte avant 1620, la composition, fort bien articulée, n’est pas sans nous évoquer aujourd’hui les gros plans du cinéma, et sa facture extrêmement soignée relève d’une gestuelle toute théâtrale. Se détachant d’un fond uniformément sombre, l’action se resserre sur nos trois personnages vus à mi-corps ; reliés avec aisance, ils sont peints dans une gamme de tonalités raffinées. Orchestrant avec brio la scénographie, notre peintre se révèle un maître avisé des contrastes lumineux, ainsi qu’un habile metteur en scène du clair-obscur. L’austérité et la rigueur du décor exaltent encore l’émotion. Le mouvement des somptueux drapés concourt également à traduire l’intensité du moment. Notre représentation se range parmi les interprétations féministes du récit biblique. Suzanne, placée au centre de la composition, ne manifeste ni honte, ni crainte, mais exprime au contraire une certaine fierté face au désir charnel des vieillards. Dédaignant le plus âgé, elle tire violemment et d’un geste assuré la barbe grisonnante du plus jeune pour lui couper ses moyens ! La représentant en pleine lumière, Sementi insiste d’autant sur la sensualité du modèle aux épaules caressées par une foisonnante chevelure aux reflets blonds. Il invite encore l’oeil à s’attarder sur certains détails rendus avec soin, comme la bouche entrouverte, le nombril délicat et les seins aux tétons fermes : une prodigieuse volupté qui éclot en poésie. N’en doutons pas, la passion des musées et l’ardeur des nombreux amateurs conquis par les charmes de l’école bolonaise seront drôlement titillées...