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Annulation de Masterpiece : chronique d’une mort annoncée des foires britanniques ?

Publié le , par Pierre Naquin

Conséquences néfastes de la pandémie de Covid et du Brexit, Masterpiece 2023 n’aura pas lieu. Doit-on voir dans cette annulation la fin du marché de l’art britannique ? Pas si sûr… Éléments de réponse.

Sur l'un des stands de Masterpiece London 2022.Courtesy Masterpiece Annulation de Masterpiece : chronique d’une mort annoncée des foires britanniques ?
Sur l'un des stands de Masterpiece London 2022.
Courtesy Masterpiece

La nouvelle a fait grand bruit dans le milieu de l’art : l’édition 2023 de Masterpiece London est annulée, laissant exposants et visiteurs dans un état de stupeur. « Je suis triste à en mourir, c’est un véritable choc », explique Simon Phillips de Ronald Phillips, l’un des créateurs de la foire et exposant des débuts. « En tant que fondateurs, nous l’avons appris en même temps que tout le monde. Nous n’avions aucune idée de ce qui se tramait. » Pour la directrice générale, Lucie Kitchener, une telle annonce n’est pas le fait d’un secret bien gardé, mais d’une décision rapide afin de donner un préavis suffisant pour les exposants. « Tout le monde aimerait que l’histoire soit plus croustillante, mais la vérité est qu’il s’agit simplement d’une décision commerciale difficile à prendre », précise-t-elle. «  MCH [la maison mère de la foire, qui possède également Art Basel, ndlr] nous a soutenus en 2020 et 2021, éditions annulées à cause du Covid-19, puis en 2022, qui a aussi été une année déficitaire. Nous savions alors que nous aurions des augmentations de coûts post-Covid significatives. Ceux-ci ont augmenté de 30 %, auxquels se sont ajoutés les troubles politiques de l’automne [deux changements de Premier ministre en six semaines, ndlr] et l’inflation qui a atteint 11 %, sans compter l’impact négatif continu du Brexit. » Celle que Susan Moore qualifiait de « foire d’art et d’antiquités la plus imaginative et glamour du monde » s’est rapidement imposée comme un leader du marché et le rendez-vous favori du calendrier de ses acteurs. Fondée en 2010, elle a su trouver un positionnement innovant, mêlant beaux-arts et antiquités, art contemporain, bijoux et objets de collection. Elle connut une popularité instantanée auprès d’un large public. L'an dernier, accueillant plus de 40 000 visiteurs en huit jours, la foire pouvait se vanter d’attirer aussi bien les experts que des novices. « Je pense que cette annonce a été un véritable choc, car l’édition 2022 a été un succès : les ventes étaient au rendez-vous, les visiteurs ont adoré, tous ont été très positifs », déclare la directrice. Aussi, comment cette réussite a-t-elle pu conduire à la décision extrême d’annuler l’événement à peine six mois plus tard ?

Hausse des coûts, baisse des exposants
La réponse est tombée dans le communiqué de presse du 6 janvie dernier. MCH Group – qui ne détenait que 67,5 % de Masterpiece jusqu’à son rachat complet en août 2022 – y déclare que « l’événement n’était pas commercialement viable cette année en raison de l’escalade des coûts et de la baisse du nombre d’exposants internationaux ». La marque en elle-même devrait perdurer, mais aucune édition future n’est pour l’instant prévue. « Ce n’est pas que la demande ait diminué, ajoute Kitchener : c’est simplement que la structure des coûts a évolué dans le mauvais sens. » Six jours plus tard, la londonienne Art & Antiques Fair Olympia annonçait mettre également fin à son édition d’été pour les mêmes raisons – celle d’hiver étant toutefois maintenue. Outre les répercussions de la pandémie, les conséquences du Brexit sont pointées du doigt. La participation aux événements britanniques est devenue un défi en raison des barrières législatives entourant l’expédition et le stockage des œuvres d’art en provenance de l’UE, tout comme l’obtention de visas pour les employés de galeries étrangères. « Pendant longtemps, j’ai sous-estimé les effets négatifs du Brexit », estime le marchand français Oscar Graf, qui a participé à cinq éditions à Londres. « Je ne pensais pas que cela changerait quoi que ce soit, mais dans les faits, cela a eu un impact énorme. La gestion des formalités douanières est devenue un cauchemar.» En outre, le coût de l’aménagement des foires et de leur gestion a augmenté de façon drastique : une hausse de 30 % pour Masterpiece entre 2019 et 2023, alors que le prix des stands n’a progressé que de 9,3 % sur la même période. À la question de savoir pourquoi cet écart n’avait pas été reporté sur les exposants, les organisateurs répondent que « la répercussion intégrale de ces coûts aurait rendu l’événement intenable pour eux, qui sont eux-mêmes confrontés à une augmentation de leurs dépenses. »

MCH Group en eaux troubles
Néanmoins, dans le sillage de l’annonce, de nombreux exposants et collaborateurs de Masterpiece ont protesté, arguant qu’ils auraient aimé discuter d’une participation supplémentaire, s’ils avaient été au courant d’un tel projet. « Si on m’avait proposé de participer financièrement pour sauver la foire, je l’aurais certainement fait, déclare Oscar Graf, surtout si cela s’accompagnait de meilleures conditions de paiement. » Cette absence de consultation contraste fortement avec d’autres annonces de MCH : l’annulation de Baselworld en 2020 avait été décidée en accord avec les principaux exposants. En outre, Masterpiece n’était pas en proie à de graves difficultés financières : dans son annonce du 6 janvier, le groupe précisait bien que « la décision d’annuler la prochaine édition n’a[vait] pas été prise sur la base des liquidités, mais sur celle des prévisions des revenus et des coûts en 2023. » Il s’agissait bien de « la viabilité de l’événement lui-même, plutôt que de la marque », ajoute encore Lucie Kitchener. Cette prudence à l’égard du risque concerne finalement davantage MCH que Masterpiece. Le groupe suisse a réussi à naviguer dans les eaux agitées de la période Covid avec ingéniosité et adaptation : il a porté par exemple son attention sur les plateformes de visionnage en ligne et de nouveaux développements dans la sphère numérique, comme Arcual, qui utilise la blockchain pour soutenir la gestion des transactions et le partage des revenus entre artistes et galeries. Mais durant ces cinq dernières années, son histoire est surtout celle d’une direction changeante (quatre PDG se sont succédé), de conflits entre actionnaires, de problèmes de droits et, plus récemment, de l’imminence du remboursement d’une obligation de 100 MCHF prévue en mai 2023 — pour laquelle 76,9 MCHF ont été récoltés lors de la dernière levée de fonds. Aussi le choix d’une stratégie plus conservatrice est-il compréhensible : un événement basé au Royaume-Uni, qui devrait être déficitaire en raison du Brexit et de la hausse des coûts, n’était pas une perspective attrayante, en particulier lorsque d’autres rendez-vous, comme le nouveau Paris+ par Art Basel, connaissent un véritable succès. Immédiatement après l’annonce de l’annulation de Masterpiece, la renaissance du phénix se précisait. Le 7 février, la presse révélait l’édition de la nouvelle London Summer Art Fair sur le même site, le Royal Hospital Chelsea, et quasiment aux mêmes dates, du 22 au 26 juin. Dirigé par deux fondateurs de Masterpiece –Thomas Woodham-Smith, directeur de The Open Art Fair, et Harry Van der Hoorn, propriétaire de Stabilo, spécialisée dans l’aménagement de foires –, le nouvel événement propose un format plus compact, avec environ cinquante galeries contre cent trente. « La London Summer Art Fair est un combat post-Brexit et post-Covid pour Londres », explique Woodham-Smith. Avec Van der Hoorn, il rachetait en 2019 le rendez-vous phare de la British Antique Dealers Association, l’annuelle BADA Fair, en la renommant The Open Art Fair. Si celle-ci connaît des difficultés similaires en termes d’engagement des exposants pour son édition 2023, le duo semble confiant sur le succès de la manifestation, forte de l’emplacement, très apprécié et convoité, du Royal Hospital Chelsea au plus fort de la saison estivale.

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