Avec 80 000 pièces, le musée de l’Armée détient l’une des plus importantes collections de photographie ancienne et contemporaine, laquelle va jouer un rôle croissant dans le futur parcours permanent.
Avec plus de 1,2 million de visiteurs par an, le musée de l’Armée est l’un des sites parisiens les plus fréquentés, qui doit essentiellement son succès à l’hôtel des Invalides et son emblématique dôme abritant le tombeau de Napoléon Ier. On sait moins en revanche que l’institution, née en 1905 de la réunion du musée historique de l’Armée et du musée de l’Artillerie, conserve près de 500 000 items sur l’histoire militaire, de la préhistoire au XXIe siècle. Soit l’un des fonds les plus riches au monde, incluant des pièces prestigieuses issues des collections royales. Parmi les uniformes, armes, dessins, peintures et objets du quotidien, la photographie tient une place à part, comme le prouve l’exposition « Photographies en guerre » : conçue et revendiquée comme un manifeste de la place du médium au sein du musée, elle met en lumière une active politique d’acquisition passée et présente. Ainsi, grâce à l'arrivée récente par don et achat de la collection d’Éric Deroo, historien et documentariste spécialiste de l’histoire coloniale française, le nombre de pièces vient de passer de 60 000 à 80 000, soit près d’un cinquième de l’ensemble de la collection muséale. Autre fait remarquable, toute l’histoire de la discipline, des origines à aujourd’hui, est couverte, de même que son évolution technique, avec des plaques de verre (20 000), des calotypes et des daguerréotypes, des vues stéréoscopiques et des tirages (30 000), des négatifs (4 000) ainsi que des albums.
Le réel au-delà des frontières
« La photographie et le musée de l’Armée, c’est une histoire partagée depuis les origines, affirme Lucie Moriceau-Chastagner, adjointe au département des beaux-arts et du patrimoine. Le général Vanson, premier directeur du musée historique de l’Armée, était lui-même collectionneur et avait réuni plusieurs milliers de tirages. Comprenant de grands noms, son legs de 1901 couvre toute la seconde moitié du XIXe siècle. » Le général Vanson a, en effet, très tôt compris la valeur documentaire de la photographie et sa capacité à rendre compte du réel. Son intérêt n’était pas limité à la France, mais étendu aux armées étrangères, comme le prouvent les clichés de la guerre de Crimée datant des années 1850, des fleurons du musée signés Roger Fenton et James Robertson. Dès l’origine, l’institution conçoit l’histoire militaire au-delà de nos frontières et s’intéresse à une pluralité de regards, doublée d’une conception large de la photographie. « Nous sommes tout à la fois un musée d’histoire, des beaux-arts et des sciences et techniques, soit une approche très complète de l’histoire qui fait notre originalité », constate Lucie Moriceau-Chastagner, également responsable de la collection de photographies. Celle-ci est le reflet de l’évolution des pratiques en la matière, à commencer par celles des militaires : clichés de champs de bataille, relevés topographiques, vues aériennes ou encore images de propagande. Les vues des manœuvres du camp de Châlons réalisées par Gustave Le Gray en 1857 en sont un exemple célèbre. Si on les regarde aujourd’hui comme des œuvres à part entière, ces images, commandées à dessein par Napoléon III sous le second Empire, constituaient un outil d’instrumentalisation militaire. La collection comprend également plusieurs centaines d’albums, desquels se dégage un autre point de vue, celui de la société civile. C’est l’idée « de la petite histoire qui fait la grande », poursuit Lucie Moriceau-Chastagner. En témoignent les nombreux portraits de studio de poilus, présentés dans l’exposition, ou les images d’amateurs – officiers, soldats ou appelés – réalisées sur le front, de la Première Guerre mondiale aux conflits d’indépendance, en Indochine et en Algérie notamment, qui rendent compte de la démocratisation de la photographie. Au budget de 700 000 € alloué au musée par le ministère des Armées s’ajoutent de nombreux dons. « Nous fédérons une communauté attachée à l’idée d’inscrire la mémoire personnelle dans une pérennité. Malgré la valeur sentimentale, les dépôts sont nombreux. Les donateurs ont conscience de l’intérêt historique de ces images. Ils savent que nous les confier, c’est une façon de les rendre vivantes. » Lucie Moriceau-Chastagner précise encore que les expositions stimulent les dons, citant l’exemple de celle sur l’Algérie programmée en 2012. Si le musée poursuit ses acquisitions de pièces anciennes, l’originalité de sa collection tient aussi à sa capacité à garder une trace du présent avec des achats d’ensembles contemporains : certains ont été acquis auprès de photojournalistes comme Édouard Elias, qui a couvert les deux camps en Ukraine en 2014, ou Yan Morvan — ayant accompli un travail titanesque sur les champs de bataille de la Grande Guerre —, mais aussi de plasticiens tels Émeric Lhuisset, Lisa Sartorio ou Richard Mosse, dont les travaux entremêlent réel et fiction, livrant leurs propres interprétations. « Nous ne sommes pas des porte-parole du fait militaire mais nous en donnons des clés de lecture », explique la responsable de la collection. Le troisième mode d’enrichissement est la commande à des photographes. Initiée en 2009, cette démarche marque un tournant : certains d'entre eux se rendent sur des théâtres de guerre comme Éric Bouvet, parti un mois en Afghanistan en 2009, tandis que d’autres montrent les à-côtés des conflits. Philippe de Poulpiquet a ainsi effectué un travail de longue haleine sur l’hôtel national des Invalides — exposé en 2020 –, où sont abordées les dimensions médicale, sociale, humaine, historique et mémorielle. Édouard Elias, lui, réalise actuellement une série sur les forces spéciales françaises au Sahel.
Sur les réseaux sociaux
Autre preuve de la montée en puissance de la photographie au sein des collections du musée, la place qu’elle occupera dans le prochain parcours permanent – dont une première partie sera inaugurée en 2024. D’ici 2030, aux 15 000 mètres carrés actuels, s'ajouteront 3000 mètres carrés de surface visitable et 2750 dédiés aux réserves, ce qui permettra de prolonger le parcours de visite au-delà de 1945. Depuis 2020, ce dernier s’enrichit régulièrement de présentations ponctuelles, liées à l’actualité ou à des anniversaires, dans lesquelles la photographie tient une place de choix, comme « La tournée des popotes du général de Gaulle en Algérie » à voir cet automne, ou « Toute une histoire ! », à partir de mai, qui présentera cent ans d’acquisitions. Ce dynamisme et cette volonté de rendre le fonds plus accessible au public se retrouvent dans la diffusion numérique, via le portail des collections, et par une présence accrue sur les réseaux sociaux. Qu’on se le dise, le musée de l’Armée n’est pas une institution poussiéreuse, comme le prouve « Photographies en guerre ». Tel un étendard, l’exposition met en lumière une réflexion sur la représentation des conflits – du siège de Rome en 1849 à la Syrie au XXIe siècle – et explore l’histoire militaire en s’intéressant autant à ceux qui ont produit des images qu’à ceux qui les ont diffusées.