À Bruxelles, dans la galerie, bien nommée, Victor Hunt Designart Dealer, Alexis Ryngaert produit, expose et vend des meubles et objets uniques de designers,européens et étrangers, qu’il contribue à rendre incontournables.
Comment en êtes-vous venu à vous intéresser au design contemporain ?
J’ai fait des études d’anthropologie avant de me mettre à voyager. C’est en fréquentant les expositions de fin d’année des écoles spécialisées et en faisant la rencontre de designers comme le Britannique Max Lamb que j’ai réalisé à quels défis industriels les jeunes créateurs faisaient face. J’ai donc voulu les aider et, à partir de 2008, l’affaire est devenue sérieuse avec la naissance de Victor Hunt !
Comment choisissez-vous les designers avec lesquels vous travaillez ?
Je suis avant tout de leur génération. L’Espagnol Tomás Alonso, le Français Julien Carretero et le Sud-Coréen Kwango Lee, dont je vendais à mes débuts les réalisations pour quelques centaines d’euros, ont été les premiers que j’ai eu plaisir à rencontrer et que je soutiens encore à ce jour. J’ai pour ainsi dire grandi avec mes designers, à l’exemple des Suédois de Humans since 1982, dont l’œuvre à caractère cinétique a véritablement été reconnue à l’international depuis ma participation à Design Days Dubai en 2012.
Quelle est l’identité de votre galerie dans le paysage du design de collection ?
Nous sommes une galerie 100 % contemporaine, dont les productions tendent à influencer l’industrie de l’ameublement, les métiers d’art, et l’art contemporain. Victor Hunt apporte l’infrastructure nécessaire à la production des idées des designers. Nous sommes spécialisés dans la recherche de nouveaux matériaux, comme le travail de Tom Price sur la résine l’exprime, et dans le digital craft (l’artisanat numérique), avec par exemple l’œuvre sensorielle et poétique du duo autrichien Mischer Traxler. L’attrait pour ce genre est d’ailleurs exponentiel. Là où nous pouvons avoir de la difficulté à vendre une table à 15 000 €, il nous est facile de céder une installation expérimentale à 75 000 €.
Le terme designart qualifiait, au début des années 2000, le mobilier sculptural en édition limitée vendu au même titre que de l’art. Qu’en retenez-vous ?
J’avais 17 ans au moment où Johnson Trading Gallery et Carpenters Workshop Gallery ont émergé sur ce créneau à New York et Londres. Le tort du second marché a en revanche été de hausser artificiellement les cotes de designers par des pratiques plus habituelles à l’art contemporain, ce qui a brûlé les ailes de certains créateurs prometteurs. Une des seules maisons restées sérieuses à ce sujet est Artcurial.
Comment avez-vous vu évoluer l’offre de ce secteur en Europe et à l’international ?
Je suis principalement exportateur vers les États-Unis, donc je m’abstiendrais de faire des commentaires pour le territoire belge, où une belle galerie comme celle de Pierre Marie Giraud compte plus de clients que moi.
Les coûts de production dans ce domaine sont-ils comparables à ceux de l’art contemporain?
Ils sont élevés, nos prix de ventes sont donc plus «réalistes» que dans l’art. Les phases de recherche et de développement des prototypes associées aux volumes et aux poids des stocks et des commandes spéciales envoyées à l’étranger en ajoutent dans la balance. Dépasser les 200 000 € pour la vente d’une œuvre est ainsi exceptionnel pour nous.
Quel est votre degré d’investissement dans les processus de fabrication ?
Notre petite équipe comprend un production manager, qui accompagne chacun de nos designers. Notre position en Europe nous permet de faire appel aux meilleures entreprises en Belgique, aux Pays-Bas, et en Allemagne. À Anvers, nous travaillons avec un atelier de métallurgie en activité depuis trois générations. À Courtrai, nous utilisons la plus grande machine de sciage au monde. Je dois aussi trouver des savoir-faire enclins à prendre des risques dans l’expérimentation et à viser une qualité irréprochable. La société Eggermont Natuursteen nous fournit ainsi les pierres naturelles pour Line & Waves de Tomás Alonso : une gamme de meubles et d’objets de table dont les rainures du système d’assemblage évoquent les tracés des jardins botaniques japonais.
Quels avantages offrez-vous aux créateurs par ce soutien ?
Notre soutien épargne aux designers la prise de contact et le suivi avec les fournisseurs et les fabricants, et leur offre plus de temps alloué à la création, car certains d’entre eux nous livrent des dessins réalisés par ordinateur, d’autres nous montrent des aquarelles et créent directement en contact avec les matériaux. D’autres encore viennent à nous avec une pensée conceptuelle qu’ils souhaitent «traduire» en objet… Cela nous permet aussi d’être réactif pour la livraison de nos commandes sur mesure, qui représentent deux tiers de notre revenu. L’an dernier, la vente de la collection en néon et résine translucide Dawn Lights de Sabine Marcelis nous a ainsi permis de développer dix nouvelles pièces sur ce même système. Notre marge est néanmoins limitée car le prix reste raisonnable pour le client.
Vous avez été l’une des premières galeries à participer à Design Miami. En quoi le temps des foires est-il déterminant pour vous ?
Elles dictent le rythme du marché et représentent la moitié de notre chiffre d’affaires annuel, en particulier Design Miami car notre clientèle est avant tout américaine. Elles nous garantissent aussi 15 000 à 20 000 visiteurs en un temps réduit et nous permettent également de toucher des publics éloignés, à l’instar des collectionneurs sud-américains.
À ce propos, quelles catégories touchez-vous ?
Des architectes d’intérieur et les personnes exerçant les nombreux métiers intermédiaires entre le conseiller et le client, typiques du marché américain, puis les collectionneurs d’art (25 % de notre clientèle). Nos voisins hollandais sont très chauvins, et fonctionnent au coup de cœur.
Selon vous, la galerie de design du XXIe siècle doit-elle se limiter au white cube ?
Quand j’ai démarré, j’exposais dans des concept stores comme Moss (New York) et Rossana Orlandi (Milan), puis j’ai trouvé un lieu à Anderlecht et ensuite à Ixelles. Je ne crois pas à la pure dématérialisation. Avoir une galerie est contraignant certes, mais j’avoue que cela me fait aussi plaisir personnellement. Nous disposons également d’un hangar près de l’aéroport de Bruxelles, dont l’espace nous permet de peaufiner jusqu’à quatre œuvres simultanément, et qui comprend un studio photo et un showroom ouvert sur demande.
Vous êtes aussi à l’initiative des boutiques de design The Game, à Bruxelles et Anvers…
L’idée est née d’une envie de démocratiser et de rendre accessibles des créations industrielles, difficiles à trouver, de designers respectés comme Maarten Baas, Faye Toogood et Sylvain Willenz, avec qui je collabore également.
Des projets pour ces prochains mois ?
Avant de déménager une nouvelle fois, mon appartement va être entièrement remeublé pièce par pièce par chacun des designers de la galerie et deviendra un nouveau point de chute pour Victor Hunt dans la suite du projet de Tomás Alonso que nous avons présenté en novembre dernier à New York, «The Vaalbeek Project». Il ouvrira au printemps et participera à étendre notre offre de typologies de meubles et d’objets pour couvrir l’ensemble de l’habitat.
Votre devise ?
Garder ma flexibilité. C’est le designer qui dicte mon programme et je me fie à sa liberté de créer. J’attends aussi de voir ce que la présidence Trump va changer en matière de taxe à l’importation des États-Unis…