Dans le milieu, tout le monde le connaissait ; aussi la dispersion de la collection d’archets, violons et violoncelles de Bernard Millant fait figure d’événement. Histoire d’une authentique passion.
Quelques chiffres ? 81, c’est le nombre de pièces composant un violon ; 127, celui des lots de la collection de Bernard Millant (1929-2017), laquelle inclut très exactement 89 archets. Sa dispersion créera l’événement dans le monde de la musique, notamment dans celui des collectionneurs des fameuses baguettes à mèche. Les estimations débutent autour de 1 000 €, mais avec une pointe à 200 000 € pour ce qui pourrait devenir l’un des archets les plus chers du monde : un exemplaire pour violoncelle de François-Xavier Tourte (1747-1835). Ce facteur parisien n’est pas surnommé pour rien le «Stradivarius de l’archet». Dans une quête constante de perfection, il fut le premier à prôner pour leur confection l’utilisation du pernambouc, bois à forte élasticité originaire du Brésil, mais aussi à définir la forme idéale, un profil concave, tout en harmonisant sa taille. Voici donc «une pièce rarissime, d’un modèle très pur, non retouché, non repoli, en un mot une pièce unique qui est “le bouquet” final de toute cette collection», écrivait le collectionneur. Un bel exemple de ce que recherchait Bernard Millant, des instruments d’une perfection tant technique qu’esthétique, mais aussi en parfait état de conservation. Selon ses propres volontés, dans un esprit de partage et de transmission, sa collection sera dispersée afin de permettre aux collectionneurs, mais aussi aux musiciens de pouvoir profiter à leur tour de ses joyaux.
Une vie dédiée aux instruments
Quand son professeur, le célèbre Roger Loewenguth, demandait au talentueux enfant s’il voulait devenir violoniste professionnel, ce dernier lui répondait avec fierté qu’il préférait être luthier. Un rêve héréditaire, puisque Bernard Millant est issu d’une dynastie de luthiers. Son arrière-grand-père n’est autre que Sébastien Auguste Deroux, originaire de Mirecourt, installé à Paris en 1884, inventeur d’une célèbre colophane pour enduire les archets et en améliorer le son. Son père, Max Stanislas Millant, et son oncle Roger Millant un violon de leur création sera proposé, estimé 6 000/8 000 € , ouvrirent quant à eux un atelier de luthiers rue de Rome. Naturellement doué, le jeune Bernard fabrique dès l’âge de 13 ans son premier violon. S’il est décidé à suivre la tradition familiale, il va s’en détacher quelque peu en effectuant un improbable double apprentissage en lutherie et en archeterie, deux métiers très différents. Une originalité, qui, il l’espère en cette période difficile d’après-guerre où les orchestres ont été décimés, lui permettra d’ajouter une corde à son arc professionnel. Pour ce faire, il se rend dans une ville incontournable de France, Mirecourt dans les Vosges. C’est dans ce chef-lieu de Lorraine, où passèrent avant lui son arrière-grand-père et son père, que des générations de facteurs d’instruments de musique sont formées depuis le début du XVIIe siècle. Bernard commence en 1946 son apprentissage auprès d’Amédée-Dominique Dieudonné (1890-1960). Soutenu par son père, il entre ensuite dans l’atelier d’archeterie des frères Morizot, également situé à Mirecourt. Il décide par la suite de se lancer dans une expérience à l’étranger, aux États-Unis, où il travaille au sein de la maison Rudié à New York. Il y fait des rencontres majeures, notamment avec l’expert Rembert Wurlitzer (1904-1963) et le luthier Jacques Français (1924-2004), avec lequel il collabora et resta très proche. Cette amitié est d’ailleurs évoquée dans la vente par un rare archet de violon d’Eugène Sartory (1871-1946), monté en écaille et or, accompagné d’une lettre certifiant sa provenance de la collection du père de ce dernier, Émile Français (28 000/30 000 €).
Expert reconnu
De retour en France en 1950, Bernard Millant s’établit au 56, rue de Rome, en face de son père et de son oncle. Il passera là toute sa carrière, restaurant les instruments des plus grands musiciens et collectionneurs ou confectionnant ses propres archets, tel celui pour violon monté en argent, signé et daté 1953, qui clôturera cette vente (5 000/6 000 €). Lui-même bon violoniste, il était doué d’une oreille lui permettant de réaliser seul les meilleurs réglages. Il deviendra un expert mondialement reconnu, écrivant même, avec son assistant durant quinze années, Jean-François Raffin, la référence en la matière, L’Archet, un ouvrage en trois tomes. Récompensé lors de nombreux concours européens, notamment pour ses productions en écaille et or aux fameuses incrustations de fleurs de lys, il créa également, pour le musicien Léon Pascal (1899-1969), un archet d’alto raccourci. Les archets étaient sa vie et il eut la curiosité et l’intelligence de s’y intéresser comme collectionneur à une époque où ils n’étaient pas encore considérés à leur juste valeur. Bernard Millant n’en a cependant pas pour autant négligé les instruments de lutherie. Si les Français dominent le monde de l’archeterie, les Italiens s’accaparent bien souvent celui de la lutherie, à l’image d’Annibal Fagnola dont un violon fait à Turin au millésime de 1912 est attendu autour de 45 000/50 000 € ou de Giovanni Grancino, représenté par un bel instrument fait à Milan vers 1700 à 70 000/80 000 €. Mais un luthier lorrain du XIXe siècle a toutefois su rivaliser avec ses collègues transalpins : Jean-Baptiste Vuillaume. Déjà fort apprécié à son époque par les musiciens pour ses répliques des grands modèles de l’école de Crémone, il l’est de plus en plus par ceux d’aujourd’hui, comme le prouvera certainement ce violon prisé 80 000/100 000 €, ayant appartenu au célèbre violoniste Eugène Ysaye. En avant la musique !