Elle vient d’être élue à l’unanimité à la tête du Syndicat national des antiquaires, une première à plus d’un titre. Feuille de route d’une grande dame du marché.
Fidèle parmi les fidèles, présente à la Biennale depuis 1988, elle en a été élue présidente sans s’être présentée. Lorsque nous l’avions interviewée en mars dernier (Gazette n° 13), Anisabelle Berès-Montanari ne l’imaginait même pas. Elle a accepté ce poste en toute conscience, elle sait ce qu’elle doit à son nom, n’ignorant pas qu’elle est attendue au tournant, et elle sait aussi qu’il est urgent de redonner du lustre à Paris et de la confiance aux antiquaires. Une élection qui inscrit un changement dans la continuité.
Que ressentez-vous d’avoir été choisie par vos pairs ?
Ma vraie fierté est d’être la première femme présidente du Syndicat national des antiquaires, ce n’est pas rien dans un milieu comme le nôtre. Ensuite, c’est d’avoir été élue à l’unanimité, ce qui est une autre première, en tout cas pour les dernières mandatures. Et je vais me retrouver avec un conseil uniquement masculin, dont Mathias Ary Jan qui a amicalement et heureusement accepté de rester présent et à la vice-présidence. Je voudrais l’en remercier ici et plus encore, saluer le formidable et énorme travail qu’il a accompli au cours de ces trois dernières années. On peut me faire remarquer que c’est assez naturel de dire cela, mais, et beaucoup connaissent mon franc-parler, j’insiste vraiment parce que dans le contexte difficile que le SNA a traversé, tenir la barre haut comme il l’a fait était une gageure.
Vous allez donc vous inscrire dans la continuité ?
Le conseil est composé de personnes que j’apprécie, ce sera donc plus facile pour travailler en bonne entente. Beaucoup étaient déjà là et connaissent bien les dossiers en cours, et tous ont à cœur, par leur travail et sans ego, de réussir dans leur mission.
Nommer un président de la Biennale est une grande nouveauté…
Oui, et cela était nécessaire car il est urgent d’œuvrer pour que la Biennale retrouve sa splendeur. Paris le mérite. Et pour cela, il faut faire revenir les marchands de tableaux anciens et les étrangers. Georges De Jonckheere, le tout nouveau président, va y œuvrer avec tout son dynamisme et sa notoriété. Je vais m’appuyer aussi sur Marianne Rosenberg, un nom des plus importants dans notre milieu. Installée à New York, Marianne va nous aider à rencontrer et tenter de convaincre des confrères américains. Il faut regarder vers l’avenir, la Biennale des antiquaires est une époque révolue, je l’ai connue, j’y ai exposé, mais elle appartient au passé et le passé, c’est le passé. Et si la Biennale est le vaisseau visible de notre syndicat, elle n’est pas notre seul chantier.
Quelles sont justement les priorités ?
Nous allons devoir gérer un déménagement puisque nous avons vendu, et ce dans d’excellentes conditions, notre siège. Maintenant, nous devons trouver un nouvel espace plus adapté, moins sophistiqué et plus moderne, offrant une salle de réunion qui puisse faire office également de salle de conférence. Nous disposons d’un an pour cela. Par ailleurs et d’un point de vue plus politique, nous devons poursuivre les discussions avec l’État et ses services, tenter de leur faire comprendre que les contraintes imposées sont de plus en plus lourdes. Les nouvelles lois nous affaiblissent ; nous pensons qu’il sera impossible de les retirer, mais nous allons essayer de les alléger. L’ivoire est un gros chantier, de niveau international. On arrive à des aberrations à son sujet. L’idée que les ivoires allemands du XVIIe siècle, qui sont des pièces d’une beauté immense, puissent être interdits à la vente, me révolte. Nous avons beaucoup de questions qui sont propres à notre métier et là, nous sommes au cœur de notre mission de syndicat : discussions avec Tracfin, problèmes des certificats d’exportation, surtout pour les objets archéologiques pour lesquels ils sont obligatoires dès le premier euro, question des restitutions et des provenances. Les sujets sont nombreux et divers, ils nous demandent un grand investissement.
Avez-vous des souhaits de rapprochement avec d’autres organisations professionnelles ?
J’aimerais beaucoup que l’on se rapproche du Comité professionnel des galeries d’art, qui est très sérieux et compte des personnalités de grande compétence. Même si leur démarche n’est pas identique à la nôtre. Georges-Philippe Valois en quitte malheureusement la présidence, après avoir lui aussi fait un gros boulot, mais là encore ce sera sans doute une femme qui reprendra le flambeau ! Il faut agir en collégialité. Vous savez, les échecs successifs des dernières années sont légion et trop dus aux inimitiés entre les marchands. La Biennale «bashing» ne mène à rien, et cela nuit à tous. Nous avons tous les mêmes difficultés, c’est en nous unissant que nous y ferons face. Pas en nous divisant. Il ne faut pas oublier que Paris et ce lieu magique du Grand Palais sont extraordinaires, ce que ne seront jamais, avec toutes leurs qualités, ni Maastricht, ni la Brafa.
Quel est votre sentiment par rapport au Brexit ?
Personne ne sait ce que cela va donner. Ce qui va poser problème, ce n’est pas la venue de galeries anglaises en France, ce sont toutes les questions liées aux droits de douane. Et sur ces points, nous n’avons aucune information et devons attendre. Nous sommes inquiets, les maisons de ventes aussi. Quoi qu’il en soit, le Brexit n’est pas un avantage et qu’il se fasse ou non, la Grande-Bretagne aura perdu beaucoup de temps. Le marché est compliqué, il subit une grande évolution. Les gens sont incertains, ils sont inquiets même si beaucoup d’argent circule. Le contexte que nous traversons est particulièrement anxiogène, que ce soit sur les questions politiques, économiques ou écologiques. Certains pensent que l’art peut être un refuge, je ne le crois pas. Si l’art n’est pas essentiel à la survie, je suis absolument convaincue qu’il perdurera toujours. Les Gilets jaunes ont eu un effet considérable, maintenant nous ne travaillons plus le samedi, de nombreux clients étrangers sont effrayés. Le Fouquet’s brûlé, l’Arc de triomphe saccagé : ce sont des symboles forts.
Comment voyez-vous cette première année de mandature ?
Elle est essentielle. Outre notre déménagement et les chantiers en cours dont je vous ai parlé, nous avons un autre défi à relever, et de taille : la fermeture du Grand Palais. Mais je crois que ce changement va nous aider à donner de nous une image d’une plus grande modernité. Les visiteurs vont réaliser que nous ne sommes pas confits dans nos ors. La maquette du projet est magnifique, elle a été pensée intelligemment et longtemps à l’avance. Même si je suis, bien sûr, très attachée au Grand Palais, je suis ravie de ce projet mis en place. Le monde change, nous devons changer avec lui. De même, une autre question va se poser. Devons-nous conserver le nom «Biennale» ? C’est une question, mais l’on sait que le Paris-Dakar ne passe pas par Dakar. La Biennale, c’est une signature, notre marque de fabrique, notre ADN. Cependant, la question va être prochainement débattue, de façon collégiale. Et la majorité tranchera, démocratiquement.
En conclusion, que souhaiteriez-vous dire ?
Je sais qu’il va falloir fournir un gros investissement. Cela ne me fait pas peur car j’ai une grande capacité de travail. On m’a nommée présidente, je vais tout faire pour que personne ne le regrette. J’ai un avantage de taille : ma réputation est faite, je n’ai rien à gagner à ce poste.