Vente le
02 juillet 2021 - 14:30 (CEST) -
Salle 6 - Hôtel Drouot - 75009
Quelques meubles seulement dans la collection de René Simeoni, mais d’un rare niveau et signés de trois des plus grands noms du mobilier français, André-Charles Boulle, Bernard II Van Riesenburgh et Pierre Roussel.
Commode en laque de Coromandel dans des encadrements de bois noirci, de forme mouvementée en façade et sur les côtés, ouvrant à deux tiroirs, à décor de scènes de palais et ustensiles en laque polychrome sur fond noir, le dessus de marbre brèche d’Alep, reposant sur des montants galbés terminés par des pieds cambrés, estampillée Pierre Roussel et JME, ébéniste reçu maître en 1745, époque Louis XV, vers 1750-1755, 86,5 x 145,5 x 66 cm. Estimation : 50 000/80 000 €, adujgé 410 800 €
Commode en laque de Coromandel dans des encadrements de bois noirci, de forme mouvementée en façade et sur les côtés, ouvrant à deux tiroirs, à décor de scènes de palais et ustensiles en laque polychrome sur fond noir, le dessus de marbre brèche d’Alep, reposant sur des montants galbés terminés par des pieds cambrés, estampillée Pierre Roussel et JME, ébéniste reçu maître en 1745, époque Louis XV, vers 1750-1755, 86,5 x 145,5 x 66 cm. Estimation : 50 000/80 000 €, adujgé 410 800 €
Les chemins des bâtiments et travaux publics peuvent mener au meilleur. Après avoir constitué une jolie fortune dans ce secteur, René Simeoni, un homme discret et cultivé, s’est fait plaisir en réunissant auprès des grands antiquaires parisiens du domaine une collection de meubles du XVIIIesiècle, soit quelque quatre-vingts pièces. Il conservait cet ensemble dans sa demeure des Yvelines, et c’est au cours d’un traditionnel inventaire de succession qu’Hugues Taquet, commissaire-priseur installé à Mantes-la-Jolie, l'a découvert. Celui-ci avoue qu’il ne le soupçonnait absolument pas, mais qu’il a d'emblée eu «la certitude d’être devant des pièces d’ébénisterie exceptionnelles». De fait, les signatures laissent songeur, alignant trois des noms les plus prestigieux de l’époque. Notamment celui de Bernard II Van Risen Burgh (av. 1705-1766) – le fameux BVRB –, auteur de deux tables à écrire en marqueterie de bois de rose et de violette, deux pièces élégantes, estimées chacune entre 30 000 et 50 000 € ; on les appelle «à la Pompadour», car l'une parfaitement identique est reproduite sur le célèbre tableau de la marquise par François Boucher (Alte Pinakothek, Munich). Mais de ce maître, on admirera surtout une armoire à folios – elle ornera la couverture de la prochaine Gazette; nantie d’un pedigree impeccable, classée monument historique, elle est annoncée à 200 000/300 000 €. Un meuble en tout point iconique et historique, ayant été réalisé pour la bibliothèque de l’hôtel particulier de Jean-Baptiste de Machault d’Arnouville (1701-1794), contrôleur général des Finances sous Louis XV. L’anecdote vaut d’être rappelée : c’est justement grâce à la protection de la royale favorite que le comte – connu pour être un grand amateur de marqueteries, bronzes et porcelaines montées – doit ce poste prestigieux…
Estimation : 100 000/150 000 € La naissance du grand mobilier français Presque un siècle plus tôt, l’on découvrait André-Charles Boulle. Le cabinet qui lui est ici attribué, en marqueterie de bois divers, acquis chez Jean Gismondi en 1991, donne à voir une facette moins connue de son talent. Si tout un chacun connaît ses marqueteries d’écaille et de laiton – auxquelles il a d’ailleurs laissé son nom –, on sait moins qu’«il a débuté sa carrière avec une production de bois de rapport», et surtout que «très peu de ses productions de cette époque charnière, soit autour de 1670, sont identifiables», insiste l’expert, Pierre François-Dayot. Lors de l’exposition du château de Versailles à l’hiver 2014-2015, «XVIIIe, aux sources du design, chefs-d’œuvre du mobilier 1650-1790» – un événement qui a marqué les esprits et nombre de spécialistes –, un meuble identique était présenté. L’historien Calin Demetrescu en avait rédigé la fiche : c’est à partir de cette étude que Pierre-François Dayot a fondé son attribution à Boulle pour cette pièce, «tout à fait jumelle du point de vue des caractéristiques iconographiques». Il cite notamment «le motif central du vase de fleurs sur un soubassement», car si ce type de décor se retrouve régulièrement, se distingue sur les deux cabinets «la présence de deux volutes et d’un oiseau ». Il reste encore beaucoup à découvrir sur cette époque féconde des arts décoratifs, sur ces ébénistes qui logeaient aux galeries du Louvre qu'étaient Boulle et Alexandre-Jean Oppenord, tout comme sur ceux du Garde-Meuble de la Couronne, Pierre Gole, César Campe ou les Gaudron. Un travail d’enquête passionnant, qui invite à remonter le temps et nous apprend, par exemple, que tous ces artisans de métier, français de naissance ou plus tard naturalisés, qu’ils soient catholiques ou protestants vivaient en bonne intelligence, ayant il est vrai la chance de jouir du statut privilégié d’officiers de la Maison du roi.
Une belle parisienne René Simeoni avait décidément su réunir des meubles de grande importance. En témoigne encore la commode en laque de Coromandel dans des encadrements de bois noirci, dûment estampillée Pierre Roussel (1723-1782), reçu maître en 1745 et membre de la célèbre dynastie d’ébénistes du XVIIIesiècle. Établi rue de Charenton, dans le faubourg Saint-Antoine, à l’enseigne «L’image de saint Pierre», il a bâti une carrière longue et exemplaire, travaillant pour le prince de Condé et fournissant du mobilier au palais Bourbon et au château de Chantilly. Sa commode, présentée entre 50 000 et 80 000 €, provient quant à elle de la collection de la comtesse Edmond de Fels (1865-1943) puis de sa fille Edmée, devenue par mariage duchesse de la Rochefoucauld (1895-1991) ; sa vente de succession s’est tenue à Paris, chez Me de Ricqlès, le 23 juin 1993. Le meuble passe ensuite dans la galerie de Maurice Segoura, où René Simeoni l’acquiert, car, explique l’expert, «il avait des liens très proches avec certains marchands et ne venant pas lui-même d’une famille de collectionneurs, il leur faisait confiance». Si les commodes laquées, de forme mouvementée, reposant sur des montants galbés et des pieds cambrés sont assez fréquentes, celle-ci est rare par ses panneaux en laque de Coromandel. Or, dans la hiérarchie des laques au XVIIIesiècle, ceux venant de Chine étaient les plus courants, ceux du Japon, précieux et chers car plus difficiles à trouver, et ceux dits « de Coromandel » très recherchés, parce qu’en couleurs et en relief… Lazare Duvaux (1703-1758) était l’un des marchands-merciers à en proposer à ses clients. On peut citer deux commodes de «cinq pieds» (162 cm) livrées au fermier général Laurent Grimod de La Reynière (1734-1793), l’une en 1748, la seconde en 1753. Son Livre-Journal, publié en 1873 par la Société des bibliophiles français, fournit un précieux témoignage sur le commerce parisien de la décennie 1748 à 1758, dont il livre tous les détails. On le sait, dès les années 1730, la mode des chinoiseries envahit la France et les panneaux issus de paravents et de coffres sont démontés pour être apposés sur des pièces de mobilier, donnant naissance à une nouvelle vogue. La laque de Coromandel – qui bien que chinoise tient son nom de la côte sud de la péninsule indienne, d’où elle était embarquée pour l’Europe sur les navires de la Compagnie des Indes – offre un décor creusé dans une matière épaisse composée de chaux, fait d’argile et de vernis, et surtout coloré de blanc, aubergine, turquoise, vert, rouge ou encore jaune éclatant… Son relief, cette multitude et la vivacité des couleurs étaient une véritable invitation à la décoration ; revers de cette médaille chatoyante, ils étaient très difficiles à travailler. Peu s’y sont donc essayés, dont BVRB bien sûr, mais aussi Pierre Roussel. La chose est avérée par son inventaire après décès, dressé le 12 mars 1783, mentionnant qu’«un bon nombre de meubles étaient en laque, certains en lac rouge, d’autres en faux lac ou en vernis moderne». Et de fait, conclut Pierre-Yves Dayot, cette commode possède «une forte présence»… et ne devrait pas laisser de marbre.
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