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Alexandre Ivanov, la passion de Fabergé

Publié le , par Anna Aznaour

Collectionneur d’œuvres du joaillier et fondateur de deux musées privés, ce juriste ayant fait fortune dans l’informatique revient sur sa passion de l’art, dont il a fait son troisième métier.

Alexandre Ivanov Alexandre Ivanov, la passion de Fabergé
Alexandre Ivanov


Gagner de l’argent avec les billets d’entrée des visiteurs n’est pas l’objectif de mes expositions. D’ailleurs, de l’argent, je n’en ai pas besoin», déclare Alexandre Ivanov. Le milliardaire, collectionneur et expert reconnu des œuvres de Carl Fabergé (1846-1920), n’est pourtant pas né «dans une chemise», comme disent les Russes. Orphelin de père à l’âge de deux ans, il grandit à Ostrov, élevé par une mère peintre en bâtiment. Mais, dans les années 1980, l’Union soviétique tente de se renouveler économiquement en offrant sa chance aux jeunes ambitieux. Parmi eux, Alexandre Ivanov. Les études universitaires en droit aiguisent le sens inné des affaires de celui qui va, en 1993, inaugurer à Moscou le premier musée privé du pays (le Musée national russe), avant d’en fonder un deuxième dédié à Fabergé en 2009, à Baden-Baden, en Allemagne. Conversation avec un homme d’affaires, passionné d’histoire de l’art et auteur de plusieurs livres.
 

Maison Carl Fabergé, service à vodka de vingt-cinq pièces, 1895, argent et cristal.
Maison Carl Fabergé, service à vodka de vingt-cinq pièces, 1895, argent et cristal.© Musée Fabergé, Baden-Baden


Pourquoi cette passion pour Fabergé et que représente-t-il pour vous ?
Celui qui, un jour, tient dans ses mains un œuf de Fabergé en devient amoureux toute sa vie. Ce grand maître russe est véritablement un créateur unique en son genre, puisque son style demeure inimitable. Il n’a jamais fait naître un courant artistique dont les membres auraient pu être confondus avec lui, même si beaucoup ont essayé, Cartier y compris. D’ailleurs, lorsque les Occidentaux parlent de la culture russe, les deux références qui leur viennent spontanément à l’esprit sont Le Lac des cygnes, de Piotr Ilitch Tchaïkovski, et les œufs de Carl Fabergé. Ce peintre joaillier est l’incarnation de l’identité russe, dont je suis très fier.
Combien d’œuvres compte votre musée Fabergé, à Baden-Baden, le seul au monde dédié au joaillier ?
Il contient près de 4 000 œuvres de Fabergé, que j’ai commencé à collectionner en 1992, et qui attirent toute l’année des visiteurs du monde entier. Ces derniers sont également enchantés de découvrir deux autres expositions permanentes, dont l’une s’appelle «L’or du monde» et regroupe environ 1 000 objets fabriqués dans ce métal précieux. Parmi eux, une rarissime grande coupe aztèque datant du IVe siècle avant J.-C. et deux sculptures d’oiseaux provenant des jardins de Moctezuma, au Mexique. La troisième exposition permanente a comme thématique les œuvres de l’Europe de l’Ouest, du début du XIXe au début du XXe siècle.

 

Maison Fabergé, atelier de M. Perxine et de G. Vigstrem, Saint-Pétersbourg, Œuf du jubilé, 1904, or, diamants, brillants, émaux sur fond guilloché, ve
Maison Fabergé, atelier de M. Perxine et de G. Vigstrem, Saint-Pétersbourg, Œuf du jubilé, 1904, or, diamants, brillants, émaux sur fond guilloché, velours, aquarelle sur ivoire.© Musée Fabergé, Baden-Baden


Quelle est la pièce la plus impressionnante de cette troisième collection ?
Il s’agit de la coupe en or et en émail de Lucien Falize, précurseur de l’art nouveau, réalisée dans le style Renaissance. A la fin du XIXe siècle, ce célèbre joaillier français venait à Saint-Pétersbourg pour y présenter ses créations à la cour impériale. La coupe en question a été exposée à l’académie nationale d’art et d’industrie du baron von Stieglitz. Ébloui par sa beauté, Nicolas II a voulu l’acheter, mais le prix de l’objet était si élevé que le tsar a dû y renoncer. Depuis sa création, grâce à la qualité de ses collections, le musée de Baden-Baden est inscrit sur le registre fédéral des musées allemands.
En tant qu’institutions culturelles reconnues par les gouvernements russe et allemand, vos musées reçoivent-ils des subsides de l’État ?
En aucun cas ! Je n’ai jamais sollicité ni reçu aucun apport financier pour mes musées. Prendre et assumer l’entière responsabilité de ses initiatives est une question de principe pour moi. Et, dans la mesure où je ne suis pas un homme pauvre, je peux me permettre de supporter sans grande peine toutes ces charges. Cependant, lorsque je souhaite acquérir un objet de très grande valeur, je me sépare de quelques autres pièces de moindre importance. Ces transactions ne sont pas difficiles, car, en tant que collectionneur, je suis régulièrement sollicité par de potentiels intéressés, bien que j’achète plus que je ne vends.
Le prix des œuvres de Fabergé est en constante augmentation. Comment l’expliquez-vous ?
Deux raisons peuvent être avancées. La première est leur nombre : 120 000 œuvres sont référencées, dont 28 000 circulent sur le marché. Quant aux œufs de Pâques impériaux, il n’en existe que cinquante-deux, dont sept dans des collections privées. Le prix d’une de ces pièces varie de nos jours entre 30 et 40 millions d’euros, alors qu’il y a encore quinze ans j’avais acheté un œuf pour moins de 10 millions. Aujourd’hui, cet objet peut être vendu jusqu’à 60 millions d’euros. La seconde explication tient au fait que, contrairement aux œuvres de Léonard de Vinci, qui ont toujours été extrêmement cotées, celles de Fabergé ont pris de la valeur progressivement. D’où cette envolée exponentielle de leur coût.

 

Maison Carl Fabergé, cendrier en argent en forme de dauphin, fin XIXe-début XXe siècle.
Maison Carl Fabergé, cendrier en argent en forme de dauphin, fin XIXe-début XXe siècle.© Photographes A.M. Koksharov, A.A. Pakhomov, V.S. Terebenin, L.G. Heifetz. Ermitage, Saint-Pétersbourg


D’après l’expert d’art Vladimir Teteryatnikov, le gouvernement au temps des bolcheviks a utilisé les sceaux du joaillier pour fabriquer des contrefaçons. Est-ce vrai ?
Non, c’est une légende. À cette époque, tous les maîtres artisans de Fabergé, qui connaissaient les secrets de fabrication, avaient quitté la Russie. Mais il est vrai que l’homme d’affaires américain Armand Hammer, à qui les bolcheviks avaient confisqué sa fabrique de crayons, avait réussi à faire sortir du pays sa collection d’œuvres d’art, dont des sceaux originaux de Fabergé, réquisitionnés chez le joaillier et qui lui avaient été vendus par un fonctionnaire véreux. Une fois aux États-Unis, il les a utilisés pour produire des contrefaçons, qu’il vendait avec les vraies œuvres du maître achetées en Russie. Les fils de Carl Fabergé, Alexandre et Eugène, installés à Paris dans les années 1920, avaient quant à eux ouvert la fabrique Fabergé et Cie, où ils ont produit près de mille pièces signées de leur nom. Dans leur cas, on ne peut cependant parler de contrefaçon, d’autant que ces œuvres étaient réalisées par les maîtres artisans de leur père les ayant suivis en France.
Ne craignez-vous pas que vos trois livres, qui révèlent les secrets d’authentification des pièces originales, ne servent de manuels pour faussaires ?
Théoriquement, tout est possible. Mais, d’un point de vue pratique, il est quasiment impossible de reproduire des œuvres de même qualité, aussi bien techniquement que stylistiquement. Il fut un temps où Sotheby’s s’était fait avoir en vendant des pièces en émail, dont la majorité s’étaient révélées être des contrefaçons fabriquées aux États-Unis. Pourtant, la qualité de leur émail était nettement meilleure que celle de Russie avant la révolution. Les objets eux-mêmes étaient très beaux, mais faux tout de même…
Hormis les grandes métropoles, vous organisez également des expositions Fabergé dans des régions russes reculées. Pourquoi ?
Aujourd’hui, moins de 1 000 œuvres de ce créateur se trouvent en Russie, 20 000 sont en Europe occidentale et 28 000 dans des collections privées. Alors, garder mes pièces dans un coffre-fort, je n’en vois pas l’intérêt ! Ce qui m’importe, c’est de montrer ma collection aux personnes qui n’ont pas forcément les opportunités culturelles des grandes métropoles. Pourquoi ? Parce que cela ravive leur fierté et leur permet de relever la tête.

 

Maison F. Kekhli, Saint-Pétersbourg, tabatière du cabinet de Sa Majesté Impériale, avant 1898, or, brillants, diamants, émail sur fond guilloché.
Maison F. Kekhli, Saint-Pétersbourg, tabatière du cabinet de Sa Majesté Impériale, avant 1898, or, brillants, diamants, émail sur fond guilloché.© Musée Fabergé, Baden-Baden


 

À voir
Musée Fabergé,
30, Sophienstraße, Baden-Baden, tél. : +49 7221 970890.
www.faberge-museum.de


Musée national russe,
2/6, Pushechnaya Ulitsa, Moscou, tél. : +7 (495) 628 25 93.
www.rnm.ru
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