Gazette Drouot logo print

Artistes et visionnaires suédois à Bruxelles

Publié le , par Frank Claustrat

Le pragmatisme est-il la seule marque de fabrique de l’art suédois, comme on le pense habituellement ? En réunissant des artistes capables d’imaginer un monde libéré du matérialisme, une exposition à Bruxelles démontre le contraire.

Hilma af Klint (1862-1944), Tableau d’autel n° 1, Groupe X, 1915, huile et feuille... Artistes et visionnaires suédois à Bruxelles
Hilma af Klint (1862-1944), Tableau d’autel n° 1, Groupe X, 1915, huile et feuille de métal sur toile, 137,5 179,5 cm.
© By courtesy of the Hilma af Klint Foundation Photo : The Moderna Museet, Stockholm, Sweden

À l’occasion de la présidence de la Suède au Conseil de l’Union européenne, Daniel Birnbaum – ancien directeur du Moderna Museet à Stockholm – a réalisé une exposition captivante autour du spiritisme dans l’art du pays depuis le XVIIIe siècle. Peintures, dessins, sculptures, livres, photographies et même une installation sonore permettant d’écouter des enregistrements de «joik», ces chants et paroles rituels des Samis – peuple nomade de la Laponie –, ont été rassemblés au Palais des beaux-arts de Bruxelles (Bozar). À la marge des grands courants artistiques et mêlant figuration et abstraction, ces cent trente œuvres s’inscrivent dans la tradition du symbolisme. Emanuel Swedenborg en est le véritable fil rouge. Scientifique, théologien et philosophe anobli en 1719, c’est aussi un mystique féru d’ésotérisme, comme le rappellent des dessins schématiques dans lesquels il représente les mystères de l’univers. Selon ses propres dires, ceux-là étaient produits «à travers lui», ses mains étant guidées par des esprits.

Au 
siècle suivant, l’écrivain August Strindberg connaît lui aussi l’extase, mais par périodes, quand il s’adonne à la peinture. Ces expérimentations le plongent alors dans un état second, transporté hors de lui-même et du temps. Ses marines tourmentées des années 1890 devancent ainsi de plusieurs décennies l’expressionnisme abstrait de l’école de New York, par leur technique fébrile et leur vision libératrice. Tout aussi fascinants sont les dessins tardifs – aux contours enfantins ou tortueux – de Carl Fredrik Hill et d’Ernst Josephson, deux artistes médiumniques traversant des états de conscience altérée. Leurs psychoses, consécutives à une schizophrénie paranoïde, les situent comme des pionniers d’une expression singulière proche de l’art brut. Dès les années 1920, par l’intermédiaire du collectionneur Rolf de Maré, Matisse, Picasso et Cocteau connurent vraisemblablement les œuvres de Josephson et s’en inspirèrent, mais sans jamais l’avouer.

Le point fort de l’accrochage reste le travail métaphysique d’Hilma af 
Klint, l’une des pionnières du non-figuratif avant même Kandinsky, ce qu’a rappelé en 2021 une magistrale exposition du Centre Pompidou («Elles font l’abstraction»). «J’étais l’instrument de l’extase», écrit Klint en 1906, fervente pacifiste en quête d’une religion universelle. Elle aussi peint sous la dictée des esprits, seule ou avec un groupe d’amies dont Anna Cassel, représentée ici par une série inédite de toiles, datées de 1913 et flirtant avec l’art naïf. Les «Peintures pour le Temple», leur œuvre commune, se composent de près de deux cents éléments, regroupés en sous-séries nourries aussi de théosophie et d’anthroposophie. Dans l’exposition, elles sont évoquées par un seul tableau, mais sont accessibles dans leur globalité grâce à un casque de réalité virtuelle. Cette expérience immersive dans le «temple-musée» conçu par Klint et ses camarades dure douze minutes : hypnotiques, les images colorées en mouvement nous projettent dans un monde psychédélique, quarante ans avant le pop art. L’exposition se clôt sur les signatures contemporaines les plus connues de Suède, revisitant avec plus ou moins d’optimisme les thèmes de Swedenborg et de ses successeurs : l’alchimie (Lars Olof Loeld), la biologie spéculative (Christine Ödlund), l’au-delà (Cecilia Edefalk) et les neurosciences (Carsten Höller et Daniel Youssef). D’autres images pour le futur ?

«Swedish Ecstasy. Hilma af Klint, August Strindberg et autres visionnaires», Bozar - Palais des beaux-arts,
23, rue Ravenstein, Bruxelles, tél. : +32 2 507 82 00.
Jusqu’au 21 mai 2023.
www.bozar.b
Gazette Drouot
Bienvenue, La Gazette Drouot vous offre 2 articles.
Il vous reste 1 article(s) à lire.
Je m'abonne