Au menu de ces deux nouvelles ventes d’autographes du fonds Aristophil, peu d’inédits, mais des ensembles patrimoniaux et quelques perles à dénicher, sans oublier des tableaux et dessins.
Les beaux-arts et la littérature sont les sujets des 47e et 48e ventes Aristophil, la société française d’investissement mise en liquidation en 2015. La vacation du 5 avril, consacrée à la première spécialité, est aussi la dernière sur ce thème, explique Sophie Perrine, commissaire-priseur chez Aguttes OVV, cinq autres ventes restant par ailleurs à organiser avant de clore l’aventure. Elle débute par un ensemble éclectique de peintures, dessins, photographies et estampes. Retenons des trois lots consacrés à Géricault, son magnifique et séduisant autoportrait (30 000/40 000 €). Cette image de jeune homme exécutée vers 1812 tout en clair-obscur et empâtement brise le mythe de l’artiste romantique maladif, mort à 32 ans. Mais surtout, il contredit l’idée ancienne d’un Géricault médiocre portraitiste. L’œuvre aurait appartenu à la collection du romancier Alexandre Dumas fils, certainement à celle du peintre Pierre Dubaut. L’autoportrait sera inclus dans le Catalogue raisonné des tableaux de Théodore Géricault, actuellement en préparation par Bruno Chenique.
Lettres de peintres
Les 106 lettres de Francis Picabia adressées à sa compagne, Germaine Everling, auxquelles s’ajoutent 26 manuscrits, quelques dessins et photos (30 000/40 000 €), font partie des 34 correspondances d’artistes à saisir, souvent des mines d’informations sur leur vie privée et leur création. La poétesse Germaine Everling, inspiratrice du mouvement Dada, et Picabia vécurent une relation fusionnelle de 1918 à 1932, autant d’années fécondes. Les lettres, à l’exception d’une, couvrent les années 1918 et 1919, documentant l’engagement dadaïste du second, sa relation avec Duchamp et le conflit entre «l’ancien et le nouveau Picabia». D’une rare intensité, l’artiste polémiste et iconoclaste se dévoile sans filtre : «L’art suivra son évolution malgré les imbéciles et les cons», écrit-il, tandis qu’il voit son livre Râteliers platoniques «comme une épée [qu’il] passe au milieu du corps de bien des gens». Les échanges épistolaires entre artistes étaient particulièrement prisés de la société Aristophil. Parmi la dizaine de lots dans ce domaine présentés, le rare ensemble de 27 lettres d’Henri Matisse (1869-1954) au peintre Jean Puy (1876-1960) devrait susciter l’intérêt (15 000/20 000 €). Les deux hommes se sont connus dans leur jeunesse. Cette correspondance tardive entre 1941 et 1950 campe un Matisse toujours batailleur et créatif face à un Jean Puy plus laborieux, voire désabusé, qui n’est plus au firmament de sa célébrité : «Vous vous rabougrissez avec les difficultés de la peinture. Ne croyez-vous pas que vous exagérez ?» Ailleurs, Matisse évoque l’habileté de Picasso : «Mais quand il travaille c’est pour dire quelque chose qu’il croit neuf parce qu’il ne l’a jamais dit de cette façon-là.» Ces lettres nous emmènent au plus près de sa manière de penser son travail et de l’exprimer : «Je me demande souvent : Pourquoi me suis-je dirigé par ici – et non par là ! […] Au fond par instinct sans trop savoir pourquoi […] J’avais été dans deux toiles à l’extrême limite de mes possibilités et dans deux toiles suivantes j’étais revenu à plus d’intimité.»
Dans l’intimité des écrivains
Le chapitre littéraire est orchestré par Drouot Estimations le 8 avril, à l’Hôtel Drouot. Outre l'impressionnant corpus Flaubert, Victor Hugo est largement représenté avec 40 lots. Pas moins d’une quinzaine de romans manuscrits complets ainsi que de nombreux manuscrits littéraires, d’un à plusieurs feuillets, sont catalogués. La relation entre Louis-Ferdinand Céline et Roger Nimier, qui devient son éditeur après-guerre, est exceptionnelle du point de vue de l’histoire littéraire. Elle est retracée par 228 lettres (150 000/200 000 €), soit 350 pages rédigées entre 1949 et 1961 et adressées au jeune écrivain, admirateur de l’auteur du Voyage au bout de la nuit, dont il a fait la connaissance par l’intermédiaire de Marcel Aymé. En 1949, en exil au Danemark, Céline, qui revendique son rôle de «bouc qui pue», accepte l’aide du jeune hussard (comme en témoigne une lettre inédite). Nimier devient quelques années plus tard conseiller littéraire chez Gallimard, pour le roman D’un château l’autre, qui aura un certain succès. Cette correspondance, outre sa qualité littéraire est un témoignage concret et factuel sur la personnalité extravagante gouailleuse et égocentrique, à la victimisation exacerbée, de Céline. Jusqu’à la dernière missive datée du 7 juin 1961 (il décède le 1er juillet), dans laquelle il écrit à celui qui est devenu son ami : «Je suis trop beau, trop jeune ! Irrésistible ! Grâce à vous ! Je me prends à m’aimer !»
Triangle amoureux chez les Zola
Deux autres correspondances «éromanesques», miraculeusement conservées, nous plongent dans l’intimité des Zola avec les 312 lettres de l’écrivain à sa femme Alexandrine (300 000/400 000 €) et, du même, les 200 lettres adressées à son amante Jeanne Rozerot (150 000/200 000 €). La première débute en 1876, douze ans après la rencontre entre Zola et Alexandrine et six ans après son mariage. Elle court jusqu’en 1901. L’écrivain envoie parfois jusqu’à deux lettres par jour à sa femme lorsqu’ils sont séparés par des voyages ou quand il s’exile en Angleterre. L’expert Thierry Bodin explique qu’il rapporte «des détails les plus anodins, de ses activités quotidiennes [aussi bien que] ses accès de désespoir les plus profonds. […] Cette correspondance est donc à la fois intime et littéraire, pleine d’anecdotes et de confessions». Chaque lettre contient au moins trois pages de lignes bien serrées. Le second ensemble de missives s’étend de 1892 à 1902. En 1888, Zola fait la connaissance de Jeanne Rozerot, âgée de 21 ans, qui vient d’être engagée comme femme de chambre et lingère dans la maison des Zola à Médan. Elle devient son amante puis bientôt la mère d’une fille et d’un garçon. Son épouse Alexandrine, dans un accès de colère lorsqu’elle apprend leur liaison en 1891, détruit leurs lettres. À partir de juillet 1892 (la première lettre du lot), les amants, continuant de s’écrire, se nomment parfois de manière codée : «Madame E. J. 70», poste restante, et «Monsieur Z. R. 70». Le Zola que l’on découvre plein de tendresse pour sa «chère femme» et ses «chers petits mignons» donne aussi de nombreuses nouvelles sur l’évolution de son travail et évoque l’affaire Dreyfus. Parmi les lettres étonnantes, on relèvera la candidature de Charles Baudelaire à l’Académie française adressée à Abel-François Villemain, secrétaire perpétuel (11 décembre 1861). Conscient de sa réputation sulfureuse, il cite humblement ses œuvres, notamment «un livre de poësie qui a fait plus de bruit qu’il ne voulait» (Les Fleurs du Mal ndlr), et ajoute : «Mais à mes propres yeux, Monsieur, c’est là un compte de titres bien insuffisant, surtout si je les compare à tous ceux, plus nombreux et plus singuliers, que j’avais rêvés.» Devant les obstacles et les attaques qui s’abattent sur lui, Baudelaire finit par renoncer (4 000/5 000 €).