Baptisée «L’heure rouge», cette 13e édition convoque Aimé Césaire et un extrait de sa pièce Et les chiens se taisaient. Une nouvelle fois sous la responsabilité de Simon Njami, Dak’art exprime une volonté farouche d’émancipation.
Dak’art 2016 portait tous les espoirs, elle fut incarnée par l’inédit : un nouveau commissaire, Simon Njami, une valeur sûre ancrée dans l’art contemporain d’Afrique et de sa diaspora. Il portait un projet ambitieux sur deux éditions successives avec, notamment, l’inauguration d’un espace dédié à l’événement : l’ancien palais de justice de Dakar, au cap Manuel. L’architecture du lieu, son état en friche bien loin du traditionnel white cube, dans la veine d’une Galleria Continua délocalisée, en font un site d’une contemporanéité inouïe. On est gagné par une sorte de ravissement lorsqu’on traverse cet écrin de lumière naturelle, ocre, sur deux niveaux labyrinthiques, autour d’un patio entouré d’arbres gigantesques. Cette 13e Biennale est dense. La parcourir à un rythme lent permet de saisir les subtilités de sa construction. La temporalité et l’espace ont été retravaillés et enrichis de nouvelles sections. Ce second volet signé Simon Njami a changé de référentiel, quittant le réenchantement – thème de «La cité dans le jour bleu» en 2016 – en faveur d’un autre élan, celui de l’action, pour une nouvelle humanité ! Dak’art 2018 est un panorama assurément contemporain, sélectionné dans la production de nombreux artistes issus du continent africain, des Caraïbes et d’ailleurs. Certaines figures espérées manquent néanmoins à l’appel : celles qui se prêtent mal au jeu du dossier parfait et de la culture des relations utiles.
Des œuvres fortes, tournées vers le progrès
Parfois aériennes, parfois massives, les œuvres sélectionnées expriment des récits de facture aussi bien classique que très contemporaine, et se déploient sur tous les médiums possibles installation, vidéo, peinture, sculpture. La prise de conscience amenant à l’engagement politique est clairement le dénominateur commun de toutes les productions. La prise en compte des générations à venir dans les choix d’aujourd’hui semble transcender celle de ces artistes. Laeïla Adjovi (née en 1982) récompensée du grand prix Léopold-Sédar-Senghor présente ainsi Malaïka Dotou Sankofa, malaïka signifiant «ange» en swahili, dotou «rester droit» en fon, et sankofa étant le symbole akan de l’oiseau messager, qui vole la tête tournée vers l’arrière, incitant à apprendre du passé. Elevation Matthew (2016), de Pascale Monnin (née en 1974), évoque quant à elle le séisme de 2010 en Haïti et son bilan : plus de trois cent mille morts, trois cent mille blessés et 1,2 million de sans-abris. L’œuvre monumentale est constituée d’une envolée de portes et volets bleus. L’arbre central, droit, au milieu de ce bal, garde à son pied des offrandes symbolisées par des horloges et un globe terrestre. Le soleil exalte la force de l’ensemble par un jeu d’ombre et de lumière, dont l’impact n’est qu’un rappel à l’ordre contre l’oubli de toutes ces victimes dont la situation douloureuse demeure irrésolue. Fréquentée par des professionnels du monde entier cherchant à sentir les tendances d’un marché en devenir, la Biennale voit défiler les délégations d’Art Basel, du MoMA, de plusieurs fondations privées ; tous étudient les propositions artistiques, organisent des dîners et parlent avec les artistes de projets futurs. L’événement est aussi l’occasion, pour certains acteurs, de se positionner : ainsi la galeriste Cécile Fakhoury, basée à Abidjan, ouvrait-elle un lieu permanent à Dakar. L’équipe française de l’IESA arts&culture, école internationale des métiers de la culture et du marché de l’art, était aussi sur place pour annoncer la création d’une nouvelle antenne locale.
Manque de sérénité
Malheureusement, on ne peut s’empêcher de retenir les nombreux petits couacs de la manifestation. Alors que la Biennale est censée assurer aux artistes visibilité et contacts, ceux-ci se trouvent au contraire confrontés au stress et aux tracas. Entre une scénographie des œuvres in situ se décidant à la dernière minute, des circuits administratifs longs et aléatoires, un manque de professionnalisme à la livraison des œuvres et, plus généralement, des interlocuteurs peu expérimentés, le compte n’y est pas. Exemple criant, en 2016, Ouattara Watts (né en 1957) s’était vu confisquer ses œuvres à la douane, d’où la réalisation d’un simple dessin au charbon, à même le mur. Beau joueur, l’artiste revient cette année avec une série de toiles qui, de nouveau, n’ont pu achever leur voyage. Les châssis sont là, mais ils sont vides ! Face à ces dysfonctionnements, le commissaire général est désemparé. On le croise au palais de justice, aidant les artistes à accrocher leurs œuvres, arrivées en retard… Surréaliste pour un événement d’envergure mondiale, vraiment dommageable lorsqu’il ne dure qu’un mois. Lorsque l’on parle aux acteurs locaux, ils confient que le soufflé retombe malheureusement très vite une fois la Biennale terminée. Peut-être qu’un autre événement – sur le modèle vénitien – de type Biennale de design, d’artisanat, d’architecture, pourrait trouver sa place en alternance avec Dak’art et ainsi maintenir la région dans une fièvre artistique. Le doublement du financement de la manifestation par le gouvernement du Sénégal, passant de 500 millions à 1 milliard de francs CFA, devrait également aider. Mais, comme le dit très justement Simon Njami, «on ne peut pas vivre sur une Biennale dépendant à 95 % de l’État. Un modèle de fondation ferait sens, avec un conseil d’administration pour en assurer le bon fonctionnement et l’indépendance.» Il reste donc encore beaucoup de travail pour faire de ce rendez-vous un succès incontestable. Souhaitons que, avec davantage de moyens, la prochaine édition permette à la fête d’être véritablement complète.