L’intérêt du peintre pour la cité des Doges illustre son obsession pour l’eau en tant que motif artistique. Des ports de Rotterdam aux côtes de l’Afrique du Nord, en passant par les rives de la Seine, il saisit des instants fugaces.
Alors qu’il est le principal représentant de la section française à la Biennale de Venise en 1936, Albert Marquet décide de s’y rendre, cette même année, pour un séjour de trois mois en compagnie de sa femme Marcelle. L’artiste connaît déjà la ville pour y avoir séjourné en 1908 et 1909. Dans un premier temps réticent à l’idée de peindre pendant ce voyage, il va finalement travailler tout l’été, tôt le matin et en fin d’après-midi, souffrant de la chaleur estivale dans la lagune qui le pousse à écrire à son ami George Besson : « Je commence à pardonner aux pauvres peintres qui ont fait tant de barbouillages à Venise. » C’est au cours de cet été 1936 qu’il exécute ces Bateaux de guerre sur le bassin, une huile sur toile exposée à la grande rétrospective que lui consacrait le musée Paul-Valéry à Sète en 2019, « Marquet. La Méditerranée d’une rive à l’autre », et dans le catalogue duquel elle est reproduite. À Venise, il délaisse les célèbres monuments, qui n’apparaîtront qu’en arrière-plan, au profit des canaux, bassins et port, sujet de prédilection du Bordelais. Fuyant les clichés de la carte postale, Marquet s’attache à restituer la brume vénitienne dans une palette réduite comme dans La Lagune à Venise, une huile de la même série, achetée par l’État en 1937, aujourd’hui au musée national d’Art moderne. Le même procédé est ici à l’œuvre : plus minimaliste et synthétique que les impressionnistes, sa touche préserve le rythme et l’unité du paysage, une douceur post-whistlerienne qui fera dire au critique d’art Léon Werth que « ses toiles nous obligent au silence ». Les premiers jours de son séjour, Marquet loge à l’hôtel Danieli, mais c’est dans une petite pension, la Pensione Bucintoro, qu’il trouve les conditions les plus favorables à son inspiration. Les quatre fenêtres de sa chambre donnent sur la lagune et sur la Riva degli Schiavoni, une vue qui ouvre sur les contrastes entre le vieux Venise chargé d’histoire et l’irruption d’une certaine forme de modernité, notamment des cuirassés. On reconnaît, toutefois, de droite à gauche, le palais des Doges, le campanile de Saint-Marc, la douane et le dôme de Santa Maria della Salute. Marquet excelle dans la simplification des formes, dans la justesse des coups de pinceau qui lui permettent d’aller à l’essentiel, opérant une géniale harmonie du ciel et de l’eau. Il signe cette huile dix ans avant sa disparition, une œuvre de maturité qui rejoindra le catalogue critique de l’œuvre d’Albert Marquet, en cours de préparation par l’Institut Wildenstein.