Sculptures en ivoire de mammouth, peintures pariétales… Le musée de l’Homme à Paris explore les arts préhistoriques. Et montre que ces lointaines créations sont aussi sources d’inspiration pour les artistes modernes et contemporains.
Bâtir des expositions sur une telle thématique relève du défi. Non par manque de témoignages, les fouilles menées depuis le XIXe siècle ayant exhumé de très nombreux vestiges et bousculé l’image de l’homme préhistorique, passé de fruste chasseur-cueilleur au rang d’artiste. Le défi tient plutôt à la difficulté de mettre en valeur des objets de petites dimensions – sculptures, outils ou armes de chasse – qui accompagnaient le quotidien de nos ancêtres nomades. En effet, au premier abord, cet art dit «mobilier», que l’on peut transporter, n’offre rien de vraiment séduisant, contrairement aux spectaculaires mais inamovibles peintures et gravures sur les parois et rochers. Les commissaires ont su contourner les obstacles et concevoir un parcours didactique et passionnant à la fois, pour qui sait prendre le temps de le découvrir. Déroulé en quatre sections, il remonte jusqu’à 40 000 ans avant notre ère, époque à laquelle sont apparues les grottes ornées. Dans une première partie sont présentés une centaine d’objets – lissoirs, propulseurs et autres statuettes – gravés, peints ou sculptés, façonnés dans la pierre ou l’os, le bois de renne ou l’ivoire de mammouth. S’y déploie le traditionnel répertoire iconographique du Paléolithique, dans lequel le bestiaire occupe une place prédominante. Les relevés graphiques de saynètes, sans cela souvent difficiles à lire, permettent d’en décrypter en grand format les motifs et d’en apprécier la finesse d’exécution. Sont ensuite regroupées une dizaine de statuettes féminines : connues sous le nom de «Vénus», elles relèvent toutefois d’une esthétique bien éloignée des canons de beauté antiques. Parmi elles se trouve celle fameuse de Lespugue, en Haute-Garonne, reconnaissable à ses formes rebondies et dont on célèbre le 100e anniversaire de la découverte.
Une dimension universelle
Dans la section suivante, ces face-à-face intimistes se transforment en expérience sensorielle. Ici, on est immergé dans les sites d’art pariétal et rupestre, grâce à un ingénieux dispositif d’écrans sur lesquels sont projetés films et photos. Des falaises chinoises de Huashan aux abris australiens de la terre d’Arnhem, en passant par les grottes de Dordogne, nous voilà embarqués dans un éblouissant tour du monde, qui nous fait prendre conscience de la dimension étonnamment universelle de cet art. La section finale aborde l’époque moderne et contemporaine, avec pour objectif de montrer que ces œuvres plurimillénaires, à commencer par la Vénus de Lespugue, ont inspiré et continuent d’inspirer des artistes, surtout des femmes, qui s’emparent de cette icône pour interroger leur condition. Mais comment savoir si les déesses archaïsantes de Niki de Saint Phalle ou de Louise Bourgeois ont réellement puisé à cette source ? Au travers d’une quarantaine d’œuvres, l’exposition qui suit explore de la même manière la relation de Pablo Picasso à l’art préhistorique. On sait qu’il l’avait découvert dans des revues d’avant-garde et qu’il conservait dans son atelier parisien deux moulages de la célèbre Vénus. Certains de ses dessins, sculptures ou céramiques semblent effectivement faire écho à l’âge de pierre, par leur forme ou leur esprit, tout en illustrant plus globalement les liens que l’artiste espagnol entretenait avec les cultures dites primitives. «Il n’y a pas de passé ni d’avenir en art», affirmait-il. Nos lointains ancêtres auraient sans doute apprécié la formule.