Le coronavirus a perturbé cette édition 2020, par ailleurs riche en œuvres importantes.
Malgré le coronavirus, la Tefaf Maastricht a attiré un public motivé et intéressé au vernissage.
© Tefaf
La question était sur toutes les lèvres lors de l’ouverture de la Tefaf à Maastricht cette année, début mars. La foire d’art et d’antiquités la plus prestigieuse au monde allait-elle être la dernière grande manifestation à se tenir avant de longs mois ? Peu se doutaient que le marché de l’art dans son ensemble allait se gripper une dizaine de jours plus tard… Agrémenté de superbes décors floraux et de visiteurs élégants, réjouis d’aller découvrir des œuvres exceptionnelles, le vernissage VIP pouvait sembler comme à l’accoutumée. N’était la poignée de stands fermés par une cloison anthracite et des bouquets de fleurs, rappelant que quelques marchands s’étaient désistés en dernière minute face aux craintes grandissantes du coronavirus. Mais la municipalité de Maastricht et les organisateurs de la foire, pour qui les enjeux financiers et d’image sont tout autant primordiaux, ont jugé bon de maintenir l’événement, malgré les polémiques au sein du comité exécutif… L’atmosphère était toutefois un brin surréaliste, personne ne se serrant la main. Dans l’ensemble, l’affluence était d’au moins un tiers inférieure à d’habitude, ce qui permettait de voir les œuvres dans de meilleures conditions…
Des marchands motivés et récompensés
Ils ne nourrissaient pas de grandes espérances pour cette édition au contexte si singulier. D’où leur joie de voir que les affaires n’ont pas si mal marché. L’explication ? La plupart des marchands avaient préparé à fond leurs stands, soignant le décor et apportant des pièces majeures qui valaient le déplacement. Si bien que ceux qui ont bravé les risques pour venir jusqu’à Maastricht étaient motivés… et souvent prêts à acheter. Sur l’un des plus beaux stands de la foire, celui des Kugel, la « Coupe d’Orphée », une petite merveille sculptée d’émaux peints avec des remplois Renaissance - et qui a connu deux cours impériales, celle de Ferdinand III puis celle de Rodolphe II à Vienne -, était immédiatement réservée sans que l’on puisse savoir à quel prix. Un peu plus loin, un autre espace très travaillé, celui de Christophe de Quénetain, proposait une sculpture équestre en bronze d’un Louis XIV conquérant, au sommet de sa gloire, par François Girardon pour 13 millions d’euros ; il s’agit d’une réplique de plus petites dimensions de celui qui ornait la place Vendôme avant la Révolution. Sur le même stand, Marella Rossi avait apporté un superbe meuble Boulle, et son complice Camille Leprince un précieux plat émaillé de Nicola da Urbino. « Alors que d’habitude on garde secret ce que nous allons présenter, cette année, nous avons proposé une visite virtuelle du stand et communiqué sur Instagram », confie la galeriste. Et des musées étaient très intéressés… Devant le risque de voir moins de clients, nombre d’exposants avaient fait de même, communiquant plus que de coutume, via des photos ou des vidéos. Si la plupart des musées américains avaient formellement interdit à leurs équipes de voyager en Europe, certains représentants ont tout de même pu faire le voyage, tels George Shackelford, vice-directeur du Kimbell Art Museum aux Etats-Unis, en compagnie de son conservateur français Guillaume Kientz. Dans les allées, on pouvait aussi croiser Amin Jaffer, conservateur de la collection Al Thani, Franky Mulliez, le repreneur du château de Dampierre dans les Yvelines, le collectionneur d’art contemporain Thierry Gillier, le fondateur de Zadig & Voltaire mais aussi de grands collectionneurs allemands…
Edgar Degas, Trois danseuses en jupes jaunes, vers 1891, huile sur toile.
© Hammer Galleries et Tefaf
Le moment d’acheter ?
Parmi les pièces les plus chères de cette édition – et sans doute la plus onéreuse – figurait Trois danseuses en jupe jaune à l’huile par Degas, chez Hammer Galleries de New York. Son directeur en demandait « plus de 37 millions de dollars », soit au-delà de son record en ventes publiques voici une dizaine d’années. Un prix qui fait quand même réfléchir avant de sortir le chéquier… L’enfant du pays, Van Gogh, était une fois de plus la superstar de la foire avec deux tableaux peints assez tôt, qui ne reflétaient pourtant pas l’inventivité de son style après son installation en France. L’un, chez le londonien Dickinson date de 1885, la période néerlandaise de l’artiste. Un acheteur, selon la galerie, a déboursé autour de 15 millions de dollars pour s’offrir cette vue assez triste d’une paysanne près de sa chaumière. Quelques mètres plus loin, la galerie Hammer demandait 10 à 12 millions de dollars pour une autre toile, peinte un an plus tard et datant de la période parisienne. « Certains pensent que le marché de l’art va se casser la figure et que c’est le moment d’acheter, glisse un exposant d’art moderne. Il faut avoir le courage d’arriver avec des pièces importantes et pas moyennes, car ces dernières ont moins de chance de se vendre ».
La galerie Chenel a cédé un Chaoubti égyptien pour 180 000 euros à un musée américain. Georg Laue s’est allégé de plusieurs pièces Renaissance, parties rejoindre des collections européennes. Deux reliefs en cire de Pierre David d’Angers ont été réservés chez Talabardon & Gautier. Charles Beddington présentait un saint Jean-Baptiste par Guido Reni, à 4,7 millions d’euros. « C’est pour moi l’une des meilleures éditions depuis longtemps en tableaux anciens, par le niveau de qualité et la sélection », confie le conseiller Etienne Bréton, citant entre autres un triptyque d’Isenbrandt chez Kugel, le tableau de Puvis de Chavanne de Talabardon & Gautier, le rare caravagiste Hendrick ter Brugghen chez Adam Williams, ou encore une vue de Fécamp par Jules Noël chez Hervé Aaron.
Un bémol toutefois, de source bancaire, de nombreuses ventes conclues à Maastricht ont été annulées quand les collectionneurs ont vu la Bourse dégringoler à cause du coronavirus… Cette édition restera dans les annales : offrant à la fois qualité et quantité, elle a réussi à sauver les meubles dans un contexte inédit.