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Aristophil : en immersion dans la vie créative des auteurs et des artistes

Publié le , par Christophe Dorny
Vente le 05 avril 2022 - 14:00 (CEST) - 164 bis, avenue Charles-de-Gaulle - 92200 Neuilly-sur-Seine

Au menu de ces deux nouvelles ventes d’autographes du fonds Aristophil, peu d’inédits, mais des ensembles patrimoniaux et quelques perles à dénicher, sans oublier des tableaux et dessins.

Théodore Géricault (1791-1824), L’artiste par lui-même, dit aussi «Autoportrait de... Aristophil : en immersion dans la vie créative des auteurs et des artistes
Théodore Géricault (1791-1824), L’artiste par lui-même, dit aussi «Autoportrait de Géricault», huile sur toile, vers 1812, 27 x 22 cm.
Estimation : 30 000/40 000 €

Les beaux-arts et la littérature sont les sujets des 47e et 48e ventes Aristophil, la société française d’investissement mise en liquidation en 2015. La vacation du 5 avril, consacrée à la première spécialité, est aussi la dernière sur ce thème, explique Sophie Perrine, commissaire-priseur chez Aguttes OVV, cinq autres ventes restant par ailleurs à organiser avant de clore l’aventure. Elle débute par un ensemble éclectique de peintures, dessins, photographies et estampes. Retenons des trois lots consacrés à Géricault, son magnifique et séduisant autoportrait (30 000/40 000 €). Cette image de jeune homme exécutée vers 1812 tout en clair-obscur et empâtement brise le mythe de l’artiste romantique maladif, mort à 32 ans. Mais surtout, il contredit l’idée ancienne d’un Géricault médiocre portraitiste. L’œuvre aurait appartenu à la collection du romancier Alexandre Dumas fils, certainement à celle du peintre Pierre Dubaut. L’autoportrait sera inclus dans le Catalogue raisonné des tableaux de Théodore Géricault, actuellement en préparation par Bruno Chenique.
 

Paul Gauguin (1848-1903), lettre autographe signée avec dessin à l’encre «à l’amateur inconnu de mes œuvres» [au docteur Nolet de Nantes ?
Paul Gauguin (1848-1903), lettre autographe signée avec dessin à l’encre «à l’amateur inconnu de mes œuvres» [au docteur Nolet de Nantes ?], [Tahiti vers 1896], 1 page in-4° (20,6 17 cm).
Estimation : 100 000/120 000 
Adjugé : 111 800 €

Lettres de peintres
Les 106  lettres de Francis Picabia adressées à sa compagne, Germaine Everling, auxquelles s’ajoutent 26 manuscrits, quelques dessins et photos (30 000/40 000 €), font partie des 34 correspondances d’artistes à saisir, souvent des mines d’informations sur leur vie privée et leur création. La poétesse Germaine Everling, inspiratrice du mouvement Dada, et Picabia vécurent une relation fusionnelle de 1918 à 1932, autant d’années fécondes. Les lettres, à l’exception d’une, couvrent les années 1918 et 1919, documentant l’engagement dadaïste du second, sa relation avec Duchamp et le conflit entre «l’ancien et le nouveau Picabia». D’une rare intensité, l’artiste polémiste et iconoclaste se dévoile sans filtre : «L’art suivra son évolution malgré les imbéciles et les cons», écrit-il, tandis qu’il voit son livre Râteliers platoniques «comme une épée [qu’il] passe au milieu du corps de bien des gens». Les échanges épistolaires entre artistes étaient particulièrement prisés de la société Aristophil. Parmi la dizaine de lots dans ce domaine présentés, le rare ensemble de 27 lettres d’Henri Matisse (1869-1954) au peintre Jean Puy (1876-1960) devrait susciter l’intérêt (15 000/20 000 €). Les deux hommes se sont connus dans leur jeunesse. Cette correspondance tardive entre 1941 et 1950 campe un Matisse toujours batailleur et créatif face à un Jean Puy plus laborieux, voire désabusé, qui n’est plus au firmament de sa célébrité : «Vous vous rabougrissez avec les difficultés de la peinture. Ne croyez-vous pas que vous exagérez ?» Ailleurs, Matisse évoque l’habileté de Picasso : «Mais quand il travaille c’est pour dire quelque chose qu’il croit neuf parce qu’il ne l’a jamais dit de cette façon-là.» Ces lettres nous emmènent au plus près de sa manière de penser son travail et de l’exprimer :  «Je me demande souvent : Pourquoi me suis-je dirigé par ici – et non par là ! […] Au fond par instinct sans trop savoir pourquoi […] J’avais été dans deux toiles à l’extrême limite de mes possibilités et dans deux toiles suivantes j’étais revenu à plus d’intimité.»

 

Paul Cézanne (1839-1906), lettre autographe signée à Camille Pissarro, L’Estaque,2 juillet 1876, cinq pages et demie in-8°. Estimation : 1
Paul Cézanne (1839-1906), lettre autographe signée à Camille Pissarro, L’Estaque, 2 juillet 1876, cinq pages et demie in-8°.
Estimation : 12 000/15 000 

Dans l’intimité des écrivains
Le chapitre littéraire est orchestré par Drouot Estimations le 8 avril, à l’Hôtel Drouot. Outre l'impressionnant corpus Flaubert, Victor Hugo est largement représenté avec 40 lots. Pas moins d’une quinzaine de romans manuscrits complets ainsi que de nombreux manuscrits littéraires, d’un à plusieurs feuillets, sont catalogués. La relation entre Louis-Ferdinand Céline et Roger Nimier, qui devient son éditeur après-guerre, est exceptionnelle du point de vue de l’histoire littéraire. Elle est retracée par 228 lettres (150 000/200 000 €), soit 350 pages rédigées entre 1949 et 1961 et adressées au jeune écrivain, admirateur de l’auteur du Voyage au bout de la nuit, dont il a fait la connaissance par l’intermédiaire de Marcel Aymé. En 1949, en exil au Danemark, Céline, qui revendique son rôle de «bouc qui pue», accepte l’aide du jeune hussard (comme en témoigne une lettre inédite). Nimier devient quelques années plus tard conseiller littéraire chez Gallimard, pour le roman D’un château l’autre, qui aura un certain succès. Cette correspondance, outre sa qualité littéraire est un témoignage concret et factuel sur la personnalité extravagante gouailleuse et égocentrique, à la victimisation exacerbée, de Céline. Jusqu’à la dernière missive datée du 7 juin 1961 (il décède le 1er juillet), dans laquelle il écrit à celui qui est devenu son ami : «Je suis trop beau, trop jeune ! Irrésistible ! Grâce à vous ! Je me prends à m’aimer 

 

Émile Zola (1840-1902), 312 lettres autographes signées à sa femme Alexandrine, 1876-1901, environ 110 pages in-8°, plus quatre cartes et
Émile Zola (1840-1902), 312 lettres autographes signées à sa femme Alexandrine, 1876-1901, environ 110 pages in-8°, plus quatre cartes et 34 télégrammes, le tout monté sur onglets en six volumes in-8° reliés demi-veau bleu nuit, dos à nerfs, titre doré.
Estimation : 300 000/400 000 

Triangle amoureux chez les Zola
Deux autres correspondances «éromanesques», miraculeusement conservées, nous plongent dans l’intimité des Zola avec les 312 lettres de l’écrivain à sa femme Alexandrine (300 000/400 000 €) et, du même, les 200 lettres adressées à son amante Jeanne Rozerot (150 000/200 000 €). La première débute en 1876, douze ans après la rencontre entre Zola et Alexandrine et six ans après son mariage. Elle court jusqu’en 1901. L’écrivain envoie parfois jusqu’à deux lettres par jour à sa femme lorsqu’ils sont séparés par des voyages ou quand il s’exile en Angleterre. L’expert Thierry Bodin explique qu’il rapporte «des détails les plus anodins, de ses activités quotidiennes [aussi bien que] ses accès de désespoir les plus profonds. […] Cette correspondance est donc à la fois intime et littéraire, pleine d’anecdotes et de confessions». Chaque lettre contient au moins trois pages de lignes bien serrées. Le second ensemble de missives s’étend de 1892 à 1902. En 1888, Zola fait la connaissance de Jeanne Rozerot, âgée de 21 ans, qui vient d’être engagée comme femme de chambre et lingère dans la maison des Zola à Médan. Elle devient son amante puis bientôt la mère d’une fille et d’un garçon. Son épouse Alexandrine, dans un accès de colère lorsqu’elle apprend leur liaison en 1891, détruit leurs lettres. À partir de juillet 1892 (la première lettre du lot), les amants, continuant de s’écrire, se nomment parfois de manière codée : «Madame E. J. 70», poste restante, et «Monsieur Z. R. 70». Le Zola que l’on découvre plein de tendresse pour sa «chère femme» et ses «chers petits mignons» donne aussi de nombreuses nouvelles sur l’évolution de son travail et évoque l’affaire Dreyfus. Parmi les lettres étonnantes, on relèvera la candidature de Charles Baudelaire à l’Académie française adressée à Abel-François Villemain, secrétaire perpétuel (11 décembre 1861). Conscient de sa réputation sulfureuse, il cite humblement ses œuvres, notamment «un livre de poësie qui a fait plus de bruit qu’il ne voulait» (Les Fleurs du Mal ndlr), et ajoute : «Mais à mes propres yeux, Monsieur, c’est là un compte de titres bien insuffisant, surtout si je les compare à tous ceux, plus nombreux et plus singuliers, que j’avais rêvés.» Devant les obstacles et les attaques qui s’abattent sur lui, Baudelaire finit par renoncer (4 000/5 000 €).

 

Van Gogh, Gauguin et Flaubert en toutes lettres
 
Gustave Flaubert (1821-1880), lettre autographe signée à Louise Colet, nuit de samedi [3 juillet 1852], cinq pages in-4°, enveloppe avec c
Gustave Flaubert (1821-1880), lettre autographe signée à Louise Colet, nuit de samedi [3 juillet 1852], cinq pages in-4°, enveloppe avec cachet de cire rouge à son chiffre.
Estimation : 8 000/10 000 

Un manuscrit et deux lettres autographes signées Van Gogh soulignent la personnalité complexe et attachante du peintre, qu’il recopie des quatrains du poète américain Longfellow et un passage de la Bible, qu’il évoque sa passion pour la lecture à son ami Borchers (50 000/60 000 €) ou qu’il mentionne son douloureux rapport à la maladie et à la souffrance au couple d’Arlésiens Ginoux (200 000/250 000 €). Ce même Van Gogh est cité dans trois lettres de Paul Gauguin, présent dans la vente avec 17 lots. Quinze lettres, auxquelles s’ajoutent un lot de cinq (1891-1893) envoyées à son épouse Mette, avant et après son séjour en Polynésie, et une suite de 21 feuillets de textes et dessins. Deux lettres sont illustrées d’un dessin, une autre est ornée d’un en-tête xylographié à ses initiales. À travers cette correspondance à ses amis peintres – Camille Pissarro, son ami «Schuff» (Émile Schuffenecker), Daniel de Monfreid –, on accompagne Gauguin à Tahiti dans son travail parfois éprouvant, à l’écoute de ses réflexions politiques et artistiques : «Quels sont ceux qui se pavanent autour du lutteur Manet ? Les Gervex les Goeneuthe Raffaeli (probablement)» (lettre à Camille Pissarro, 10 000/12 000 €). Le «chapitre Flaubert» est, lui aussi, exceptionnel. Quarante-cinq numéros minutieusement décrits par Thierry Bodin, expert des deux ventes. Des pièces proposées de 1 000/1 500 €, pour le manuscrit autographe de quatre pages de Voltaire, à 400 000/500 000 € pour Novembre, un manuscrit de jeunesse. Et de nombreuses lettres à la poétesse Louise Colet notamment – dans lesquelles tous les chefs-d’œuvre de l’écrivain sont évoqués —, comprenant une belle missive amoureuse (8 000/10 000 €), sans oublier cette passionnante correspondance de 32 lettres à son «bon» Émile Zola, dont il admire les livres (30 000/35 000 €) .

à savoir

Les collections Aristophil n° 47.
Œuvres graphiques & autographes
Mardi 5 avril - 14 h, Neuilly-sur-Seine.
OVA Aguttes. M. Bodin.

Les collections Aristophil n° 48. Littérature.
Vendredi 8 avril - 14 h, Hôtel Drouot, salle 3.
OVA Drouot Estimations. M. Bodin.
mardi 05 avril 2022 - 14:00 (CEST) - Live
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Aguttes , Les Collections Aristophil
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