L’exposition sur le marché de l’art dans les années 1940 au mémorial de la Shoah se clôt sur la recherche de provenance. Le travail révélé sur la collection Mandel en illustre les difficultés, de même que l’apport de documents comme les catalogues de Drouot.
Au mémorial de la Shoah est accroché un portrait de Thomas Couture retrouvé dans la collection Gurlitt, que l’Allemagne a rendu en janvier dernier à la famille de Georges Mandel. La Gazette avait raconté les péripéties de l’identification miraculeuse de ce tableau (année 2017, n° 39, page 12). Prenant le relai de premières explorations, un jeune chercheur, Camille Noé Marcoux, a pu reconstituer l’histoire du démembrement de la collection de Georges Mandel, assassiné en 1944 par des miliciens. Le 27 août 1940, trois semaines après son arrestation, l’ambassadeur Otto Abetz a donné l’ordre de s’emparer de son appartement, avenue Victor-Hugo. Le 29 septembre, la section d’Eberhard Freiherr von Künsberg prend possession des lieux. Meubles, tableaux et objets d’art sont emportés à l’hôtel de Beauharnais, rue de Lille, où l’ambassade du Troisième Reich a aménagé un dépôt des œuvres pillées. En avril 1941, les lieux sont occupés par le parti de Marcel Déat, les documents attestant que le pillage se poursuit encore en 1942. Après la Libération, la compagne de Georges Mandel, Béatrice Bretty, écrit à la Commission de récupération artistique que «tout le contenu de l’appartement, absolument tout, a été enlevé». En octobre 1944, elle tape néanmoins un inventaire de mémoire. Ce document aux lignes serrées sur onze pages a servi de base à la recherche de Camille Noé Marcoux. Béatrice Bretty prend la peine d’énumérer avec exhaustivité, de l’aspirateur aux postes TSF, en passant par le tapis de bain, les boutons de manchettes ou les cuillers en argent. Certains objets, comme un portrait de Clemenceau ou son masque mortuaire, sont attachés au souvenir de l’homme politique dont Mandel avait été le fidèle collaborateur. La liste compte des porcelaines ou tapis en soie de Chine ou de Perse, un panneau offert par Tchang Kaï-chek, ou encore «un paravent de toute beauté en laque de Coromandel du 18e siècle à sujets de fleurs et grands oiseaux». Les sièges, lustres ou pendules sont de la même époque, et un médaillier Louis XV est dit «rempli de médailles». S’y trouve également «un cabinet Renaissance italienne», qualifié de «pièce admirable». Étaient aussi accrochés aux murs deux pendants de Canaletto, deux autres de Boucher, décrits comme «authentiques, représentant deux têtes de femme». Dans certains cas, l’orthographe est imprécise, comme cet artiste appelé «Tunmer». Béatrice Bretty avait simplement mal lu la signature de Turner. Mais dans les listes de la récupération artistique, il sera longtemps fait référence à «une aquarelle de Tunmer», qui avait fort peu de chance d’être trouvée un jour. L’ancienne compagne de Georges Mandel se fie en fait à sa mémoire, cochant «ce qui sera facilement identifiable». On lui présentera ainsi plusieurs paysages d’Utrillo et des dessins de Rodin qui ne correspondront pas à ses souvenirs. Elle parviendra au fil des années à récupérer deux commodes, deux tapisseries, une peinture chinoise, une scène attribuée à Teniers, deux pendants de Panini, un portrait de Bonvin et un autre de Carolus-Duran, ainsi qu’une partie de la bibliothèque et des archives.
Propriétaire inconnu
Même le retour de cette petite fraction de l’ameublement n’alla pas de soi. Béatrice Bretty écrit ainsi au ministère des Affaires étrangères pour se plaindre : «Le peu que j’ai retrouvé des tableaux, ce fut toujours par pur hasard et sur mon insistance à vouloir fouiller dans les réserves “propriétaire inconnu’’. Cette autorisation me fut même enlevée par une lettre personnelle de M. Henraux [Albert Henraux, qui dirigeait la Commission de récupération artistique, ndlr]. Le dernier tableau trouvé par moi, marqué des initiales “G.M.”, était retourné contre un mur et manifestement on me voyait chercher à contrecœur. Aussi, quelle fut ma surprise en retournant la toile de reconnaître un Isabey ayant appartenu à M. Mandel et, devant ma remarque qu’il était effectivement marqué “G.M.”, on me répondit : “Nous ne pensions pas qu’il appartenait à M. Mandel”. Alors à quoi servent les six exemplaires qui portaient la description de ce tableau ?» Le 17 janvier 1961, Rose Valland fait savoir que «la totalité des demandes de restitution portant sur les œuvres d’art de la succession» est considérée comme couverte par l’indemnisation versée par l’Allemagne. Trois mois plus tôt, elle avait estimé que «les chances de retrouver l’un de ces biens étaient pour ainsi dire inexistantes».
Dans les paysages de Courbet
La remarque de disparition définitive est difficilement contestable pour l’argenterie, les bijoux, ou encore cette peinture ainsi inscrite : «une femme assise, dans un fauteuil (gouache ?), d’un maître du 19e siècle dont le nom m’échappe». Tout espoir n’a pas disparu pour autant. Camille Noé Marcoux a ainsi pu retrouver une image d’un tableau disparu, qui était décrit comme «peinture signée Gustave Courbet représentant le château d’Ornans et le parc», «tableau admirable ayant en outre une valeur documentaire». Elle en estimait la valeur, en 1939, à 15 000 francs. Le chercheur dut évacuer une série de compositions de Courbet, dont les dimensions ou le sujet ne correspondaient pas. Mais il parvint à retrouver la mise aux enchères, le 10 mai 1939 par Me Étienne Ader, d’un Château d’Ornans, qui fut adjugé 13 100 francs à Drouot. Le procès-verbal, conservé aux Archives de Paris, indique bien comme acheteur : «Mr Mandel Ae Victor Hugo». Il était vendu avec la collection Victor Simon, que ce docteur avait dispersée pour financer ses recherches sur les maladies infectieuses. Par chance, le catalogue comprend une reproduction. Il s’avère que ce paysage représente un manoir au fond d’une vallée, qui n’a manifestement rien à voir avec le hameau médiéval perché sur une falaise que Courbet a représenté plusieurs fois. On ne sait ce qu’est devenu ce tableau volé chez l’ancien ministre. Mais il ne fait nul doute qu’il s’agit du paysage lui ayant appartenu, et il est désormais identifiable.