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Aristophil : le bras de fer des archives publiques

Publié le , par Vincent Noce

Alors que les ventes des collections de la compagnie de Gérard Lhéritier reprennent à Drouot, les associations protestent contre l’inflation de lots que l’État revendique comme archives publiques. Une double peine pour les épargnants.

Louis xiii (1601-1643), roi de France. L.A.S. «Louis», Laleu 7 octobre 1628, à MARIE... Aristophil : le bras de fer des archives publiques
Louis xiii (1601-1643), roi de France. L.A.S. «Louis», Laleu 7 octobre 1628, à MARIE DE MEDICIS, «A la Reyne madame ma mere» ; 1 page in-4°, adresse, cachets de cire rouge aux armes sur soies bleues. Revendiqué comme archives publique.


C’est un nouvel épisode dans le feuilleton du scandale Aristophil. À mesure que les ventes de collections sont engagées à Drouot, les archives de France revendiquent par centaines des lots qui relèvent de la domanialité publique. Les concernés peuvent alors perdre la totalité de leurs économies, dans la mesure où la loi autorise l’État à récupérer ces biens sans remboursement.
Un litige ancien
Aristophil et son fondateur, Gérard Lhéritier, devenus les plus gros acheteurs du marché des autographes, ne pouvaient ignorer le sujet. Du temps où ils amassaient des collections qu’ils revendaient pour plusieurs centaines de millions d’euros, ils furent confrontés à des alertes. La plus retentissante fut la revendication, lancée en novembre 2011, de 313 papiers du général de Gaulle dans ses premières années à Londres, au moment même où ils faisaient l’objet d’une exposition de prestige. Ces notes et brouillons avaient été conservés par une secrétaire, alors même que le chef de la France libre avait fait don de la totalité de ses archives à l’État. IIs ont été placés sous séquestre, les décisions judiciaires donnant pour le moment raison au gouvernement. La réclamation d’un autre fleuron était également prévisible : celle du dit «testament politique» de Louis XVI, sa lettre adressée aux Français le 20 juin 1791, juste avant la fuite interrompue à Varenne. S’il existe plusieurs exemplaires de cette ultime déclaration du souverain, celle-ci, raturée et corrigée, comptant seize pages, présente la particularité d’être contresignée par le président de la Convention, ce qui suffit s’il en était besoin à établir son caractère de document public. Mais l’État a la main beaucoup plus lourde, et ne se contente pas, manifestement, des pièces les plus importantes, suscitant les protestations des associations de victimes qui s’estiment doublement lésées. Dès la mise en liqui-dation d’Aristophil, en 2015, l’État avait fait savoir qu’il entendait surveiller le dépouillement d’un stock considérable, comptant 135 000 documents et objets annexes. Le commissaire-priseur Claude Aguttes, auquel a été confié cet inventaire, est aujourd’hui tenu de renseigner les services d’archives tout au long de la procédure. «On a dit que l’État faisait son marché, c’est très exagéré, fait-il observer. Il joue son rôle de surveillance, il regarde à l’avance les listes destinées aux catalogues et cela se passe fort bien. Ensuite, ma position sur le fond reste neutre. Mais j’ai accepté de prendre en charge les ventes et je me dois d’en assurer la légalité et la transparence.» Il a expliqué cette position lors d’une rencontre avec les représentants des associations à Paris, jeudi 28 mars. À ce jour, sur vingt et un catalogues, en incluant les ventes annoncées en avril, comptant en tout 3 600 lots dûment contrôlés, un seul incident mineur a concerné deux retraits dans la première vente, confiée à Artcurial, autour des sciences.
Inflation
Dès le printemps 2015, l’État avait affirmé au liquidateur sa position sur les archives de Gaulle ou la lettre du roi. Dans trois courriers, sur la base d’un relevé partiel et préliminaire effectué au Garde-Meuble, il engageait déjà une revendication beaucoup plus large. Si certains documents étaient précisément décrits, d’autres réclamations revêtaient un caractère plus général, d’autant que les fiches de la société n’étaient pas toujours d’une grande exactitude. Une ordonnance ayant donné aux services d’archives l’accès à la base de données et aux documents eux-mêmes, les réclamations ont gagné en précision. Et en nombre. Le 8 décembre 2017, le ministère des Affaires étrangères a réclamé quarante-cinq papiers, dont une quinzaine d’envois des années 1800 au ministre plénipotentiaire à Londres, Louis-Guillaume Otto de Mosloy, qui a notamment négocié les conditions de la paix d’Amiens. Mais on y trouvait aussi des feuilles de Richelieu, Talleyrand, Chateaubriand et même Stendhal, lors de leur passage au service de l’État. Au début de l’été dernier, les administrations concernées (Défense surtout, Culture, Affaires étrangères marginalement) ont notifié par trois fois de nouvelles revendications. Dans un courrier récapitulatif, le 11 juillet 2018, la mission interministérielle a ainsi revendiqué en leur nom deux cent dix-neuf références présentant un «intérêt historique et pour la recherche». S’y trouvent des pièces anciennes comme une lettre de Louis XIII à sa mère ou un mémoire, annoté de sa main, sur les conditions posées par son frère Gaston d’Orléans à leur réconciliation. À la mi-février dernier, deux autres courriers ont suivi, si bien qu’on est parvenu désormais à environ neuf cents numéros, sans compter des centaines d’autres sur lesquels l’État a aussi commencé à signifier ses intentions. Certains de ces lots peuvent contenir plusieurs dizaines, voire centaines, de feuilles éparpillées parmi les biens et «collections» vendus par Aristophil. Répondent à ce registre un ensemble de papiers procéduraux de la Connétablie et Maréchaussée de France, de 1726 à 1788, décrits comme ayant été «soustraits à la Révolution», ou encore des archives de la sous-intendance des ponts et chaussées du Dauphiné au XVIIIe siècle. Il en est de même du fonds du marquis d’Andelarre, datant des années 1816 à 1818, quand il servait comme inspecteur général de la Garde nationale en Côte-d’Or, ou de celui du commissariat général de police des départements de la Manche et du Pas-de-Calais. Dans cet inventaire à la Prévert figurent aussi des pièces du procès Landru. L’administration précise bien que ces décomptes ne cessent d’évoluer au fur et à mesure des ventes et d’un dépouillement appelé à se poursuivre sur des années.
Engouement napoléonien
Comme on pouvait s’y attendre, la plupart des réclamations portent sur des documents relatifs à l’Histoire de France, dont beaucoup de la période napoléonienne, particulièrement prisée des amateurs. Dans la préparation d’une seule vacation de la catégorie «Histoire», orchestrée par Claude Aguttes, pas moins de trois cent lots ont dû être mis à l’écart avant rédaction du catalogue. Emportée dans son élan, l’administration semble avoir choisi d’oublier ses propres bonnes résolutions. Les archives de France avaient en effet publié en 2016 un code de bonne conduite, stipulant que «l’État s’abstient d’exercer le droit de revendication relativement à des documents déjà passés en vente publique». Or, ce serait le cas de 60 % des lots aujourd’hui réclamés, qu’Aristophil ou Gérard Lhéritier ont achetés en salles de ventes avant de les revendre avec des bénéfices variables. On pourrait citer un extrait des minutes de la secrétairie d’État signé par Napoléon, contresigné par Bassano, son ministre des Relations extérieures, datant du 16 décembre 1809  jour du divorce , remettant le palais de l’Élysée à la disposition de Joséphine, passé chez Osenat à Fontainebleau, en 2007. Une lettre autographe de Catherine de Médicis non seulement a été vendue par Christie’s, mais avait obtenu son certificat d’exportation sans que l’administration n’y trouve alors à redire. Une missive du duc de Feltre, ministre de la Guerre de Napoléon, à Cambacérès, avait été achetée chez Piasa, toujours en 2007, la même année qu’un courrier de Napoléon au maréchal Lannes, adjugé pour 2 500 € chez Christie’s. Une instruction stoïque de Napoléon à son premier chambellan sur les préparatifs du sacre, l’intimant de se passer de «diamans» pour les parures destinées au couple, a été adjugée le 17 novembre 2013 par Osenat pour 20 000 €, avant d’être revendue par Aristophil à un particulier, sous un contrat de prestige baptisé «collector». Le service des archives précise qu’il avait déjà, à cette époque, notifié la revendication au commissaire-priseur.

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