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Axel Hémery veut réveiller la Pinacothèque de Sienne

Publié le , par Olivier Tosseri

Après le musée des Augustins de Toulouse, il s’est vu confier il y a un an la plus prestigieuse collection d’art primitif de Toscane. Le conservateur s’est fixé comme objectif d’en moderniser le musée, «trop peu connu du grand public et qui sommeille.»

© Sandro Michaelles fotografo Axel Hémery veut réveiller la Pinacothèque de Sienne
© Sandro Michaelles fotografo

Ne regrettez-vous pas d’avoir quitté le musée des Augustins si près de sa réouverture, prévue en 2025 ?
Sa fermeture depuis 2019 a été longue. Il est dommage de ne pas être présent jusqu’au bout, mais l’essentiel des travaux étaient déjà bien lancés et l’idée précise du résultat final était fixée. Les décisions fondamentales avaient été prises, avec la nouvelle entrée, qui va résoudre un grand problème de circulation et offrira une véritable formulation esthétique au musée en lui donnant une façade. Les chantiers de restauration ont été lancés ou sont achevés. J’ai donc le sentiment d’avoir pu mener à bien l’essentiel du projet. C’est toujours regrettable de ne pas en voir l’aboutissement, mais la directrice Laure Dalon saura donner au musée un nouvel élan.
Quelle est la nature des fonds de la Pinacothèque nationale de Sienne, dont vous avez pris la direction il y a tout juste un an ?
La Pinacothèque est installée dans les palais Brigidi et Buonsignori. Elle a été inaugurée en 1932 et abrite le plus important ensemble de peintures siennoises à fond or des XIV
e et XVe siècles, telles que des œuvres de Simone Martini ou des frères Lorenzetti. Mais le cœur des collections est constitué par des œuvres allant du XIIIe au XVIe siècle, avec les plus importants artistes de l’école siennoise, comme Sasseta, Sano di Pietro, Matteo di Giovanni ou encore le Sodoma. Sans oublier quelques œuvres allemandes et flamandes de Lucas Cranach le Jeune ou d’Albrecht Dürer. Environ huit cents tableaux sont exposés à la Pinacothèque et des dizaines, en dépôt, le sont dans des musées de la région toscane.
 

Domenico Beccafumi (vers 1486-1551), Vierge à l’Enfant avec le petit saint Jean Baptiste, huile sur toile, 72 x 58 cm (détail). © Pinacote
Domenico Beccafumi (vers 1486-1551), Vierge à l’Enfant avec le petit saint Jean Baptiste, huile sur toile, 72 x 58 cm (détail).
© Pinacoteca Nazionale di Siena, ministero della Cultura

Comment un conservateur français, qui n’est pas spécialiste de l’art primitif italien, devient-il directeur de la Pinacothèque de Sienne ?
J’avais depuis très longtemps envie de vivre une aventure italienne. Cela n’avait pu se faire en 2015 au moment de la réforme du ministre de la Culture Dario Franceschini, qui permettait le recrutement d’étrangers à la tête des grandes institutions du pays. J’étais à l’époque directeur du musée des Augustins à Toulouse. Je m’étais présenté en 2020, et mon nom était l’un des trois sélectionnés pour diriger le Palazzo Venezia et le Vittoriano. Je n’ai pas été retenu, mais cela m’a encouragé à me présenter à Sienne, où j’ai été nommé en 2022. Même si mes études m’ont porté vers une connaissance approfondie du XVII
e siècle et de la ville de Naples, j’ai toujours eu un grand intérêt pour la peinture siennoise. Il y a une adéquation entre mon parcours, ma personnalité et cette ville, qui m’a réservé un accueil merveilleux. Pour faire une comparaison avec le monde médical, le directeur de musée serait comme un médecin généraliste ayant été auparavant médecin spécialiste : il faut avoir une bonne vision d’ensemble de l’histoire de l’art, mais en même temps être sensible à la recherche scientifique dans des domaines précis. En tant que conservateur au musée Pierre André Benoit d’Alès au début de ma carrière, j’ai pu approfondir le XXe siècle, et en particulier les années 1950 autour de l’école de Paris ; à Toulouse, au musée des Augustins, je me suis penché sur le Moyen Âge, mais aussi le XIXe siècle.

Votre nomination est-elle le signe d’une internationalisation de votre profession ?
J’ai déjà beaucoup travaillé avec les États-Unis et l’Italie au cours de ma carrière. Mais il est certain que la réforme Franceschini a permis une plus grande ouverture du monde muséal du pays. Elle n’a pas seulement initié le recrutement d’étrangers pour diriger des musées importants, mais a également augmenté celui d’Italiens ayant une expérience à l’étranger. En Italie, il n’y avait pas de corrélation suffisante entre une formation de management culturel et les connaissances en histoire de l’art. En France, l’Institut national du patrimoine existe depuis trente ans, et forme les conservateurs de musée. Ce n’est pas le cas ici, mais c’est en train d’évoluer. Il faut également rappeler que la France est plus frileuse que sa voisine en matière d’internationalisation : les étrangers sont rares à la tête de ses institutions culturelles, sauf dans le domaine de l’art contemporain. Il y a une audace en Italie, pays où les historiens de l’art de grande qualité sont très nombreux. Je viens avec beaucoup d’humilité me confronter à cette excellence transalpine.
 

Giovanni di Paolo (vers 1403-1482), La Fuite en Égypte, 1427, tempera et or sur panneau, 50 x 50,7 cm, prédelle du polyptyque Branchini. ©
Giovanni di Paolo (vers 1403-1482), La Fuite en Égypte, 1427, tempera et or sur panneau, 50 50,7 cm, prédelle du polyptyque Branchini.
© Pinacoteca Nazionale di Siena, ministero della Cultura

Quelle est votre mission à Sienne ?
La Pinacothèque est un musée très important mais qui souffre. Des travaux effectués ces dernières années ont permis d’amorcer sa relance, notamment concernant les installations thermiques, électriques et de vidéosurveillance. Mais il manque un parcours de visite accueillant, avec des informations claires, des cartels précis pour les œuvres et un éclairage de qualité. Je vais me consacrer à la refonte de ce parcours et de l’aménagement des salles : je veux qu’ils soient comparable à ceux des grands musées européens. ll faut faire comprendre au public local mais aussi international l’importance de la Pinacothèque et de ses collections, d’art sacré essentiellement. Un effort de narration et de communication est important. Refondre le site internet est également indispensable. J’ai à ma disposition les ressources du plan de relance européen, dont l’Italie est la principale bénéficiaire. Outre la direction de la Pinacothèque, je suis responsable de trois autres musées siennois appartenant à l’État : le Museo archeologico nazionale, le Palazzo Chigi Piccolomini alla Postierla et la Villa Cesare Brandi, où a vécu ce grand historien de l’art et théoricien de la restauration. La troisième abrite une collection d’art moderne et contemporain, ce qui me permet de travailler sur des périodes allant de l’Antiquité étrusque au XX
e siècle. Mon grand défi sera de réveiller une belle institution qui sommeille. Elle est aujourd’hui principalement connue des spécialistes, mais je veux lui apporter le rayonnement qu’elle mérite.
Avec quels moyens ? Avez-vous une enveloppe dédiée aux acquisitions ?
Grâce à son autonomie, la Pinacothèque dispose d’un véritable budget. Les fonds européens du plan de relance de 2,7 M€ seront essentiellement consacrés à reformuler le parcours de visite. Il ne faut pas non plus négliger la possibilité de recevoir des donations. J’ai ainsi fondé l’Association des amis de la Pinacothèque, à la fin de l’année dernière, qui compte déjà deux cents membres. Concernant les acquisitions, une importante Vierge à l’Enfant de Domenico Beccafumi vient d’entrer dans nos collections. Le ministère a entièrement financé l’opération, à hauteur de 500 000 €. La barre est haute… On achètera donc peu mais bien, en restant avant tout vigilants sur la qualité. Une veille est bien évidemment exercée sur toutes les œuvres siennoises, car notre musée est la référence en la matière. Je chercherai également à enrichir des points un peu plus faibles des collections. Dans une pinacothèque, la sculpture est naturellement moins bien représentée : j’aimerais combler ce vide concernant notamment le XVII
e et le XIXe siècles siennois. Pendant longtemps, c’est la Banca Monte dei Paschi di Siena, au travers de sa fondation, qui permettait aux chefs-d’œuvre toscans de ne pas quitter l’Italie. Aujourd’hui, avec la crise que la banque traverse, elle ne joue plus ce rôle. La Pinacothèque va essayer de prendre le relais.

à voir
Pinacothèque nationale, 29, via San Pietro, Sienne,
tél. : +39 (0)577 28 11 61,
pinacotecanazionale.siena.it
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