Avec une modestie qui touche au sublime, la cinéaste Kelly Reichardt décrit le quotidien banal d’une céramiste avant le vernissage de son exposition. reste un travail.
Selon Manny Farber, il y aurait les films «éléphant blanc» et les films «termite», une distinction que ce peintre et critique de cinéma applique à toute œuvre d’art en général. Les premiers sont démonstratifs, globalisants et psychologisants, tandis que les seconds développent leur propos depuis les marges et font de leur modestie une force. Showing Up appartient à la deuxième catégorie. Mais avant de parler du film, quelques mots sur sa réalisatrice. Kelly Reichardt est devenue une voix essentielle du cinéma américain en sept longs-métrages, unanimement salués par la critique. Qu’ils prennent la forme du road-movie (River of Grass, Old Joy), du western (La Dernière Piste, First Cow), du thriller écologique (Night Moves) ou du drame intimiste (Wendy et Lucy, Certaines femmes), ces films s’intéressent aux déclassés de l’Amérique du Nord. Les personnages se démènent pour trouver leur place au sein du paysage – naturel, économique ou social. La mise en scène joue sur l’économie de moyens, incitant le spectateur à prêter attention aux détails. Dans Showing Up, la cinéaste retrouve l’actrice Michelle Williams pour la quatrième fois et poursuit sa réflexion sur l’artiste au travail, débutée avec deux courts-métrages sur les sculptrices Michelle Segrey et Jessica Hutchins, tournés à l’initiative du Centre Pompidou.
Une figure de l’artiste déromantisée
Lizzie (Michelle Williams) est une sculptrice céramiste installée à Portland (Oregon). Son quotidien solitaire se partage entre l’atelier et l’école d’art, dirigée par sa mère, où elle effectue un job alimentaire. D’un caractère plutôt renfrogné, elle devient de plus en plus fébrile à l’approche du vernissage de son exposition. Les petites contrariétés journalières l’empêchent de terminer ses œuvres : l’eau chaude qui ne fonctionne pas dans son appartement, un frère névrosé dont elle doit s’occuper, la cuisson d’une sculpture qui rate, un père qui héberge des squatteurs… Comme si la vie n’était pas assez injuste, Lizzie a pour voisine et propriétaire Jo, une artiste insouciante, productive, qui enchaîne les expositions. Lorsque Jo lui confie la garde d’un pigeon blessé, Lizzie est sur le point d’exploser. Sera-t-elle prête à temps pour son vernissage ? Si Showing Up apparaît comme une césure dans la filmographie de Kelly Reichardt, marquée par les grands espaces et la problématique du mythe américain, une même question obsède toutefois la réalisatrice : comment habiter le monde ? Lizzie tente d’ordonner les imprévus. Son rapport à l’autre – famille, collègues, amis – pourrait relever d’une forme d’égoïsme s’il n’était pas un moyen de se ménager des temps de création : difficile de sculpter quand on ne dispose pas d’une reconnaissance internationale ou d’un mécène. À gérer des tracas qui n’en finissent jamais, Lizzie ne peut se permettre le luxe d’être exaltée, obsessionnelle ou consumée par le feu sacré. Michelle Williams rend son personnage, bien qu’austère, incroyablement attachant. Exit l’archétype du génie des pinceaux ou de la déesse de la glaise. Kelly Reichardt déromantise la figure de l’artiste, en captant son quotidien banal et bancal.
Un film délicat et coloré
En bon film «termite», Showing Up affiche une force tranquille. La monotonie des journées de Lizzie est doublée d’une mise en scène réduite à sa portion congrue. Un style dépouillé pour mieux saisir le jeu subtil des relations entre la sculptrice et son environnement. Kelly Reichardt désacralise l’acte de créer, mais loue l’artiste au travail : l’art est à la fois une joie et une corvée – un propos rarement abordé dans ce genre de biopic. Même si Lizzie ne l’est pas, Showing Up est un film drôle : la bohème artistique de Portland, que la cinéaste connaît bien pour la fréquenter, est décrite de façon humoristique sans tomber dans la caricature. On ne serait pas surpris que les cours de «respiration pour stimuler la créativité» à l’école d’art existent vraiment ! Le résultat est donc à l’image des œuvres de Lizzie, réalisées pour les besoins du film par l’artiste portlandaise Cynthia Lahti : un objet délicat, coloré et nécessitant de s’approcher au plus près pour en saisir les textures et les aspérités. Reparti bredouille de Cannes en 2022, où il était en compétition officielle, il mérite la Palme de la Gazette Drouot !