Pierre Louÿs aimait les mœurs antiques. Son Aphrodite a séduit bon nombre d’illustrateurs et parmi eux André-E. Marty qui lui donna une silhouette gracile et élégante qui se reconnaît entre toutes.
Aphrodite vient de loin. Déjà, les Babyloniens et les Phéniciens, avant qu’elle ne parvienne en Grèce, la célébraient comme une déesse de la fécondité et de l’amour. Là, au large de Cythère, sortant de l’écume de mer, elle entra dans le cercle des divinités olympiennes, et ajouta la beauté à ses atouts. Ses pouvoirs étaient si grands qu’elle incitait les mortels à s’adonner à toutes les voluptés et à tous les vices. Nul doute que Pierre Louÿs, qui regrettait les jours d’Éphèse et de Cyrène, trouva, en côtoyant une Aphrodite née des flots de sa plume, le moyen de «revivre par une illusion féconde, au temps où la nudité humaine, la forme la plus parfaite que nous puissions connaître […] pouvait se dévoiler sous les traits d’une courtisane sacrée». Il n’est pas étonnant que les illustrateurs se soient emparés de cette beauté pour la magnifier encore. Ils ne sont, à ce jour, pas loin d’une trentaine à avoir dressé son portrait selon des éclairages différents. Ceux-là se nomment Raphaël Collin, Pierre Rousseau, Édouard Chimot, Maurice Ray, Paul-Émile Bécat, Barbier et Lepape, Lobel-Riche, Jean Berque, Édouard Zier, Collot, Paul Gervais, et encore Antoine Calbet. Sans un article de François Coppée, dans Le Journal, le roman de Pierre Louÿs, Aphrodite, n’aurait peut-être connu qu’un succès d’estime. Grâce à celui-ci, chacun se pencha sur ce livre et fut séduit par cette histoire de «mœurs antiques», «d’apparence frivole et libidineuse» qui, en réalité, selon l’explication du critique Yves-Gérard Le Dantec, «peignait le tourment, le drame sans remède d’une adolescence passée à la recherche de l’amour vrai». Mais ce roman fut d’abord un petit texte qui parut en 1893, sous le titre de Chrysis ou la Cérémonie matinale (Librairie de l’art indépendant, in-8°). L’édition originale du premier chapitre de ce qui deviendra Aphrodite a été tirée à 125 exemplaires. L’un des 25 imprimés sur chine a été vendu 884 €, à Drouot, le 3 juin 2021 par la maison Aguttes. Il avait été offert par l’auteur au romancier Jean de Tinan (1874-1898), à qui l’ouvrage est dédié, avec cet envoi autographe signé au crayon bleu : «à Jean de Tinan une petite femme rousse dans un tub très antique par son ami Pierre Louÿs.»
Mercure et Aphrodite
Un manuscrit autographe de Pierre Louÿs de 148 feuillets contrecollés, montés sur onglet in-4°, sur la genèse d’Aphrodite, comprenant notamment un projet de page de titre autographe et des notes pour l’imprimeur au crayon bleu en vue de la publication au Mercure de France en 1896, a été adjugé 9 226 €, à Drouot, le 27 septembre 2021 par la maison Aguttes. Ce document précieux a été relié par Canape en 1927, non rogné, en plein maroquin bordeaux, les doublures de maroquin et gardes de moire bordeaux. Le texte définitif, celui du roman, parut d’abord dans le Mercure de France d’août à décembre 1895, sous le titre, rapidement abandonné, de L’Esclavage. Puis, Alfred Vallette, le directeur du Mercure, accepta de le publier à compte d’auteur. Le dernier exemplaire de l’édition originale d’Aphrodite. Mœurs antiques (Mercure de France, 1896, in-12), l’un des 20 sur hollande, relié en maroquin vieux rose, a été présenté à la vente à Drouot, le 16 mars 2022 par la maison Thierry de Maigret avec une estimation de 1 500/1 800 €. Cette édition originale n’était pas illustrée. Très vite, les éditions Borel sortirent la même année (in-12 étroit), dans la collection «Nymphée», une édition illustrée ornée de 75 compositions originales, un frontispice et 31 à pleine page d’Antoine Calbet (1860-1942). L’un des 25 sur chine relié par Charles Meunier en maroquin beige, décor mosaïqué en divers tons de couleurs sur les plats, a été vendu 6 572 €, à Drouot, le 19 novembre 2021 par la maison Binoche et Giquello. Cette première édition illustrée, qui connaîtra un second tirage en 1901, inaugura donc une longue série d’éditions illustrées des plus diverses. Parmi elles, notons celle d’André-Édouard Marty (1882-1974). Pour les éditions Creuzevault ([1936] fort in-8°), il a réalisé 30 planches en couleurs et de nombreuse lettrines. L’un des dix exemplaires de collaborateurs, celui-ci sur japon nacré destiné à M. et Mme Creuzevault, avec une suite en couleurs sur papier Montval en fin de volume, plus une aquarelle originale (correspondant à la page 65), a été adjugé 3 200 €, à Drouot, le 11 mars 2022 par la maison Kâ Mondo. Quoique non signée, la reliure en box marron – les plats ornés d’un double filet noir d’encadrement contenant un filet ondulant entouré de points bleus et blancs, le dos orné d’une bande rose pâle au dessin géométrique, le tout parsemé de points de couleur, auteur et titre en lettres dorées, gardes de moire rose clair et foncé, couverture et dos, chemise et étui assortis –, est selon le bibliographe Ludovic Miran très certainement de Creuzevault. Marty a illustré de nombreux ouvrages de bibliophilie, près d’une quarantaine. Parmi eux, deux autres œuvres de Pierre Louÿs, Les Poésies de Méléagre (Les Éclectiques du livre, 1933, in-12), dont l’un des 170 exemplaires, relié par Georges Cretté, en maroquin gris orné, a été vendu 3 791 € à Drouot, le 9 mars 2021 par Artcurial. Citons aussi Les Chansons de Bilitis. Traduites du grec par Pierre Louÿs (éditions de Cluny, 1937, in-8°), pour lesquelles il a réalisé un frontispice et onze planches hors texte pour un tirage de 1 500. Ces «chansons» parurent la première fois en 1895 à la Librairie de l’art indépendant.