C’est une icône pour certains, un génie pour beaucoup, un fou pour d’autres. À travers la collection de son neveu, Antonin Artaud deviendra aux yeux de tous plus humain et sensible.
Antonin Artaud comme vous ne l’avez jamais vu. Cette vente permettra d’éclairer d’un nouveau jour la personnalité et l’œuvre de cet artiste protéiforme. Chacun garde à l’esprit les images d’un homme vieilli avant l’âge dans les asiles psychiatriques, au corps torturé par la maladie et la drogue, génial esprit souvent incompris par les hommes de son temps. Le fonds Antonin Artaud bientôt dispersé, provenant directement de son neveu Serge Malausséna, révèle l’être sensible et plein d’humanité, profondément attaché à sa famille. Un homme en quête d’identité qui voulait à tout prix s’exprimer, se faire comprendre, développer sa propre vision qu’il s’agisse de théâtre, de cinéma, de littérature ou encore de dessin. Un artiste qui revenait également toujours vers sa famille, comme vers un rivage plus sûr. En témoigne l’immense correspondance présentée dans cette vente, regroupant des dizaines et des dizaines de lettres et de cartes postales adressées à ses parents, à sa sœur, à ses docteurs ou à ses amis artistes. Sa mère est omniprésente. Artaud est le premier enfant d’Euphrasie Nalpas (1870-1952). On la rencontre en début de vacation dans deux photographies prises d’elle jeune fille dans sa ville natale de Smyrne (500/600 €). Plus loin, une lettre de 1911 (1 000/1 200 €) montre un Antonin de 15 ans honteux, cherchant le pardon de sa mère : «Maman je t’aime plus que tout au monde, je t’aime et le remords de ma faute me torture, je suis fou. Je suis un monstre, mais pardonne»… Au summum de sa crise paranoïaque, en 1938 à Sainte-Anne, il accuse sa mère de tous les crimes dans des lettres retenues par l’administration de l’hôpital et que sa mère ne lut jamais. En 1943, apaisé, il lui écrit six lettres afin d’excuser son comportement : «Je vous écris aujourd’hui pour vous soulager et vous délivrer le cœur à mon sujet et pour que vous sachiez que l’amour profond, absolu et véritable que j’ai eu pour vous ne s’est pas départi une minute» (12 000/15 000 €).
Les arts comme remède
Sa famille l’a toujours soutenu. Son père, Antoine-Roi Artaud (1864-1924), armateur marseillais au long cours, avait l’esprit libre. Malgré les problèmes psychologiques de son fils, il le soutenait et lui permit notamment de monter à Paris à 24 ans, suivi de toute sa famille, pour découvrir le milieu artistique par l’intermédiaire du docteur Toulouse, directeur de l’asile de Villejuif, qui s’intéressait au théâtre et à la littérature. Cet homme lui ouvrit les pages de sa revue scientifique et littéraire, Demain, à laquelle participera Artaud en 1921-1922. Un rare ensemble de 49 lettres autographes adressées à Madame et au docteur Toulouse sera ici présenté à 50 000/60 000 €. La plupart sont destinées à Madame, véritable intermédiaire entre Artaud et son mari, et traitent de la parution de la revue, mais aussi de son état de santé : «Mon état de faiblesse est tel qu’il m’enlève le sentiment de mon corps», écrit-t-il en juillet 1923. Ses amis et ennemis sont également nombreux dans ces lettres. On retrouve ainsi son fidèle éditeur Gaston Gallimard, le peintre surréaliste Yves Tanguy à qui il reproche de faire «la politique de l’autruche» (3 000/4 000 €) , son ami Balthus, le critique et éditeur Jean Paulhan ou encore l’écrivain André Gide, qu’il traite de «plagiaire de salaud sans idées» (4 000/5 000 €). Au cours de cette période où il exprime toute sa colère envers un monde de traitres qu’il appelle les «initiés» , il invente les «lettres-sort», qu’il brûle de sa cigarette afin de maudire son destinataire. L’une, écrite en septembre 1939, est destinée à Adolf Hitler en personne (voir photo page de droite). Retenue par le Dr Léon Fouks à Ville-Évrard, elle s’adresse de manière ironique au chancelier, expliquant que «les Parisiens ont besoin de gaz», avant d’ajouter en post-scriptum : «Bien entendu cher monsieur, ceci est à peine une invitation : c’est surtout un avertissement». Ce document mythique fut exposé au MoMA de New York en 1996-1997 et à La Casa Encendida, à Madrid, en 2009.
Antonin Artaud dessinateur et peintre
L’exposition du MoMA, intitulée «Antonin Artaud : Works on paper», avait choisi pour accueillir les visiteurs de recouvrir les murs de l’entrée de l’autoportrait dessiné vers 1920 par Artaud au fusain. Il est aujourd’hui proposé autour de 100 000 € (voir photo page 30). Difficile de nier son talent de portraitiste, en atteste encore le portrait d’une malade du docteur Dardel à Neufchâtel, vers 1919 (40 000/50 000 €). Plus rare encore, une gouache décrivant un paysage de Chatelard en Savoie témoignera de ses ambitions de peintre (voir photo ci-dessus). «Pour savoir qui est Antonin Artaud, lisez Van Gogh le suicidé de la société », nous conseille Serge Malausséna. Cet ouvrage, sorti en décembre 1947, sera le seul de sa carrière récompensé d’un prix, celui de Sainte-Beuve en janvier 1948, quelques mois avant sa mort. Entre Antonin Artaud et Vincent Van Gogh, les parallèles sont nombreux. Leur histoire commune remonte au 2 février 1947 quand, sur les conseils du marchand Pierre Loeb, Artaud se rend à l’exposition «Van Gogh» au musée de l’Orangerie, qui, enthousiaste, achète immédiatement le catalogue (6 000/8 000 €). Souvent plié en deux dans sa poche, ce dernier servira de base de travail à l’écriture de son chef-d’œuvre démontrant le génie du peintre et dénonçant les théories sur sa folie. Ce combat trouve écho dans celui mené toute sa vie par Serge Malausséna en faveur de son oncle et qui s’achèvera par cette vente, confiée à son ami Dominique Loizillon.